Si le report des élections communales vise un meilleur ancrage du processus de réconciliation et une meilleure implication des populations, il peut cacher aussi des agendas politiques subtiles.
Le Conseil des ministres du mercredi 26 février 2014 a décidé de proroger les mandats des élus communaux pour six mois. Ainsi, les élections municipales qui devaient avoir lieu en avril prochain, les mandats des élus locaux prenant fin en mai 2014, ne se tiendront qu’en octobre. Comme principaux motifs invoqués par le gouvernement pour justifier ce report, on peut retenir notamment le retour des réfugiés et des déplacés du Nord, la mise en œuvre d’un certain nombre de recommandations des états généraux sur la décentralisation et l’aboutissement du processus de réconciliation nationale.
Or, selon certaines indiscrétions, la mesure qui n’a pas été approuvée par plusieurs formations politiques, serait motivée aussi par la volonté de certains acteurs politiques de mieux s’implanter dans le pays profond.
En effet, il est de notoriété publique que le RPM et d’autres partis ont été pendant longtemps affaiblis dans les zones reculées du pays, n’ayant pas connu la même implantation que d’autres formations politiques du microcosme national comme l’ADEMA-PASJ. Certains acteurs politiques voient donc dans la décision du gouvernement de retarder la tenue des élections communales un moyen pour les cadres régionaux du parti de déployer rapidement leurs tentacules afin d’élargir leurs bases avant octobre 2014. Ainsi, ils pourront faire de bons résultats lors de ces élections de proximité.
Par ailleurs, l’argument d’une meilleure organisation de ces élections semble peu convainquant dans la mesure où le ministre de l’Administration, dans ses précédentes sorties, tenait à la volonté du gouvernement d’ achever tout le processus électoral dans les meilleurs délais. En clair, ce n’est pas en reportant les élections que la machine administrative chargée de leur organisation va faire des scrutins irréprochables. De même, l’argument de la nécessité du retour des réfugiés et des déplacés dans leurs zones de départ n’est pas convaincant en ce sens que les statistiques ont toujours démontré que les populations se sont faiblement mobilisées pour ces élections. Les taux de participation des communales de 2009 ont par exemple été des plus faibles au Mali descendant jusqu’à moins de 20% dans certaines parties du territoire.
Certains défenseurs du report de ces élections évoquent le contexte sécuritaire et la réconciliation nationale qui vont s’améliorer à l’horizon d’octobre 2014. Mais l’on semble oublier que la présidentielle et les législatives se sont tenues dans un pays en proie à des attentats et des menaces jihadistes. Pourtant cela n’a pas empêché tous les observateurs d’applaudir les conditions de déroulement des scrutins.
Au moment où la gouvernance locale est encore décriée et la gestion notamment du foncier au niveau des municipalités fait l’objet de toutes les récriminations, donner six mois de sursis aux dirigeants communaux actuels laisse perplexe plus d’un observateur. Quand la question du transfert effectif des compétences et des ressources aux collectivités territoriales est appelée de tous leurs vœux par les acteurs politiques en vue d’un approfondissement de la décentralisation, proroger les mandats des élus locaux n’est pas souhaitable. Dans la mesure où cette prorogation, même si elle est prévue par la loi, conduit en réalité à un déficit de légitimité des maires et d’autres élus, censés être les représentants des populations à la base.
Il faut rappeler que la question du report de ces élections avait pendant un moment opposé le ministre de l’Administration territoriale au ministre délégué, chargé de la Décentralisation. Le premier tenait à aller aux urnes à terme échu, le second, ancien président du Collectif des ressortissants du Nord, souhaitant le report pour une prétendue meilleure participation des réfugiés revenus au bercail.
Bruno D SEGBEDJI
SOURCE: L’Indépendant