Le chanteur malien Salif Keita, un seigneur de la musique ouest-africaine, va défendre au cours de concerts dans plusieurs pays jusqu’à fin juillet les compositions de « Un Autre Blanc », son dernier disque paru fin 2018 et empreint d’une nostalgie qu’il revendique.
« C’est très nostalgique, je n’ai pas voulu trahir trop le temps passé, qu’il n’est pas facile d’oublier », confie ce fer de lance d’une musique mandingue qu’il a su moderniser tout en préservant son caractère traditionnel, depuis ses débuts en 1970.
Son album, truffé de grooves et de phrasés mandingues, renvoie au temps où Salif Keita, fils de noble, a bravé l’interdit de sa caste pour se faire chanteur.
« Dans la musique, il y avait à l’époque beaucoup plus d’âme, pas trop de machines, ce sont les gens qui jouaient », raconte celui qui fut à cette époque dorée la voix d’or du Super Rail Band, puis des Ambassadeurs, groupes phares des nuits de Bamako dans les seventies.
On ne refuse rien à un « vieux lion », sollicité par les plus grands (Cesaria Evora, Carlos Santana, Wayne Shorter…) au cours d’une riche carrière internationale. Salif Keita a convié sur cet enregistrement quelques invités de marque: la Béninoise Angelique Kidjo, le groupe vocal sud-africain Ladysmith Black Manbazo, l’Ivoirien Alpha Blondy…
– « Du pur mandingue » –
Mais l’essentiel n’est pas dans ces duos de prestige. Le coeur de sa musique bat ailleurs, sur le tonique « Were Were », les longues mélopées que sont « Syrie » ou « Tiranke », les entraînants « Tonton » et « Lerou Lerou » où il suffit alors de suivre la cadence pour se retrouver sur la piste de danse du Motel ou du Buffet de la Gare, fiefs des Ambassadeurs et du Super Rail Band.
« La musique, ici, c’est du pur mandingue », se régale Salif Keita: éclats des choeurs qui claquent, voix, gerbes de guitares, batterie agile, basse bondissante, kora chatoyante….
Pour renforcer encore la nostalgie, il offre à un orfèvre de la guitare, Djessou Mory Kante, l’occasion de ciseler ses solos.
« C’est le petit frère de Kante Manfila –l’un des plus grands guitaristes mandingues et ancien compagnon de route du chanteur–« , confie Salif Keita. Qui, grâce à sa présence, « reste en famille ».
Pour construire ce disque dont il interprétera les chansons en concert de fin avril à fin juillet dans plusieurs pays (France, Suisse, Pays-Bas, Canada, Espagne…), son auteur a pris son temps: « Un autre blanc » arrive plus de six ans après « Talé », le précédent.
– « Un au revoir aux albums » –
« Pour faire un album, il faut prendre son temps, sinon tu ne fais rien de bon », explique son auteur. « On a besoin de recul pour faire les textes », ajoute celui qui s’attarde encore ici sur des aspects de la société.
« Un autre blanc », son titre, fait référence à sa condition d’albinos, dont il a souffert dès la petite enfance.
« Les albinos sont diabolisés, stigmatisés, poursuivis tous les jours », affirme celui qui s’est réfugié dans le chant « parce que je ne pouvais rien faire d’autre », ostracisé à cause de sa différence et handicapé par une mauvaise vue l’ayant empêché de devenir instituteur.
« Ils le sont aujourd’hui encore, d’une façon beaucoup plus discrète parce qu’on a commencé à en parler, à dénoncer, à créer des associations », poursuit ce militant pour qui « un comportement culturel mettra du temps à disparaître ».
Il se pourrait bien qu’ »Un Autre Blanc » soit le dernier disque de Salif Keita.
« Je ne serai plus là pour composer dix morceaux pour faire un album, c’est certain », dit-il d’un ton las, en plissant les yeux, fatigué par la lumière. « Pour moi, c’est un disque pour dire au revoir aux albums ».
Je ferai peut-être encore des collaborations, des morceaux isolés par ci par-là », ajoute cependant un homme de plus en plus casanier.
Attention, le vieux lion peut rugir encore.
AFP
Journal du mali