Fervent musulman et adepte de la « Tidjania », le père de Siré Diallo n’a jamais voulu envoyer ses enfants à l’école des Blancs. Mieux, il ne voulait pas non plus les voir jouer au ballon, au risque de rater les cours coraniques. Mais le seul fait que ses enfants soient nés dans le quartier populaire de Médina Coura suffit pour qu’ils deviennent des jeunes talentueux que rien ne peut empêcher de jouer au football. Et c’est à juste titre que son père a affirmé que le destin a prévu pour Siré un meilleur avenir que celui qu’il avait voulu choisir pour lui. C’est à dire qu’il a été convaincu des qualités de son enfant, qui du reste était un pied gauche magique, doté d’une technicité hors pair.
Doué dans les dribles éliminatoires, il avait aussi une force de frappe impressionnante, surtout aux abords de la surface de réparation. Bref, Siré Diallo a fait les beaux jours du Stade malien de Bamako et de l’équipe nationale. Repéré dans les rues par le coach Ben Oumar Sy, il signe sa première licence au Stade Malien de Bamako en 1962, en tant que junior. Pour donner plus de liberté au jeunot, le président des Blancs de Bamako, Fousseyni Diarra « affronte » le vieux Diallo, en lui signifiant que Siré est désormais son enfant. A ce titre, il n’a plus d’autorité sur lui.
Qui est Siré Diallo ? Comment a-t-il regagné la France ? Quelle a été sa vie à l’Hexagone ? Qu’est ce qui explique son retour inattendu au Mali ? Quel conseil donne-t-il aux acteurs du football malien ? L’ancien joueur du Stade malien de Bamako et des Aigles du Mali a bien voulu répondre à ces différentes questions, dans le cadre de la rubrique « Que sont-ils devenus ? ».
Après avoir lu le livre autobiographique de Siré Diallo, la question était de savoir s’il fallait encore le rencontrer ? Mais la rubrique « Que sont-ils devenus ? » révèle des faces cachées de la vie des héros.
Perdu dans un cyclone d’émotions suite à l’accueil chaleureux à nous réservé par la famille Diallo, notre entretien avec Siré a eu de la peine à commencer. Et pour cause ! L’une de ses épouses du nom de Kadiatou Ina Sidibé (sa petite-fille d’environ quatre ans), qu’il portait dans ses bras, tenait à ce qu’il respecte une tradition. Pour nous permettre de réaliser notre interview, il fallait donc trouver un alibi pour la consoler.
C’est après avoir fait valoir ses droits à la retraite que Siré Diallo murit l’idée d’écrire un livre sur sa vie. Tout va très vite quand sa fille ainée lui offre un ordinateur portable. Une façon pour Ina d’occuper son père. Effectivement, celui-ci, qui a toujours raconté son parcours à ses enfants, se dit qu’il est temps d’écrire cette vie pleine de sensations. Commence alors la phase rédactionnelle du bouquin en 2004. Entre temps son ami, Salif Keïta dit Domingo, qui a hérité de la présidence de la Femafoot, le nomme avec la double casquette de chargé de mission et conseiller spécial. Tant bien que mal l’enfant de Médina Coura produit le livre après le décès de l’unique garçon de sa progéniture, en décembre 2016. Un évènement malheureux qu’il a tenu à insérer dans le livre.
Siré Diallo est fier en affirmant que le football auquel il a consacré toute sa vie lui a également tout donné. Et ce football malien est malade depuis bientôt cinq ans. Nous l’avons rencontré au lendemain de l’Assemblée Générale ordinaire qui semble indiquer le bout du tunnel.
A l’avant-veille de l’élection d’un nouveau bureau exécutif de la Femafoot, quel conseil Siré Diallo a-t-il à donner aux deux camps ?
Tout d’abord, il conseille au Comité de normalisation d’éviter de trainer à convoquer l’AG qui consacrera, enfin, l’élection d’un nouveau bureau de la Fédération, dont la première mission doit consister à rassembler la famille du football malien. Au-delà, il estime qu’il est temps que les différents acteurs mettent balle à terre pour l’intérêt supérieur de la nation. Qu’ils acceptent d’aller aux élections sans animosité, sans haine. En un moment donné, il a demandé au président IBK, à travers nos colonnes, d’appeler les deux camps pour proposer un bureau consensuel. Malheureusement, son cri de cœur n’a pas produit les résultats escomptés. Sa réflexion a été tellement appréciée que des amis se sont bien rassurés que le président lui a certainement passé un coup de fil par rapport à la recette qu’il a proposée. Mais hélas ! Selon Siré, le football malien constituait une famille à leur temps, les différents joueurs des différents clubs se côtoyaient, se donnaient des conseils même en dehors du terrain. C’est cet esprit qui l’a poussé à faire des remontrances à feu Sory Ibrahim Touré dit Binké. Comment ? Il rappelle : « En 1991, lors d’un match de l’As Réal, l’entraineur a sorti Binkè. Il n’était pas content et brusquement il a jeté son maillot par terre. Je n’ai pas apprécié son attitude et c’est là que j’ai appris qu’il est le fils de Nany. On m’a même expliqué le lieu où il est fréquent, pour prendre du thé. Le lendemain, je suis parti lui faire des remontrances par rapport à ce qui s’est passé. Il s’est excusé et dès lors il n’a cessé de me rendre visite. Binkè a compris que je suis son père et il s’est comporté en bon fils. Cela est réconfortant ».
Le jeune âge de Siré Diallo n’a pas entravé son ascension. L’encadrement technique stadiste l’utilise lors des matches de séniors, notamment le tournoi d’Abidjan en octobre 1963, le championnat du district, et ce match amical en mai 1964 à Abidjan. Avec une telle dose d’expériences, l’avenir de Siré Diallo ne peut qu’être promoteur. En effet, il intègre l’équipe nationale en 1963 et s’impose comme une véritable tour de contrôle, en compagnie de Salif Keïta dit Domingo, Idrissa Touré dit Nany. Cependant, au Stade et en équipe nationale, le jeune Siré Diallo est parfois frappé de coups durs, que lui-même assimile parfois à de l’injustice. Pour causes de blessures, sa carrière connaît des interruptions qui freinent son ascension. Dans son club, certes il joue d’innombrables matches des éliminatoires de la Coupe d’Afrique des clubs champions, mais il rate également des finales de Coupe du Mali. Cependant, il joue celle de 1972 qui marque les esprits.
Après ce sacre, un mal de genou le prive de la CAN de Yaoundé jouée la même année. Auparavant et comme mentionné dans son livre, après avoir raté par malchance le voyage de Djakarta et de la Chine avec l’équipe nationale, Siré va à nouveau connaitre un autre coup du destin. En effet, au bout de quelques mois d’internat, il se voit écarter de la sélection. Aujourd’hui, selon lui, il est loin d’avoir l’idée de blâmer les présumés responsables parce que convaincu de la philosophie, selon laquelle, si parfois l’effort est trop grand pour la faiblesse humaine de pardonner les maux qui nous viennent d’autrui, à la place du pardon, il faut faire passer l’oubli.
Les moments difficiles de sa carrière n’affectent en rien son moral et Siré Diallo se bat contre vents et marées, jusqu’à continuer sa vie en France
Une analyse de son parcours révèle qu’il n’a rien forcé dans la vie pour se faire un chemin. C’est-à-dire, les concours de circonstance ont toujours constitué pour lui une porte de sortie. Très intelligent, la nature l’a doté d’une chance rare. Comment ?
Joueur du Stade malien et de l’équipe nationale, il est recruté au Grand Hôtel comme réceptionniste en 1967. Il est affecté quelques années après au Motel de Djicoroni, où il rencontre un expert-comptable américain en mission d’audit à l’Ambassade de son pays. Celui-ci, impressionné par la présentation de son compte à la fin du séjour, n’hésite pas à lui proposer le poste de caissier à l’Ambassade des USA. Siré Diallo, qui parle bien l’anglais, occupe ce poste de 1971 à 1972.
En août 1972, il profite d’un congé pour aller en France. Une fois dans l’Hexagone, il rencontre l’entraineur du Stade Français, Joseph Mersié. Lequel le met en contact avec le club, l’USM Puteaux. A la fin de la saison, il décroche un job à Aubert et Duval, jusqu’en 1973, date de son départ à Grenoble pour travailler au Crédit Agricole de Lisère. Pendant ce temps, il entreprend des cours de banque. Au bout de neuf ans de carrière bancaire (1973-1982) Siré Diallo affirme avoir pensé à retourner au pays, malgré le salaire conséquent et d’autres avantages qu’il avait. Son directeur général, qui l’appréciait beaucoup, lui avait pourtant proposé la nationalité française. Mais il avait décliné l’offre.
Pourquoi a-t-il renoncé à la proposition de son patron ? Avait –t-il d’autres promesses au Mali ? Quelle a été la suite des événements à son retour au Mali ?
Siré explique : « Le président Modibo Keïta nous avait inculqué la notion de patrie. Nous étions convaincus du bien-fondé de sa philosophie par rapport à l’amour du pays. Accepter la nationalité française ne serait –elle pas une trahison des idéaux du Président, et surtout de mon pays ? Voilà pourquoi je n’ai pas voulu me naturaliser. Mes deux premières filles, parce qu’elles sont nées là-bas, ont la nationalité française, mais pas leur père qui a délibérément refusé. Je n’avais aucune promesse au Mali, mais à mon arrivée je suis allé voir les dirigeants du Stade malien afin qu’ils me trouvent du boulot à la Banque Malienne de Crédit et de Dépôt. Ceux-ci me voulaient plus comme entraineur du Stade malien de Bamako. J’ai fini par trouver du travail au Corps de la Paix, le 24 décembre 1984, pour ensuite démissionner au profit d’une ONG. En 2001, je retourne à l’Ambassade américaine. Quatre ans plus tard, c’est-à-dire en 2005, j’ai fait valoir mes droits à la retraite ».
A peine songe-t-il à se créer un nouvel emploi du temps que le président de la Femafoot à l’époque, Salif Keïta, le nomme au poste de chargé de mission. Boubacar Baba Diarra, qui a remplacé Domingo, confirmera Siré Diallo dans ses fonctions de conseiller, mais cette fois-ci chargé de la préparation des séjours des équipes nationales à l’étranger. Ces marques de confiance de Salif et Baba constituent pour lui un honneur. A présent, il continue de collaborer avec les deux hommes. Bref, ils se téléphonent et se fréquentent régulièrement.
Agé aujourd’hui de 74 ans, marié et père de trois enfants, Siré Diallo est un vieux retraité qui parcourt 35 km par jour. C’est-à-dire que, du lundi au vendredi, il quitte son domicile sis à Faladié Séma pour l’ACI 2000 au bureau de son ami. De là-bas, il va à Medina Coura pour retrouver ses amis, avant de rentrer à la maison le soir.
Comme bons souvenirs, il retient son premier match international contre l’Asec d’Abidjan en 1964 à Bamako, dans le cadre des éliminatoires de la Coupe d’Afrique des Clubs Champions. Sur un centre d’Idrissa Touré dit Nany (sélectionné par le Stade) il exécute le portier ivoirien. L’effort des muscles provoque une crampe dans les jambes et Siré se retrouve à la touche au moment du coup de sifflet final. Autre bon souvenir, ce but contre les Ethiopiens en demi-finale de la même compétition, en février 1965, et enfin la finale de la Coupe du Mali contre l’Avenir de Ségou, en 1972. C’est la seule coupe nationale qu’il remporte avec le Stade malien. Pour les autres, les blessures régulières l’en ont empêché.
O. Roger Sissoko
Source: Aujourd’hui-Mali