Même si Philippe Sands conserve une élégante pudeur lorsqu’il parle de la guerre en Ukraine, qu’il tient à « maintenir une distance » pour « ne pas [se] laisser entraîner par les émotions et les passions », il ne peut nier « le lien personnel » qui fait de lui un personnage central dans les discussions sur les définitions du conflit et des actes qui en découlent, notamment celles des deux mots qui agitent les mondes de la politique, de la diplomatie et de la justice internationales : « agression » et « génocide ».
Un hasard dans la vie de l’avocat franco-britannique, professeur de droit à l’University College de Londres, fut une invitation, il y a douze ans, à participer à une conférence, à Lviv. Il ignore alors jusqu’au nom de cette ville si chère à l’identité ukrainienne, dans l’ouest du pays. Lorsqu’il comprend qu’il s’agit du nom ukrainien de la ville où est né son grand-père maternel et qu’il connaît sous le nom, datant de l’époque austro-hongroise, de Lemberg, il accepte l’invitation.
Philippe Sands découvre alors que c’est à Lviv, et plus précisément à la faculté de droit, que Hersch Lauterpacht et Raphael Lemkin ont étudié, avant de devenir les inventeurs de deux concepts qui ont révolutionné le droit international, respectivement le « crime contre l’humanité » et le « génocide ». Du procès de Nuremberg à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, les deux appellations vont être fondatrices du droit international tel qu’on le connaît aujourd’hui. L’avocat, mêlant sa mémoire familiale, le parcours des deux pionniers juifs du droit et le procès des dignitaires nazis, tire de ses recherches un récit magistral, East West Street. On the Origins of Genocide and Crimes Against Humanity (Weidenfeld & Nicolson, 2016) – en français, Retour à Lemberg (Albin Michel, 2017).
« Crime d’agression »
Le 24 février 2022, la Russie attaque l’Ukraine. Même si le président russe, Vladimir Poutine, n’en est pas à son coup d’essai, l’ampleur de l’invasion surprend l’Europe et le monde. L’avocat, fort de son expérience devant des cours internationales, publie, dès le 28 février, une tribune dans le Financial Times pour appeler à enquêter sur M. Poutine pour le « crime d’agression, une idée née à Nuremberg en tant que “crime contre la paix” ». Le gouvernement ukrainien s’empare immédiatement de l’idée et, désormais conseillé par M. Sands, réclame, en complément de la Cour internationale de justice (CIJ) et de la Cour pénale internationale (CPI), la création d’un tribunal spécial sur le crime d’agression.
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