Une démocratie malienne décidément en souffrance ! Le régime du Président IBK qui piétine régulièrement les principes fondateurs de la démocratie et de l’Etat de droit, continue allègrement de clochardiser les institutions républicaines du Mali. Le tout dernier haut fait en la matière est la caporalisation de l’Assemblée nationale.En parlant justement de caporalisation, nous ne visons ici ni le fait que Moussa TIMBINE soit imposé par IBK au BPN du RPM comme Président de l’Assemblée nationale, ni la visite d’allégeance du 13 mai 2020du tout nouveau Présidentde l’Assemblée nationale à un simple Premier ministre au mépris de la hiérarchie institutionnelle au sein d’une République qui se respecte.
Il y a bien plus grave. La caporalisation de l’Assemblée nationale par IBK et son Premier ministreprend des allures encore plus déviantesde mise sous tutelle de cette institution, lorsqu’enpleine période constitutionnelle de 2ème session ordinaire, celle-ci se voit convoquée en session extraordinaire par le Décret n°2020-0240/P-RM du 05 mai 2020.Dans le fond, la problématique fondamentale du Décret n°2020-0240/P-RM du 05 mai 2020 portant convocation de l’Assemblée nationale en session extraordinaire est la suivante : en quoi la variation du calendrier électoral des législatives doit-elle influer sur les périodes constitutionnelles fixes des sessions ordinaires de l’Assemblée nationaledont le décret présidentiel ne prend aucunement compte?Formulée autrement, la problématique revient à se demander si le Président de la République peut effacer d’un trait, le calendrier constitutionnel figé des sessions ordinaires de l’Assemblée nationale.
L’Assemblée nationale est constitutionnellement en 2ème session ordinaire
Dans une République, c’est la Constitution qui fixe les règles du jeu institutionnel qui ne doivent souffrir d’improvisations quelconques. En se référant justement à la Constitution, la distinction est clairement établie entre les sessions ordinaires et les sessions extraordinaires de l’Assemblée nationale.La session ordinaireest la période précise de l’année,constitutionnellement figée et stable,où l’Assemblée nationale se réunit.L’article 65 de la Constitution dispose à cet effet: « L’Assemblée nationale se réunit de plein droit en deux sessions ordinaires par an. La première session s’ouvre le premier lundi du mois d’octobre. Elle ne peut excéder soixante-quinze jours. La deuxième session s’ouvre le premier lundi du mois d’avril et ne peut excéder une durée de quatre-vingt-dix jours ».
L’article 65 précise bien que la réunion en deux sessions ordinaires par an est de plein droit. Ce qui signifie que les sessions ordinaires se tiennent sans que ne soit nécessaire pour ce faire, aucun acte préalable de convocation d’une autre institution.
En considérant la 1ère session constitutionnelle qui s’ouvre le 1er lundi du mois d’octobre, il en résulte que la toute dernière en date de la législature inconstitutionnellement prorogée qui vient de prendre fin avait été ouverte le 7 octobre 2019. Elle a duré du 7 octobre au 20 décembre 2019, soit 75 jours.
Quant à la 2ème session ordinaire qui coïncide actuellement avec la rentrée parlementaire de cette 6ème législature, elle a débuté le premier lundi du mois d’avril correspondant au 6 avril 2020. La rentrée parlementaire de la 6ème législature tombe ainsi sur la période de tenue de plein droit de la 2ème session ordinaire de l’Assemblée nationale d’une durée maximum de 90 jours allant du 6 avril au 04 juillet 2020. En d’autres termes, constitutionnellement parlant, la 6ème législature se trouve actuellement en pleine 2ème session ordinaire.
Etant donné que les périodes des sessions ordinaires sont fixes et que par ailleurs la durée de la session ordinaire n’est pas affectée par l’expiration des pouvoirs de l’Assemblée nationale consécutive à une fin normale de mandat ou à une dissolution, la rentrée parlementaire de la nouvelle législature en cours n’a pu priver d’effetl’article 65 au regard de la période constitutionnelle de 2èmesession ordinaire actuellement ouverte.
Les sessions extraordinaires de droit commun sont constitutionnellement prévues dans l’intervalle des sessions ordinaires
Est qualifiée d’extraordinaire, toute session tenue en dehors de la période des sessions ordinaires. La session extraordinaire se situe en dehors des dates fixées à l’article 65 de la Constitution.Selon la Constitution, il en existe de plein droit et de droit commun.
Les sessions extraordinaires de plein droit renvoient à deux dispositions constitutionnelles : l’article 43 permettant à l’Assemblée nationale de se réunisse spécialement pour entendre un message du Président de la République lu par son Président et le dernier alinéa de l’article 50 selon lequell’Assemblée nationale se réunit de plein droit pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels du Président de la République.
Tout comme les sessions ordinaires de plein droit, les sessions extraordinaires de plein droit sont constitutionnellement dispensées de tout acte préalable de convocation par le Président de la République.Quant aux sessions extraordinaires de droit commun, elles sont prévues à l’article 66 de la Constitution qui dispose que « l’Assemblée nationale se réunit en session extraordinaire à la demande du Premier ministre ou de la majorité de ses membres sur un ordre du jour déterminé ». Ces sessions extraordinaires de droit commun sont censées se tenir uniquement en dehors des calendriers des périodes des sessions ordinaires fixées à l’article 65 de la Constitution. De manière concrète, la toute dernière 1ère session de la législature inconstitutionnellement prorogéeavait ouvert une période d’intersession allant du 21 décembre 2019 au 5 avril 2020.Quant à cette 6ème législature actuellement en pleine période de 2ème session ordinaire aux termes de la Constitution, elle débouchera sur une période d’intersession allant du 05 juillet au 04 octobre 2020.
Conformément à l’esprit de l’article 66 de la Constitution, la 6ème législature ne peut être convoquée à une session extraordinaire de droit commun que dans la période d’intersession du 05 juillet au 04 octobre 2020.
Les mécanismes de caporalisation de l’Assemblée nationale par le Décret n°2020-0240/P-RM du 05 mai 2020
Le Président de la République a beau être, comme dirait l’autre, la clef de voûte du système politique, il n’est nullement pour autant le Roi-Soleil qui gère la République à sa guise. Ses pouvoirs demeurent expressément cantonnés dans les limites de la Constitution. D’où la question suivante : de quel article précis de la Constitution le Président de la République tient-il le pouvoir de décréter la convocation d’une session extraordinaire de l’Assemblée nationale en pleine période constitutionnelle de 2ème session ordinaire allant du 6 avril au 04 juillet 2020 ?La question se pose au regard de l’article 67 selon lequel « Hors les cas dans lesquels l’Assemblée nationale se réunit de plein droit, les sessions extraordinaires sont ouvertes et closes par décret du Président de la République ». Ce qui signifie que les sessions extraordinaires ne sont ouvertes et closes par décret du Président de la République qu’en dehors des cas où l’Assemblée nationale se réunit de plein droit. Ces cas concernent les périodes des deux sessions ordinaires prévues à l’article 65 de la Constitution et les sessions extraordinaires prévues aux articles 43 et 50 de la Constitution.Compte tenu du fait que l’Assemblée nationale se réunit de plein droit en deux sessions ordinaires par an comme stipulé à l’article 65 de la Constitution, aucune session extraordinaire ne pouvait être convoquée par décret du Président de la République au cours de cette période de 2ème session ordinaire.
Le Président de la République a profité de la rentrée parlementaire de la 6ème législature déjà en pleine période de 2ème session ordinaire, pour s’arroger un pouvoir de tutelle sur l’Assemblée nationale à travers son décret de convocation.Le Décret n°2020 -0240/P-RM du 05 mai 2020 vient arbitrairement insérer, comme un cheveu dans la soupe, une session extraordinaire en pleine 2ème session ordinaire de l’Assemblée nationale !
L’objet du décret confirme davantage cette mise sous tutelle del’Assemblée nationale.On constate que pour l’essentiel, l’Assemblée nationale est convoquée sur un ordre du jour qui, pour l’essentiel, n’est pas véritablement l’affaire du Président de la République.
De ce point de vue, la session extraordinaire s’assimile carrément à une feuille de route donnée par IBK au pouvoir législatif comme à un gouvernement, auquel il instruit les tâches suivantes : élection du Président, examen du règlement intérieur, élection des membres du bureau, constitution des groupes et des commissions.
L’aberration institutionnelle atteint son comble lorsque deux projets de loi de ratification d’ordonnancessont glissés dans cet ordre du jour décidé par le Président de la République. Voilà un Président de la République et son Premier ministre qui, plutôt que de se préoccuper, conformément à une coutume « praeter legem », de la tradition républicaine de présentation de la démission du gouvernement après les législatives, s’évertuent à clochardiser l’institution parlementaire.
Que vaut encore le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs au Mali, lorsque de manière tout à fait autoritariste comme dans un régime de confusion des pouvoirs, le Président IBK dicte à l’Assemblée nationale ce qui relève tout simplement de la souveraineté institutionnelle de celle-ci ?
Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences
Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)