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Suspension de l’appel à candidature pour les postes de Directeurs d’établissements publics : quel recul en matière de gouvernance publique !

De ma paisible retraite, j’observe de loin le fonctionnement de la République en me disant à chaque fois que, malgré les vicissitudes, le bons sens perdure et que tout finira par être pour le mieux dans le meilleur des mondes Mais en écoutant le communiqué du Conseil des Ministres du 21 mars dernier,  j’ai eu comme un haut le cœur !

 

En effet, des personnes ont été nommées à des postes de Directeurs d’Etablissement sans passer par la procédure de l’appel à candidature ! Renseignement pris, il semble que le décret d’application prévu par la Loi 2014-049 n’ayant pas encore été adopté, la circulaire qui en tenait lieu a été abrogée car ne pouvant pas le remplacer, et par conséquent la loi n’était plus applicable ! Quelle contorsion pour contourner une loi de la République !

Comment est-ce possible que le même régime qui a adopté une des dispositions phares de l’amélioration de la gestion des ressources humaines et, tout simplement d’une gouvernance vertueuse, débarrassée du népotisme, du clientélisme et de la corruption, fasse marche arrière toute, pour en revenir à des pratiques qui sont à la base de l’effondrement des institutions que nous avons connu il y a si peu de temps ?Comment ne pas avoir encore réalisé que tous nos maux viennent de nous-mêmes, de nos pratiques de gestion des affaires publiques, de notre propension à utiliser des fonctions publiques à des fins personnelles ?

Comment ne pas se rendre compte que le népotisme et la corruption qui ont gangréné toutes les sphères d’activités de la vie nationale, y compris les secteurs de la Défense et de la Sécurité, sont à la base de la crise profonde que notre pays traverse ?Lorsque j’ai accepté de faire partie du Gouvernement de la Transition, je m’étais fixé une ligne de conduite : donner l’exemple d’une gouvernance vertueuse qui commence par une égalité de traitement des citoyens vis-à-vis des emplois publics.

Mon  rêve était que cela fasse tâche d’huile dans tous les secteurs d’activité.Ma première proposition de nomination en conseil des Ministres a été faite suite à un appel à candidature : la vacance de poste a été publiée trois jours de suite dans le journal l’Essor et transmise à toutes les DRH pour diffusion dans les départements ministériels. Mais que de critiques à l’époque ! ” Il veut gérer la Fonction publique comme une entreprise privée “, ” aucun texte de la Fonction publique ne le prévoit “, ” on n’a pas encore atteint un tel stade d’évolution ” et tutti et quanti !

Gérer la Fonction publique comme une entreprise privée ?J’ai nommé quelqu’un que j’ai vu pour la première fois de ma vie lorsqu’il est venu pour l’entretien final qui s’est déroulé en présence du Secrétaire Général du Département de l’époque. Dès que nous eûmes fini les entretiens  il n’y avait aucun doute qu’il était le meilleur à ce poste ! Le Premier Ministre de l’époque a approuvé la démarche à tel point que lorsque le premier gouvernement d’union nationale a été formé en août 2012, il m’a demandé de lancer des appels à candidature pour qu’il puisse disposer de CV de cadres les meilleurs pour occuper des emplois administratifs supérieurs. C’est ce que j’ai fait et je lui ai transmis une liste de personnes retenues et je ne crois pas qu’il en connaissait une seule parmi toutes. Mais cela n’a pas empêché qu’on l’accuse de vouloir placer des ” pions “, même à des postes subalternes.

En vérité, ceux qui voulaient continuer les mêmes pratiques de népotisme et de clientélisme sont à la source de cette campagne mensongère !

Il n’y a pas de texte en la matière ?

Ah bon ! Mais aucun texte n’interdit cette pratique ! Lorsque vous voulez pourvoir un poste d’emplois administratifs supérieurs, vous êtes bien obligé de chercher des candidats et de comparer leurs CV au profil du poste !

L’appel à candidature consiste simplement à  rendre public et transparent cet exercice. Ce faisant, vous vous conformez au principe de l’égalité des citoyens, en permettant à tous ceux qui peuvent y prétendre, d’être au courant de la vacance dudit poste et de faire acte de candidature, s’ils le désirent. Vous vous donnez aussi la possibilité de choisir celui qui remplit au mieux les conditions d’accès à ce poste. En un mot, vous vous assurez que les postes sont occupés par les meilleurs, ce qui est une garantie de l’efficacité de l’administration. Si vous n’agissez pas ainsi, vous n’êtes pas certain d’avoir les meilleurs, vous créez de la frustration chez les plus méritants et vous leur donnez le sentiment qu’il ne faille plus faire d’efforts de performance car cela n’est pas récompensé !

Il n’y a pas de texte ? Qu’à cela ne tienne, nous y avons remédié! 

D’où la relecture de la loi portant principes fondamentaux de la création de l’organisation de la gestion et du contrôle des services publics ! Avec un collaborateur, nous nous sommes mis à la tâche.

Premier revers à la première réunion interministérielle ! Loin de me décourager, j’ai pris ce dossier en main en ma qualité de Conseiller Spécial du Premier Ministre d’alors et le lui ai proposé. D’abord réticent, il a fini par se rendre compte dès  les premières nominations du nouveau gouvernement qu’il fallait faire quelque chose pour freiner le népotisme et  le clientélisme !

C’est ainsi que la nouvelle loi stipule que les postes de directeurs de projets et d’établissements publics sont pourvus après appel à candidature. C’était une solution minimale, car l’idéal aurait été de l’étendre à tous les emplois administratifs supérieurs, à l’exception de quelques uns dont la liste serait définie par décret. C’est le cas dans tous les pays qui ont entrepris de moderniser leur administration (exemple du Maroc qui, bien que dirigé par une Monarchie, applique le principe de l’appel à candidature pour tous les emplois administratifs supérieurs, sauf pour une quarantaine de postes qui sont à la discrétion du Roi).

La question est de savoir pourquoi avoir accompli un pas vers cette modernisation de l’administration pour ensuite reculer de deux pas ?

C’est le même landerneau politique qui est à la manœuvre car à défaut de projets politiques porteurs d’espérance  pour le pays, ses tenants en sont réduits à  devenir des officines de placement de cadres mettant ainsi en place un système de patronage qui est tout sauf bénéfique pour le pays ! Ainsi les personnes nommées sont ” redevables ” vis-à-vis de ceux qui les ont (ou fait) nommées(r). Elles  se doivent de faire preuve de ” reconnaissance ” et ainsi de suite.

Il n’y pas de décret d’application ?

Avec mon collaborateur direct de l’époque nous en avions élaboré un ! Il semble qu’il a été introduit en Conseil des Ministres puis retiré ! Et depuis plus rien.

Or ce décret, outre qu’il précisait les conditions de mise en œuvre de l’appel à candidature, stipulait aussi que les personnes nommées à l’issue de cette procédure, devraient exercer leur fonction pendant  quatre ans renouvelables une fois et ne pouvaient être révoquées que suite à des fautes lourdes. Ce faisant, elles seraient à l’abri de sautes d’humeurs  qui ne manquent pas d’arriver avec de nouveaux ministres!

La première personne nommée par appel à candidature n’a pas résisté à cette saute d’humeur et, comble de l’ironie, le Premier ministre de l’époque m’apprit  que c’était mon beau-frère !

Le Mali a ratifié la Charte Africaine sur les Valeurs et les Principes du Service public et de l’Administration dont une des dispositions stipule la compétition ouverte et transparente entre les agents publics pour occuper les emplois supérieurs. C’était en 2013 et j’étais fier d’en avoir été l’instigateur.

Au même moment, certains bailleurs de fonds avaient mis dans leurs conditionnalités de l’appui budgétaire l’adoption de cette disposition.

Ce faisant, ils voulaient nous encourager à adopter de bonnes pratiques de gouvernance, débarrassées de népotisme et de corruption.

Que vont-ils penser maintenant ? Que nous avons adopté la loi, juste pour obtenir leurs subsides et que nous ne voulons surtout pas améliorer la gouvernance de notre pays ?

Il est urgent d’adopter ce décret d’application pour définir les conditions de mise en œuvre  de l’appel à candidature, et aussi de protéger ceux qui auront été choisis à l’issue de la procédure car, au stade actuel, rien n’empêche un Ministre de relever, sans justification objective, les personnes nommées selon cette procédure.

La bonne gouvernance, la transparence et l’égalité de traitement des citoyens sont des exigences majeures d’une véritable démocratie.

Mamadou Namory Traoré Ancien Ministre

Source : L’Indépendant

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