Le 17 mars 1980 Abdoul Karim Camara dit Cabral, secrétaire général de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (Uneem) était atrocement assassiné par le régime dictatorial du général Moussa Traoré. Cela fait juste aujourd’hui 43 ans. Le devoir de mémoire nous impose cet article, pour rappeler les circonstances dans lesquelles il a été arrêté, torturé et assassiné par le régime militaro-civil de GMT.
Il serait très difficile, voire impossible pour la famille Camara (sise à Bolibana) d’oublier la mort d’un de ses fils, Abdoul Karim Camara. Sa vieille mère Coumba Camara a porté cette blessure indélébile dans son cur jusqu’à son décès. Elle s’est quand même rappelée par la suite, qu’un vieux lui a dit dans un véhicule de transport en commun que son enfant serait dans l’avenir au centre d’une grave émeute aux conséquences incalculable.
A l’époque, Cabral avait moins de 2 ans. La mère a imaginé une querelle passagère de quartier entre jeunes adolescents. Faux calcul ou mauvaise interprétation ? La vieille Coumba a souffert dans sa chair. Les compagnons de lutte de Cabral, Rokia Kouyaté, Tiébilé Dramé, Mamoutou Thiam et autres se souviendront de lui jusqu’à leur dernier souffle. Parce qu’il a eu le courage, l’audace de diriger le mouvement estudiantin, au prix de sa vie.
L’année scolaire 1979-1980 est une autre page noire de l’histoire du Mali. Les élèves et étudiants du Mali (Uneem) pour avoir réclamé de meilleures conditions de vie sont traqués jusque dans leurs derniers retranchements (domiciles familiaux). Conséquence : des assassinats, des arrestations et la clandestinité pour beaucoup. A l’issue du congrès de l’Union nationale des jeunes du Mali en janvier 1980, le secrétaire politique de l’UDPM annonce la dissolution de l’Uneem.
C’était une façon de museler les étudiants dont la porte-voix serait les comités UNJM dans les différents établissements scolaires. Les élèves et étudiants ne pouvaient accepter une telle décision politique, dont le dessein est connu. Face à cette tentative de déstabilisation de son mouvement, le bureau de coordination de l’Uneem instruit la résistance à ses différents comités.
En février 1980, les élèves de Banankoro se font entendre pour imposer leur comité Uneem. Ce qui conduit à des arrestations des membres du bureau de coordination dont Tiébilé Dramé. La situation s’embrase principalement à Ségou. Un congrès clandestin se tient dans cette atmosphère de confusion, et porte le charismatique Abdoul Karim Camara dit Cabral aux destinées de l’association estudiantine. Son bureau présente un lot de revendications : la libération immédiate et inconditionnelle des élèves de Ségou, la reconnaissance du nouveau bureau de coordination, la suppression de la 10e commune, l’abrogation du décret instituant le concours d’entrée à la fonction publique, la régularisation des bourses, la construction d’universités et de lycées dans toutes les régions du pays. Parce que les élèves qui venaient de l’intérieur avaient de sérieux problèmes de logement et de nourriture. Certains n’avaient aucun parent dans la capitale et les bourses ne tombaient pas à temps. Voici le seul tort des jeunes.
Face à la détermination des élèves, l’Etat durcit le ton avec des arrestations. Surtout que ceux-ci envisageaient de saboter la Conférence des chefs d’Etat des pays sahariens. Cabral qui dirige le mouvement dans la clandestinité est recherché partout, mais en vain. Le pouvoir monte la pression sur ses parents avec l’arrestation de sa mère et de son frère. Le commissariat du 2e arrondissement apprend que sa sœur ainée, Fanta Camara, est complice de sa fuite, sur la Guinée Conakry. Elle est arrêtée à son tour pour confirmer que son frère est en route pour le pays voisin. Alors le jeune Cabral est arrêté dans sa tentative de fuite l. Destination ? Le commissariat du 2e A où son calvaire commence avec des tortures morales et physiques.
Qu’est ce qui s’est passé en ces lieux ? Le témoin oculaire Rokia Kouyaté, ancienne secrétaire générale du lycée de jeunes filles et membre du bureau de coordination de l’UNEEM se souvient : “C’est ce jour 16 mars que Cabral a été conduit au 2e arrondissement où étaient détenus sa mère, deux de ses frères. A la vue de son fils entre les mains des policiers, la mère a poussé un cri qui résonne à présent dans mes oreilles. Une mère impuissante devant les bourreaux de son enfant. Cabral et moi sommes conduits dans le bureau du commissaire. C’est là où les tortures ont commencé. Je gardais mes habits, Cabral était en slip. Sous les coups de cravaches, il n’a poussé qu’un petit cri Hé Allah. Le commandant Mohamed Kéita l’a giflé à deux reprises, avec des insultes grossières adressées à ses parents. C’est le même jour qu’on l’a obligé à lire un communiqué invitant nos camarades à reprendre les cours. Il était affaibli, agonisant. Le 17 mars, nous avons été transférés à la Compagnie Para. Là aussi les tortures ont continué. Avec un sac rempli de sable au dos, Cabral faisait le tour du terrain sous une pluie de cravaches.
Dans ma cellule, je voyais tout par la petite fenêtre. Un moment, Abdoul Karim est tombé et il était vraiment atteint. C’est ainsi qu’on l’a transporté sous la véranda. Il demandait à ses bourreaux de lui verser de l’eau sur le corps. C’est mon tour de torture qui était arrivé. On m’a extraite de force du violon, j’étais en train de résister en criant très fort. Cabral couché à terre a levé sa tête pour me répondre par un regard qui en disait long sur notre sort. Il s’est recouché, c’était son dernier geste. Il venait dêtre assassiné par le régime dictatorial de Moussa Traoré”.
Une semaine après le décès de Cabral, tous ses camarades détenus à Bamako et à l’intérieur du pays sont libérés, les écoles sont fermées, des étudiants sont persécutés.
Le pouvoir na pas voulu remettre le corps du jeune leader estudiantin à ses parents. Sa mise en terre est organisée dans la clandestinité, et un flou demeure sur son lieu d’enterrement.
A la suite de ce mouvement de l’Uneem, le président Moussa a mesuré l’ampleur des événements produits. Il fallait tirer tous les enseignements nécessaires. C’est ainsi qu’il a mis en place une commission pour analyser les tenants et les aboutissants de cette situation, des propositions de des solutions. Ladite commission dirigée par le colonel Youssouf Traoré a fourni un rapport dont les grandes lignes sont ainsi publiées :
– Les effectifs et le personnel occasionnent des charges budgétaires de plus en plus lourdes. L’organisation des élèves et étudiants pose des problèmes politiques dont la solution n’est point aisée ;
– Le dialogue avec les autorités administratives et politiques n’a pu satisfaire ni les élèves et les étudiants d’une part, ni les professeurs d’autre part. L’une des conséquences fut le boycottage en 1980 des examens scolaires qui se sont déroulés dans une atmosphère de tension ;
– La rentrée de l’année scolaire 1980-1981 a été marquée par de sévères mesures dont la fermeture de trois établissements. La réorganisation hâtive des lycées et la révision du mode d’attribution des bourses et allocations scolaires ne semblent pas être des mesures propres à résoudre, du moins dans l’immédiat, la crise qui pourrait au contraire se répercuter dans les régions sous l’action de ceux qui y ont été transférés ;
– Les conséquences qui découlent de ces mesures seront développées plus loin du point de vue social, politique et économique ;
– Des propositions concrètes portant sur la situation de l’école malienne en général, l’éventualité de la reconsidération de certaines mesures prises à l’encontre des scolaires et étudiants, la mise ne application de la circulaire réhabilitant l’enseignement ainsi que sur la condition de l’enseignant, le problème des bourses et allocations scolaires et le cadre social des lycées régionaux ont été faites objectivement dans cette étude, dans le but exclusif de souligner après coup, la portée politique et social des dispositions qui ont été prises.
Ce fut le top départ du clash Moussa Traoré-Youssouf Traoré.
O. Roger Tél : ( 00223) 63 88 24 23
Source: Aujourd’hui-Mali