Le Sursaut : Bonjour M. Koné, le mardi 15 septembre, le Mali a perdu son ancien Président de la République, le Général Moussa Traoré. Comment avez-vous appris cette mauvaise nouvelle ?
Thiona Mathieu Koné : Je l’ai appris par de source familiale et très tôt.
Le Sursaut : Pour avoir été l’un des proches collaborateurs de cet illustre défunt, qu’est-ce que vous pouvez dire sur l’homme ?
T.M. K : De 1986 à 1991, j’ai été conseiller à la communication auprès du Général Moussa Traoré. A ce titre effectivement, nous avons eu une collaboration franche, sincère et, jusqu’aux évènements qui lui ont fait partir du pouvoir. Ce que je peux dire, à ses côtés j’ai découvert d’abord le Mali de long en large, toutes les régions, tous les cercles. A ses côtés j’ai connu profondément le Mali. Chaque année on faisait deux régions, cercle par cercle, pour découvrir les réalités et aspirations des populations et lancer des messages de mobilisation pour le développement endogène. Et ensuite en sa compagnie j’ai connu l’Afrique pour des visites officielles, des sommets. En sa compagnie, j’ai également connu la plupart des continents : l’Europe, l’Asie, l’Amérique et il a ouvert mon cœur à l’humanité. Il avait la volonté de faire mieux. J’ai vu le sens élevé chez lui de la sauvegarde de l’intégrité territoriale, de la paix dans le respect des diversités raciales, ethniques et religieuses. Il était un homme à l’écoute des collaborateurs. Moi je peux vous dire que pendant plus de 6 ans je n’ai pas tapé à sa porte.
Le Sursaut : Pouvez-vous nous rappeler quelques souvenirs que vous avez gardés de lui pendant votre collaboration ?
T.M.K : Souvenir, c’est que je voyais que l’homme était très à l’aise quand on quittait la capitale, il était très à l’aise avec la population, les pêcheurs, les éleveurs qu’ils soient du nord ou du sud, les paysans. Il était à l’aise dans le monde rural. Il avait une grande capacité d’écoute à travers des réunions qu’il organisait soit dans la capitale, soit lors des conférences de cadres. Homme d’écoute, très soucieux de la dignité du Mali. Par ce que je l’ai vu refuser de manger alors qu’on était à table avec un Président d’une grande puissance. Cela tout simplement, parce que ce Président avait eu un mot presque provocateur, déplacé. Moussa a déposé les fourchettes, il a dit ‘’Néfara’’ (je suis rassasié). Il n’acceptait pas que le Mali soit offensé, pas sa personne mais le Mali. Donc il était un homme de dignité. Mais cela aussi est certainement lié à sa culture militaire et à l’éducation traditionnelle qu’il a reçue comme tant d’autres Maliens d’ailleurs. Chez lui comme chez la plupart des Maliens, il y a le refus de la domination, le refus de l’irrespect.
Il avait ses limites parce que là aussi, il savait que le Mali prioritairement c’est un pays enclavé, donc il voulait que le Mali soit bien désenclavé. C’est pour ça qu’il a initié le plus grand projet routier, la route Sévaré-Gao. Vous savez pour aller à Gao avant, on mettait 3-4-5 jours mais quand il a fini le projet Sévaré-Gao, Gao était presqu’à quelques heures de Mopti. Sinon, moins d’une journée de Mopti. Et ensuite, tout était fait pour que le train ne s’arrête pas entre le Sénégal et le Mali. Tout était fait pour que les Maliens s’entendent autour de l’essentiel, à savoir, l’unité nationale. Voilà ce que j’ai remarqué en lui.
Moussa Traoré était un dirigeant très respecté de ses collaborateurs. Je n’ai pas dit qu’il acceptait tout ce qu’on lui disait, mais en tout cas il permettait l’écoute du collaborateur dans le domaine pour lequel il était dans le cabinet ou bien dans le gouvernement.
Le Sursaut : On affirme que vous avez été des cousins à plaisanterie, cela a-t-il eu des impacts sur votre collaboration ?
T.M.K : Il est un Traoré, je suis un Koné, il ne m’avait pas choisi pour venir jouer au cousinage à plaisanterie, mais nous savions et nous étions avertit de ce serment tissé par nos ancêtres entre les Koné, les Traoré, les Dembélé, Diop etc. Lui très avertit, moi aussi avertit, mais il faut dire que : il me taquinait mais je ne lui répondais pas parce que je me donnais le droit de pouvoir utiliser quand c’était nécessaire parce que sinon on s’écarte de la mission.
Le cousinage à plaisanterie c’est sacrée, c’est-à-dire tu n’uses pas de cela qu’en dernier recours pour avancer. Il était mon ainé et de loin, et moi je suis arrivé jeune mais c’est vrai que le cousinage à plaisanterie n’a pas d’âge entre des cousins, mais je n’en faisais pas usage à tout vent. Mais quand l’occasion l’exigeait cela nous permettait de progresser ou bien de se comprendre, de comprendre qu’on était au sérieux.
Le Sursaut : Aujourd’hui aucun site, aucune place ni aucune rue ne porte le nom du Général Moussa Traoré. Qu’est-ce que cela vous fait ?
T.M.K : Ce qui importait pour Moussa c’est qu’on évite les erreurs que lui il a eu à commettre. Vous avez vu qu’il a appelé le M5-RFP et l’ancien Président Ibrahim Boubacar Kéita à reprendre le dialogue quand c’était chaud. Donc il était soucieux de la cohésion sociale, de l’entente. Les peuples, le moment venu, savent poser des des actes de réconciliation nationale vrais. Ça peut être tôt, ça peut être tard.
Que la terre lui soit légère, amine.
Propos recueillis par Maïmouna Sidibé
Source: Le Sursaut