Autrefois, les parents décidaient de tout sur la base de leur autorité morale. Mais de nos jours, la fragilité des nouveaux couples dans notre pays serait due à la faiblesse de
l’éducation familiale. Nous avons enquêté à Bamako où autant les mairies sont submergées de mariages, autant les tribunaux
croulent sous les demandes de divorce.
Le divorce est banni des valeurs sociales des communautés maliennes musulmanes, chrétiennes, animistes. Autrefois, les anciens prononçaient le divorce dans la brousse. La sacralité du mariage transparaît à travers cet enseignement du maître coranique, Mohamed Hady Barry, de Torokorobougou. Le prophète Mahomet, «Paix et Salut sur Lui», disait à ses disciples : «mariez-vous, multipliez-vous, afin de peupler la terre entière». Selon l’article 280 du code des personnes et de la famille du Mali, le mariage est un acte public, par lequel un homme et une femme consentent d’établir entre eux une union légale.
A Bamako, le dimanche et le jeudi sont considérés par tous comme le jour des mariages. Les tam-tams résonnent partout accompagnés par les chants des griottes ou les louanges des griots. Dans les rues des quartiers, des hommes, femmes, enfants en liesse et richement habillés forment des cercles devant les portes d’entrée ou à l’intérieur des familles. Autrefois la joie immense des nouveaux couples et des familles désormais alliées présageait une union sacrée heureuse et pérenne.
Mais aujourd’hui, très peu de jeunes couples ont la chance de durer dans leur union. Pourquoi l’air du temps est si pollué dans les jeunes foyers à Bamako ? Autant de mariages, mais aussi autant de divorces. Le mariage n’est plus sacré dans notre société, particulièrement à Bamako. Notre enquête est bâtie autour des explications fournies par les personnes âgées et les services concernés par la légalisation ou la dissolution du mariage.
Le chef de la section Etat civil à la mairie de la commune V de Bamako, Oumar Touré, a révélé que 990 mariages ont été célébrés entre janvier et juin 2018. A l’inverse, au Tribunal de grande instance de la même commune, les données du service d’enregistrement des divorces sont alarmantes. Les séparations de conjoints se suivent à un rythme inquiétant. Rien que durant la première quinzaine du mois de juillet 2018, environ 25 divorces ont été prononcés. Les causes sont multiples. Le greffier en chef au tribunal de grande instance de la commune V de Bamako, Mahamoudou Haïdara, évoque le défaut d’entretien, la violence conjugale, l’impuissance sexuelle, l’alcoolisme. Selon l’article 352 du code des personnes et de la famille, un époux ne peut demander le divorce qu’en cas d’adultère de l’autre, d’excès de sévices, d’injures graves de l’autre rendant la vie conjugale impossible, la condamnation de l’autre à une peine afflictive et infamante, l’alcoolisme invétéré, la toxicomanie et le manquement à un engagement substantiel. L’épouse peut demander le divorce, lorsque le mari refuse de subvenir à ses besoins (alimentaires, sexuels, le logement, l’habillement et les soins médicaux).
Le vieux chef de famille, Moussa Diallo, est marié depuis 33 ans. Son couple tient toujours. A la lumière de sa longue expérience, il commente la fragilité des nouveaux couples à Bamako. Ce sage estime que le matériel, le manque d’éducation et le non-respect des valeurs ancestrales sont les principales causes des divorces aujourd’hui. La doyenne Hawa Diarra est très respectée à Torokorobougou, quartier de la commune V du District de Bamako. Elle regrette les temps anciens en ces termes :«à notre temps, le mariage se discutait entre les familles, et non entre les futurs mariés. Ce qui est malheureusement le cas aujourd’hui. Les mariés ne prennent plus le temps de se connaître suffisamment avant de se marier».
UN FONDS DE COMMERCE – Cette grand-mère, tout de blanc vêtue, assise sur son tapis de prière, révèle qu’à leur époque, le mariage était célébré avec 300 Francs maliens comme dot et 4000 autres Francs maliens destinés aux futurs beaux-parents et grands-parents de la mariée. Mais aujourd’hui où des sommes colossales sont déboursées pour seulement quelques mois de mariage, déplore-t-elle. «Avant de demander la main, le griot doit se rendre trois fois séparément, dans la future belle famille. Le but était d’observer et d’analyser le comportement de la future épouse. Si lors de la 1ère visite, la fille est présente, la 2è fois, elle fait la lessive et la 3è, elle puise de l’eau, on conclut que c’est une fille à marier. Mais si, lors de toutes ces visites, le griot trouve la fille en balade ou assise à la porte, il conclut que ce n’est pas une fille à épouser», se souvient la vieille Hawa Diarra. «A notre temps, il n’y avait pas de divorce. L’arbre sous lequel le divorce était décidé se desséchait», témoigne-t-elle .
Autrefois, les parents décidaient de tout. Aujourd’hui, tous nos interlocuteurs sont unanimes sur la faible implication des parents dans la décision finale. Sur ce point, plusieurs jeunes estiment que «nos mères ont fait du mariage un fonds de commerce. Surtout, quand la fille est charmante». L’exception confirme la règle. Le vieux Moussa Diallo affirme avoir éduqué ses enfants selon les principes que ses parents lui ont inculqués. Le mariage à la hâte et la jalousie des coépouses et leurs filles font beaucoup mal aux jeunes couples, avance une demoiselle qui a voulu gardé l’anonymat.
Le maître coranique, Mohamed Hady Barry, soutient que les mamans de maintenant ne causent plus avec leurs filles. Et les pères n’échangent plus sur le mariage avec leurs fils. Il n’existe aucun problème sans remède, tous nos interlocuteurs ont prodigué des solutions face au phénomène de divorce qui gangrène notre société. Il s’agit essentiellement du retour aux valeurs anciennes. Le jeune coiffeur, Yacouba Ballo, est marié depuis huit mois. Il demande à tous les parents d’assumer leur responsabilité en inculquant les valeurs fondatrices de la famille africaine à leur progéniture.
Amadou B. MAIGA
L’Essor