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Sékou S Gamby, politologue malien – « Au Mali, c’est le règne de l’exclusivité, mais pas du compromis » : Il faut une véritable refondation de l’Etat malien pour une paix durable.

Nous pouvons qualifier certaines parties du Sahel comme le disait Thomas Hobbes, « l’état de nature », un état de guerre de tout homme contre tout homme (Bellum omnium contra omnes) où il n’existe aucun pouvoir coercitif pour brider les passions de l’homme.  Un état où tous les hommes sont égaux, où tout homme est juge, où il n’y a pas de place pour l’accusation. Un état où il n’y a pas de lois ni de conventions civiles instaurées, des milliers de kilomètres carrées ou tout est abandonné à la fraude et à la force.

Dans tous les pays du G5 Sahel, il existe un « terrorisme résiduel ». Le malaise s’installe avec les accusations contre les militaires, souvent soupçonnés d’avoir un rôle dans ces violences. La lutte contre le terrorisme se fait surtout en repoussant ceux-ci au-delà des frontières. Malgré tout, les terroristes ont fait preuve d’une forte capacité opérationnelle : attentats contre les cibles militaires et administratives.

Des négociations et une reconnaissance politique (parti islamique)peuvent limiter des dégâts cependant il va falloir pour tous aiguiller l’énergie militaire contre des cibles précises qui sont les narcotrafiquants , la lutte contre l’économie souterraine et le blanchiment d’argent, la lutte contre les flux financier illicites doit être la priorité des États du Sahel.

L’économie souterraine est au cœur des activités criminelles et représente une menace importante en termes de sécurité intérieure de la stabilité économique du sahel. Il faut l’augmentation de la surveillance des circuits financiers. Mais aussi L’insécurité alimentaire due au changement climatique accroît le nombre des réfugiés écologiques, des luttes pour les terres fertiles, l’exode rural et aussi l’immigration clandestine des jeunes vers l’Europe qui sont tous des potentiels menaces contre l’économie mais aussi la paix.

 

Le cas du Mali, est d’une complexité incommensurable, voir impératif, en raison de la porosité de la situation. Il faut aller a la profondeur des recherches de solutions c’est à dire d’aller  à la refondation du Mali.

C’est un immense pays qui connaissait une longue tradition des royaumes et d’États indépendants. Il faut l’acceptation qu’il est un pays au pluriel du point de vue de ses territoires et de ses groupes humains (communautés). Ignorer cette réalité, au prétexte de protéger l’unité, c’est continuer à entretenir des frustrations, il faut défendre ensemble le droit d’être différents.

Il faut se rendre à l’évidence que les systèmes politiques, institutionnels et économiques de gestion publique n’avancent pas, il y’a une fissure entre les institutions et les attentes. L’État et ses administrations sont, de plus en plus, dans l’incapacité de gérer les territoires et de satisfaire les besoins. Pire ses représentants et leurs pratiques sont à la source de beaucoup de frustrations qui alimentent les révoltes, voire les rébellions. La seule voie pour donner un support qui rendrait possible la prospérité est qu’il faut conjuguer la diversité non pas par la régionalisation biaisée mais par une fédération sincère. Le découpage territorial doit aller dans le sens de l’auto-gestion réelle des territoires c’est à dire le fédéralisme.

Pourquoi le fédéralisme ?

Dans plusieurs États sortis des conflits. Des situations délicates comme celles du Mali, c’est à dire des situations post conflictuels, se sont reformés dans des nouvelles fédérations émergeant. Par exemple, au terme des Accords de Dayton, la Bosnie-Herzégovine s’est vue instaurer un régime fédéral. Ou L’Éthiopie, qui n’avait jamais pratiqué la démocratie de toute son histoire, a recouru au fédéralisme après que les rebelles eurent défait le président Mengistu. C’est à l’heure actuelle le seul pays d’Afrique à s’être doté d’une constitution explicitement fédérale et destinée à tenir compte de la grande diversité ethnique du pays.

Quant aux électeurs d’Irak, ils ont approuvé en 2005 une constitution. On voit aussi des exemples, la création d’une fédération par un processus de désagrégation comme le cas du Mali. En 1993 d’une constitution formellement fédérale, la Belgique en représente l’exemple le plus abouti. Quand l’Espagne, après la dictature du général Franco, a entamé un processus de décentralisation, elle a transféré à ses communautés autonomes des compétences significatives, au point de se transformer en une véritable fédération. Et lorsqu’elle s’est démocratisée à la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud elle aussi s’est dotée d’une structure respectant les canons du fédéralisme (en prenant l’Allemagne pour modèle). En 1994, lors des premières élections générales, la division du pays en neuf provinces a permis de retarder la monopolisation du pouvoir par l’ANC, celui-ci gagnant sept provinces, une restant aux Blancs du National Party et une autre aux Zoulous de l’InkathaFreedom Party.

Le Fédéralisme, une solution potentielle pour le renforcement de la démocratie

La démocratie est exigeante, la démocratie fédérale encore plus. Or, dans la grande majorité de la population malienne, on sent une conception trop étroite de la démocratie, qui se limite pour l’essentiel à l’organisation des élections. Et encore, pour parler trivialement, celles-ci semblent se limiter à la possibilité pour les citoyens de mettre des papiers dans une boîte, et pour les candidats (surtout ceux qui sont déjà au pouvoir) de trouver la meilleure manière de remplir la boîte d’avance. Au Mali, cette crypto-démocratie a permis de mettre en place des oligarchies, voire des ploutocraties, qui monopolisent le pouvoir. Dans un pays hyper centralisé, la démocratie reste encore une utopie.

En effet, une « véritable » démocratie va bien au-delà de la simple pratique des élections. Elle suppose un état d’esprit particulier. Elle est une construction et une volonté. L’aspect formel, pour ne pas dire rituel, des élections peut précisément inciter à leur détournement par toutes sortes de procédés servant à les truquer ou à en déformer les résultats, sans que cela paraisse important du moment qu’elles se sont tenues. Or, la démocratie au sens étymologique de « pouvoir du peuple » signifie précisément que le pouvoir n’appartient qu’au peuple. C’est temporairement qu’il est confié aux représentants du peuple, à charge pour ceux-ci de l’exercer pour le bien-être du peuple sans volonté de le détourner. De la sorte, la démocratie représente beaucoup plus qu’un simple exercice technique consistant à mettre sur pied un scrutin. Il s’agit surtout d’en respecter scrupuleusement les résultats, de veiller à l’alternance du pouvoir, qui ne saurait être confisqué par un parti, une personne ou une faction. Il convient que le pouvoir circule.

Un autre élément important est le respect de l’état de droit. Le déroulement sans faille des élections et le respect de la volonté du peuple imposent un respect sourcilleux des règles qui sont mises au fonctionnement de l’État. Le respect de l’État de droit implique également celui des droits humains, économiques, sociaux et culturels. De telles exigences se situent bien entendues aux antipodes de l’aspiration de notre système politique et institutionnel malien.

Dans ce contexte, il est clair que le fédéralisme impose des exigences encore plus grandes à la démocratie, ne serait-ce que par le nombre de règles de droit afférentes au fonctionnement de l’État fédéral lui-même. La démocratie dans une fédération est en quelque sorte doublée, puisque le respect de l’État de droit, de l’alternance, des droits humains etc. s’impose au niveau central et à celui des États membres. Au surplus, il convient de gérer les relations entre l’État central et ses États membres de manière à laisser à ces derniers une marge de manœuvre suffisante, notion qui se situe au cœur même du fédéralisme. Le fédéralisme exige un subtil exercice de l’art du compromis pour satisfaire les multiples composants de la fédération. En contrepartie, il rend plus facile l’exercice de la démocratie, puisque la décentralisation du pouvoir permet d’organiser plus facilement les élections, voire les scrutins de démocratie directe dans les pays qui les pratiquent.

On est fort loin de tout cela au Mali : demandes sociales non satisfaites, crimes économiques, mauvaise gouvernance etc. C’est le règne de l’exclusivité, mais pas du compromis. En fin de compte, les moyens soi-disant consacrés à la démocratie servent plutôt à l’embourgeoisement de la classe au pouvoir par des stratégies basées notamment sur la fraude et l’achat des consciences, exercice d’autant plus facile que les masses populaires sont peu instruites. Finalement, la démocratie s’est traduite par des crises de leadership, le vol des urnes, la dilapidation des fonds ou le bourgeonnement des partis politiques. Sans oublier les rancunes à vie par refus de partager le « butin »

Le Fédéralisme pour le développement

Quand on examine les grandes fédérations du monde, on y trouve nombre d’États prospères comme les États-Unis, le Canada, l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, l’Afrique du Sud, la Malaisie, voire l’Inde qui reste la plus grande démocratie du monde. On se rend compte que les fédérations sont souvent des puissances économiques de première grandeur, mais évidemment cette caractéristique traduit également le fait que le fédéralisme est un moyen de gouvernement permettant de gérer de grands États. Enfin, la réforme de l’État unitaire, a un État fédéral est la seule voie qui permettra de redéfinir les responsabilités et les nouvelles règles de mobilisation des différents acteurs et leurs modes d’interaction, une refondation qui demandera que les élites portent un nouveau regard. Le fédéralisme serait le socle sur lequel le Mali sera à même de bâtir une nation jeune et dynamique sous l’angle de la stabilité et de l’évolution vers la prospérité.

Il faut relever à quel point le fédéralisme, en tant que cadre institutionnel de la structure étatique, serait d’une importance primordiale pour le Mali. Vu l’ampleur des enjeux, il ne serait pas inutile de « regarder plus loin que le bout de son nez » pour tirer des leçons des réussites et des déboires d’autres fédérations.  Il serait présomptueux d’avoir une solution globale. Il faut réinventer la forme de la démocratie entre la puissance publique et le peuple. Inventer un nouveau répertoire pacifique des mobilisations. Tenter de chercher un nouveau récit commun, un ‘nous’, et mettre en commun l’avenir.

« Osons porter le débat sur nos trajectoires politiques, institutionnelles et de développement jalonnées de reformes superficielles et inachevées. Osons interroger le modèle politique et institutionnel qui ne fonctionne pas ; parce qu’il ne nous accepte qu’à la condition d’être nu, c’est à dire sans nos patrimoines communautaires et nos traditions, qui pour les élites symbolisent le passé et la division. Il est plus que temps, car si nous ne gérons pas nos différences dans le dialogue sincère, certains feront le choix d’imposer l’acceptation de leur différence par des armes en prenant appui sur les frustrations réelles ou imaginaire.»

Sékou S Gamby

Source: Le Républicain

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