Trois semaines après le début de la campagne de vaccination, le constat majeur est une très faible mobilisation du public. Pour vaincre les nombreuses réticences, souvent favorisées par des rumeurs, et convaincre les cibles pour l’atteinte de l’immunité collective, les autorités tentent de réadapter leurs stratégies. Même si ce sont seulement 15% des doses reçues qui ont été utilisées, les défis pour permettre l’accès à toutes les personnes concernées restent importants.
« Aujourd’hui, c’est gratuit, mais je pense qu’avec le temps ce sera payant. Et mieux vaut prévenir que guérir », témoigne M. Kéïta, qui vient de se faire administrer sa première dose de vaccin anti Covid-19 au Centre de santé de référence de la Commune V du District de Bamako. Il fait partie de la petite dizaine de personnes qui ont reçu leur première dose ce 26 avril 2021, quelques deux heures après le début de l’opération par l’équipe fixe du centre. Au même, moment trois équipes s’apprêtent à aller sur le terrain. L’une d’elle pour répondre à une sollicitation. Une entreprise privée de la place qui veut faire vacciner ses agents, nous explique Madame Coulibaly Fatoumata Dicko, la responsable de l’unité.
Petits pas
L’affluence est timide, mais les volontaires qui se présentent pour la vaccination ont la même motivation. Se prémunir comme un « fléau mondial » dont l’évolution inquiète au-delà de nos frontières. L’apparition du « variant indien » trotte dans les esprits. « Cette maladie est très grave et chaque jour il y a des nouvelles inquiétantes, comme cette nouvelle forme en Inde », explique une patiente qui vient aussi de recevoir son vaccin. Souffrant d’hypertension artérielle, elle a franchi le pas grâce aux conseils de son entourage.
Démarrée officiellement le 6 avril au CsRéf de la Commune V, l’un des constats autour de la vaccination, en plus de la faible affluence, est que ce sont des « intellectuels » surtout qui viennent, relève le Docteur N’Diaye Awa Thiam, médecin-chef du centre. Des responsables, des personnes d’un certain niveau d’instruction, mais aussi des citoyens ordinaires, même s’ils ne constituent pas encore la grande majorité.
Pour inverser cette tendance et permettre une plus grande mobilisation, le service du Développement social, qui travaille en collaboration avec le centre s’occupe du volet sensibilisation. Des tentes ont été installées dans différents endroits de la commune pour sensibiliser davantage les populations. Si c’est avec une stratégie fixe que le centre a démarré, le personnel de santé étant ciblé prioritairement, lorsque des volontaires se sont présentés elle a vite été complétée par celle dite avancée, consistant à rejoindre là où ils se trouvent les volontaires qui sollicitent le vaccin.
Adapter la stratégie
D’abord centrée sur la capitale, qui est la zone la plus touchée par la maladie, la campagne de vaccination lancée par le ministère de la Santé et du développement social a opté pour 3 stratégies. D’abord fixe dans les structures de santé, c’est-à-dire les 64 CsCom de Bamako, les 6 CsRéf et les grands hôpitaux, l’hôpital dermatologique, ceux de Gabriel Touré, du Point G et du Mali et le CNOS (Centre national d’odontostomatologie), en direction des agents de santé et des auxiliaires de santé.
La stratégie avancée est déployée dans les villages, hameaux et quartiers et vise à atteindre les personnes de 60 ans et plus. Elle consiste à se déplacer vers les cibles éloignées de 15 km des sites. Enfin, la stratégie mobile permet aux équipes de se déplacer à la rencontre des cibles dans les départements ou les institutions notamment. Si le lancement a concerné une seule cible, le personnel socio-sanitaire, la « vaccination s’est étendue dès le troisième jour aux deux autres », les personnes vivant avec des co-morbidités et celles qui ont 60 ans révolus.
Mais, compte tenu du fait que parmi ces personnes cibles même les réticences étaient nombreuses, les autorités ont dû changer leur fusil d’épaule. « Certaines avaient besoin de précisions, d’assurances par rapport à une personne de leur entourage qui s’est faite vacciner et dont les effets post vaccinaux ont été nuls », explique M. Markatié Daou, le chargé de Communication du ministère. Parce qu’au « rythme où on allait, avec une grande quantité de vaccins, si on se limitait aux cibles, cela allait prendre du temps », reconnaît-il.
C’est ainsi que ceux qui n’étaient pas dans les cibles mais décidaient volontairement de se faire vacciner n’ont pas été exclus. Non seulement ils n’étaient pas suffisamment nombreux pour créer une rupture, mais ces personnes pouvaient aussi contribuer à convaincre davantage de volontaires à accepter le principe de la vaccination, qui reste non obligatoire.
Le but visé étant une immunité collective qui ne semble pas encore à portée de main, les autorités misent sur un renforcement de la campagne de communication et la contribution de volontaires pour booster le taux de vaccination.
Le 26 avril 2021, au Jour 21 de la campagne dans les 6 communes de Bamako et au Jour 4 dans les districts de Kati et Kalabancoro, le nombre de personnes ayant reçu leur première dose s’élevait à 51 889, 29 510 hommes et 22 379 femmes.
À terme, ce sont 4 220 400 personnes, soit environ 20% de la population malienne, qui doivent recevoir leurs doses de vaccin pour atteindre une immunité collective susceptible de protéger les plus vulnérables. Un objectif bien éloigné au regard de l’évolution de la campagne.
Susciter l’engouement
« Même si notre pays décidait de vacciner maintenant tout le monde, en aurait-il les moyens ? » s’interroge un agent de santé. Une question délicate au moment où, malgré le faible enthousiasme que manifestent les populations, les besoins à couvrir restent grands. Mais la commande de nouveaux vaccins est à l’ordre du jour. « Les équipes sont à pied d’œuvre. Il y a un contact avec l’Union Africaine et des négociations sont en cours avec au moins deux firmes », assure le responsable de la communication du ministère. Une commande de nouveaux vaccins qui permettra même « un large choix » et encouragera d’autres volontaires, d’autant que le vaccin « AstraZeneca suscite désormais moins de méfiance », ajoute-t-il.
Dans ces conditions et face à la recrudescence de la maladie, les mesures de prévention restent pour des pays comme le nôtre les meilleurs remparts. Des mesures dont l’application « pose problème », reconnaît le médecin-chef du CsRéf de la Commune V. La vaccination pourrait-elle servir d’alternative ? Non, à moins « de la rendre obligatoire », répond la spécialiste.
S’il était à 85% au Jour 14, l’objectif de vaccination des agents de santé au niveau du District n’est pas « négligeable » et s’explique pas les fortes attentes du personnel. « On était pressés de recevoir le vaccin parce que l’on côtoie le virus. On sait ce que c’est », ajoute le Dr N’Diaye.
Elle comprend que les nombreuses rumeurs autour du vaccin aient pu dissuader une grande partie de la population. Même s’il est « nécessaire, le débat autour de cet aspect a pris le dessus », déplore-t-elle.
À ce jour, sur les 51 889 vaccinations, 5 cas d’effets secondaires ont été signalés, « tous pris en charge », explique le Dr Dougoufana Bagayoko du Programme vaccination de l’UNICEF. L’organisation, qui appuie les autorités dans la lutte, mise également sur une sensibilisation accrue.
D’autant que pour certaines cibles atteindre l’objectif s’avère compliqué. « Pour les personnes vivant avec des co-morbidités, il y a deux catégories à convaincre : le malade et son entourage », affirme M. Daou. « Ajuster la communication » pour faire évoluer la vaccination de manière progressive, c’est la méthode pour laquelle ont opté les autorités. Avec pour ambition d’atteindre leur objectif et éviter que d’autres foyers de contamination naissent, compliquant encore plus la lutte.
Fatoumata Maguiraga
Source : Journal du Mali