Au lieu de dicter des solutions aux acteurs, le ministre de la Justice les a convaincus de coopérer à un programme consensuel de réformes.
Dans le gouvernement formé par le Premier Ministre Modibo Kéita, Mohamed Diarra a reçu une promotion de taille en quittant le portefeuille du Logement pour celui, stratégique, de la Justice. Titulaire d’un DEA en droit privé et ministre des Droits de l’Homme sous l’ancien président Alpha Oumar Konaré, Diarra a une connaissance parfaite des arcanes de la justice malienne. “Il est convaincu que si la justice avait été efficiente, le Mali n’aurait pas connu les crises qui le secouent depuis 2012”, nous confie un de ses proches. Cependant, le ministre n’est pas de nature à changer par la force. Sa méthode, quelque peu dictée par son tempérament, consiste à révolutionner la justice en douceur, ce qui suppose la participation et l’adhésion des premiers acteurs de la justice : les magistrats. C’est pourquoi, dès son avènement au département de la Justice, Mohamed Diarra a demandé aux chefs de juridictions, de parquets, de greffe et de services centraux de lui faire parvenir un catalogue des problèmes qu’ils rencontrent et des solutions qu’ils estiment eux-mêmes convenables. De cette cette compilation systématique, il ressort un portrait sans complaisance des lacunes du système judiciaire malien:
– insuffisance du contrôle des juridictions, des parquets et des services;
– engorgement des tribunaux du fait du nombre élevé des litiges et des lenteurs judiciaires;
– engorgement des maisons d’arrêt et mauvaises conditions de vie des détenus;
– recours abusifs des magistrats aux mandats de dépôt;
– corruption des milieux judiciaires;
– application insuffisante des décisions de justice;
– insuffisance d’accès des citoyens aux services judiciaires;
– défiance des citoyens envers la justice du fait de l’impunité de certains acteurs…
Bien qu’imprégné de ce tableau sombre, le ministre a tenu à effectuer, courant février 2015, une tournée des services et des juridictions pour s’entretenir de vive voix avec les acteurs judiciaires, y compris les syndicats et les ordres professionnels d’avocats, d’huissiers et de notaires. Il n’a pas cessé de répéter à ses interlocuteurs qu’il n’envisageait pas de leur parachuter des solutions mais de réhabiliter l’édifice judiciaire par le bas : “Je ne me considère pas et j’ai pas l’intention de me considérer comme un expert du droit. Vous avez toute la science, tout le savoir. Mon rôle est de mobiliser, de maintenir la mobilisation et d’obtenir les engagements nécessaires pour la traduction d’une vision communément partagée. Je crois en la capacité des hommes et des femmes pour construire ensemble, à partir du bas, les schémas pour répondre aux préoccupations identifiées”. Et d’ajouter: “Je suis au service de tous pour contribuer à comprendre les problèmes et trouver les éléments de solutions avec vous. Je souhaite que nous restions une famille, la famille judicaire. Ayez aussi désormais à l’esprit que ceux qui ne sont pas dans les structures publiques de la justice (notaires, avocats, etc.) font partie de la famille judiciaire.”.
Pour mettre davantage en confiance ses services, Mohamed Diarra a nommé à son cabinet deux magistrats respectés et acquis aux compromis dynamiques : Fatoma Théra, ex-président du Tribunal de Commerce de Bamako, nommé secrétaire général du département; et Mamadou Tidiani Dembélé, ex-directeur national de la Juistice, nommé chef de cabinet du ministre. Fidèle à sa méthode, Diarra n’a pas hésité à geler un programme de réformes conçu avant sa nomination. Le document, élaboré par un expert international et un panel de juristes nationaux, suscitait l’opposition ouverte des acteurs de la justice, lesquels, magistrats en tête, ont déclaré ne pas s’y reconnaître pour n’y avoir pas été associés. En mettant les acteurs judiciaires à l’aise (il n’y en a d’ailleurs pas d’autres !) et en les impliquant dans la recherche de solutions, le ministre en a fait des partenaires coopératifs et résolus à se remettre en cause. Le document susvisé n’atterrit toutefois pas au panier: il sera soumis aux débats lors d’un atélier où tous les acteurs de la justice seront appelés, en juin ou juillet 2015, à se prononcer sur un un “programme d’urgence de renforcement du système judiciaire” (PU-RS).
Programme d’urgence de renforcement du système judiciaire
Le PU-RS, qui s’étalera sur deux à trois ans, traitera les “problèmes dont les solutions ne peuvent plus attendre”.Il vise, entre autres, à “mettre à niveau le système judiciaire”, à doter les acteurs d’un agenda de travail, à renforcer les structures de contrôle et à améliorer le plus rapidement possible la proximité et la distribution de la justice. L’atélier de validation sera suivi de l’adoption du programme par le gouvernement et de la budgétisation des actions. “Il n’y a aucune raison que le programme échoue puisqu’il est partagé par tout le monde; l’Etat et ses partenaires financiers ne ressentiront pas, non plus, la moindre gêne à financer le programme dès lors que sa mise en oeuvre rencontre l’adhésion de l’ensemble du système judiciaire”, commente un directeur de service.
Tiékorobani
Source: Le Procès Verbal