La stratégie qui privilégie une option militaire disproportionnée à la frontière entre le Niger et le Mali fait peser un risque sur la région : celui de créer un nouveau foyer d’insurrection. C’est le constat que dresse l’International Crisis Group, qui fait une série de recommandations.
Dans un récent rapport, l’International Crisis Group (ICG) alerte ainsi le gouvernement du Niger, l’opération française Barkhane et leurs différents partenaires internationaux des risques liés à des interventions qui privilégient de manière disproportionnée les réponses militaires dans la zone.
Pour éviter qu’un nouveau foyer d’insurrection se développe au Sahel, le gouvernement nigérien et ses partenaires occidentaux devraient sortir du cadre restrictif de la lutte antiterroriste et subordonner l’action militaire à une approche plus politique, y compris en engageant un dialogue avec les insurgés de toute obédience.
Un « vivier d’hommes en armes »
La situation sécuritaire dans la zone frontalière entre le Mali et le Niger s’est dégradé progressivement dans les deux dernières décennies. Les violences en zones rurales se sont aggravées à la frontière entre le Mali et le Niger sur fond de rivalités entre communautés pour le contrôle de l’espace et de difficulté des États à réguler les conflits locaux.
Dans le sillage des rébellions arabo-touareg des années 1990, la prolifération des armes de guerre a accru les niveaux de violence et graduellement changé la nature des conflits. Elle a notamment permis à une génération de jeunes hommes de vivre du métier des armes, en versant dans le banditisme ou en intégrant des milices communautaires pour défendre hommes et bétail ou négocier des prébendes avec l’État.
La crise malienne de 2012 a aggravé cette situation en amplifiant un peu plus encore la circulation des armes de guerre et en permettant à des groupes jihadistes de s’implanter. Ils ont attiré en particulier, mais pas exclusivement, de jeunes nomades dossaak et surtout peul, inquiets de voir d’autres communautés s’armer et s’organiser en groupes politico-militaires, à l’instar des Touareg avec le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA).
- BEAUCOUP DE MILITANTS JIHADISTES ONT REJOINT DEPUIS MAI 2015 LA BRANCHE LOCALE DE L’ETAT ISLAMIQUE DANS LE GRAND SAHARA
Les jihadistes sont parvenus à prendre pied dans la zone en fournissant des services aux communautés nomades, notamment une justice fondée sur la « Charia ». Dans le même temps, ils ont redirigé les griefs locaux contre les États centraux, accusés de partialité dans le traitement des conflits entre communautés nomades.
En 2016 et 2017, les militants jihadistes, dont beaucoup ont rejoint depuis mai 2015 la branche locale de l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS), ont multiplié les attaques contre les forces de sécurité nigériennes (FDS) dans la zone du Nord-Tillabéri, au Niger.
La tentation de collaborer avec des groupes politico-militaires
Les FDS et leurs partenaires occidentaux peinent à lutter contre un front insurrectionnel localisé dans la zone frontalière, capable de mobiliser rapidement des combattants, et d’échapper ensuite aux poursuites en se repliant du côté malien de la frontière. L’embuscade du 4 octobre 2017 à Tongo Tongo, au cours de laquelle quatre membres des forces spéciales américaines et quatre soldats nigériens ont été tués, l’a très bien illustré.
- LE RECOURS À CES GROUPES À DES FINS CONTRE-INSURRECTIONNELLES RENFORCE LES TENSIONS INTERCOMMUNAUTAIRES
Les autorités nigériennes déplorent l’incapacité de l’État malien à déployer des forces suffisantes dans une zone frontalière que les jihadistes utilisent comme base arrière. Pour pallier cette faiblesse, le gouvernement nigérien comme ses partenaires internationaux, en particulier la France, sont tentés de collaborer avec des groupes armés maliens qui connaissent bien le terrain, en l’occurrence le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), et le Groupe armé touareg imghad et alliés (Gatia), à majorité dossaak et touareg imghad respectivement.
Pourtant, en dépit de succès militaires à court terme, le recours à ces groupes à des fins contre-insurrectionnelles renforce les tensions intercommunautaires et menace d’embraser la région.
Ainsi, entre le 27 avril et le 18 mai, plus d’une centaine de civils auraient été tués lors d’attaques de campements dossaak et peul dans la zone frontalière. En effet, l’appui à certains groupes armés à base communautaire, comme le MSA et le Gatia, à des fins contre-insurrectionnelles ne s’effectue pas dans un espace vide d’enjeux politiques locaux mais sur fond de luttes pour le contrôle de territoires et de ressources. Les violences prennent une dimension communautaire dans une région où les groupes armés s’organisent sur la base des affinités ethniques.
Mais les raisons de prendre les armes sont multiples : la frontière entre le combattant jihadiste convaincu, le bandit armé et celui qui prend les armes pour défendre sa communauté est souvent floue. Or, faire l’économie de cette distinction conduit à ranger imprudemment dans la catégorie « jihadiste » des communautés entières ou, tout au moins, un vaste vivier d’hommes en armes que les autorités politiques et militaires du Niger, comme leurs partenaires français, gagneraient à traiter différemment.
Mettre les stratégies militaires au service d’une approche politique
Source: Jeune Afrique