Aïssata Guinto est le fruit de la pépinière du pionnier du basketball malien, feu Amadou Daouda Sall. L’analyse de sa carrière conclut à un constat : elle a le basketball dans l’âme. De Bamako à Dakar, en passant par l’ex Urss, elle a laissé des tâches indélébiles, pour avoir été de la campagne des différents clubs et de l’équipe nationale. Dans le cadre de notre rubrique « Que sont-ils devenus ? », nous avons rencontré Aïssata Guinto pour évoquer sa longue et riche carrière, marquée par de bons souvenirs, mais aussi de mauvais, de coups durs et de coups bas, ainsi que d’anecdotes à couper le souffle. Découvrons la complice et amie inséparable de cette autre vedette du basketball malien, Salimata Dembélé dite Sali (Voir Aujourd’hui-Mali du vendredi 15 septembre 2017).
Justement, c’est suite à l’article sur cette ancienne joueuse du Stade malien de Bamako et des Aigles du Mali, qu’un de nos doyens de la presse a appelé à notre rédaction pour nous proposer de nous intéresser à une autre basketteuse des décennies 1970-1980, en la personne d’Aïssata Guinto. Selon notre interlocuteur, elle est la complice et même l’acolyte de notre héroïne de la semaine dernière tant en club qu’en sélection. Il nous supplie et ajoute : «Si vous faites ce que je viens de vous suggérer, vous auriez rendu un hommage à feu Demba Coulibaly, qui trouvait toujours les mots justes pour commenter les combinaisons entre les deux anciennes gloires ». L’interlocuteur s’est chargé de nous mettre en contact avec Aïssata Guinto, que nous avons retrouvée sans trop de peine.
Comme du lait sur le feu !
Voilà une dame qui donne l’impression d’un professeur d’université qui a l’art de convaincre. Dans un langage limpide, elle a brossé l’histoire du basketball malien et sa carrière. C’est là que nous avons compris toute sa complicité avec Sali Dembélé. Cette preuve nous a été administrée, lorsqu’elle a reçu trois coups de fil (sur divers sujets) de Sali durant les deux heures qu’a duré notre entretien.
Aïssata Guinto tient aujourd’hui à rendre hommage à tous ces entraineurs qui ont donné un sens à sa carrière. Il s’agit de feu Amadou Daouda Sall, feu Kandé Sy et feu Dramane Coulibaly dit Draba. Ceux-ci lui ont inculqué les B.A.BA du basketball.
La carrière de Guinto a commencé au début des années 1970 (plus précisément en 1972) quand elle regardait ses deux frères s’entrainer après l’école. Cette situation a créé en elle l’envie de pratiquer la discipline. Et elle franchi allègrement le pas, avec des aptitudes de future grande basketteuse. Mais le père d’Aïssata Guinto, un vieux conservateur, ne l’entendait pas de cette oreille. Il voulait que sa fille entreprenne des études supérieures. Pour cela, il faisait un suivi minutieux de ses études. C’est pourquoi, notre héroïne disparut de la scène, après un tournoi de mini basket, au terme duquel elle enleva le prix de la meilleure joueuse. C’était là un gâchis qu’une basketteuse dont le talent promettait un avenir radieux soit privée de terrain. Amadou Daouda Sall le comprit et prit la courageuse décision de braver l’autorité parentale d’Aïssata. Il fait rechercher et localiser Aïssata, qui est remise en selle. Elle signe au COB et y passe deux ans.
En 1974, elle est sélectionnée en équipe nationale lors d’un tournoi joué à Dakar, au Sénégal. Afin de mieux préserver son efficacité et son rendement en équipe nationale de basket, les responsables et dirigeants de la balle au panier lui interdisent le chemin de l’athlétisme, discipline dans laquelle Aïssata avait commencé à donner des signes d’avenir.
Ainsi, après la compétition de basket de Dakar, elle transfère au Stade malien de Bamako, pour prendre la relève des cadres qui venaient de raccrocher. Sur place, elle trouve sa future complice, Salimata Dembélé dite Sali, et un troisième maillon. Ainsi est né le trio infernal Aïssata Guinto-Sali Dembélé-Fouky (de son vrai nom Fatoumata Haïdara). Les nostalgiques du Pavillon des sports sont sans doute en train de ressasser cette belle épopée du basket-ball malien.
Avec le travail magique d’Amadou Daouda Sall, ce trio a fait de l’équipe des Blancs de Bamako un adversaire redoutable face à ses éternelles rivales du Djoliba et du Réal.
Aïssata Guinto se rappelle encore de ces séances d’entrainement sans ballon, sur le sable mouvant et dans les gradins. Parce que leur mentor, Sall, préparait toujours une saison et non un match.
Bamako-Dakar-Bamako-Moscou-Bamako
De cette date à 1985, Aïssata Guinto a participé à tous les championnats d’Afrique féminins avec l’équipe nationale, les éliminatoires des Jeux Africains d’Alger et les différents tournois de la zone II.
Au niveau local, en l’absence de la Coupe du Mali et du championnat national chez les dames, le trio infernal rafle les différentes coupes sponsorisées par les sociétés et entreprises d’Etat et privées à l’époque.
Malgré sa progression en basket où Aïssata Guinto était une fierté pour sa famille et pour son pays, son père surveillait ses études comme du lait sur le feu. Il veillait sur tous ses mouvements et optait pour un plan B en 1980, lorsque les écoles furent fermées pour cause de grève. Sa fille faisait à l’époque la 11è année Sciences Exactes au lycée de Jeunes filles. Le vieux Guinto l’envoie au Sénégal et l’inscrit au Collège Sainte Marie de Dakar.
Les dirigeants de l’AS Bopp qui l’ont connue à travers sa dextérité en équipe nationale, ont saisi sa venue à Dakar comme une balle au rebond. Surtout que leur équipe venait de subir une saignée occasionnée par le départ des ténors comme Mame Penda Diouf et Rokhaya Pouye dite Aya (actuelle présidente de la zone II) et s sœur Djeynaba Pouy. Là aussi, Aïssata Guinto s’impose et apporte sa touche à ce club dakarois. Elle a passé seulement un an au collège Sainte Marie avant que les dirigeants de l’AS Bopp ne la transfèrent au lycée John Kennedy, qui se trouve d’ailleurs à proximité du terrain d’entrainement de l’AS Bopp, un club qui porte le nom du quartier dont il est le porte-drapeau.
Au Sénégal, la Malienne remporte plusieurs trophées, sans jamais décliner une convocation de l’équipe nationale du Mali.
Notre héroïne retourne au Mali en 1983 pour reprendre sa place au Stade malien de Bamako. Surtout qu’avant son départ pour le Sénégal, elle avait remis tout d’elle à Fouky (Maillot- chaussures- bandeau). Sur place, Sali Dembélé est toujours là et redoutable avant et sous le cerceau. Le trio se reconstitue, se remet au travail et aligne les victimes. Ensemble, elles équilibrent le jeu du Stade et renversent la tendance de la suprématie du Djoliba qui s’érigeait comme la bête noire du Stade malien de Bamako.
Aïssata Guinto ne restera au Mali que pour deux ans car elle s’en va encore pour des études supérieures en Ex Urss en 1985. Comment a-t-elle bénéficié de cette bourse ? Aïssata revient sur les conditions et rend un hommage particulier à un homme : « Les bourses sont tombées lorsque j’étais à Moscou pour le festival des jeunes étudiants. C’est Idrissa Bah, (ancien président de la Fédération malienne d’athlétisme), à l’époque directeur national de l’Enseignement technique et professionnel qui m’a retenue. Il s’est occupé de toutes les formalités en mon absence. A mon retour, Idrissa Bah m’informa de l’évolution du dossier, j’en étais émue. Aujourd’hui, je lui dois mon diplôme et je profite de l’occasion pour lui renouveler toute ma reconnaissance. Je le remercie infiniment pour son sens élevé du social et de la reconnaissance du mérite sportif ».
Alors, comme on peut aisément l’imaginer, un autre coup dur pour le Stade malien de Bamako. Et pire, au même moment, Sali Dembélé mettait fin à sa carrière, à la fin du tournoi de l’Amitié avec le Djoliba qui l’avait sélectionnée et où elle avait été désignée meilleure joueuse de la compétition.
Durant les six ans passées en Union soviétique et parallèlement à ses études, Aïssata Guinto apportait sa touche à l’équipe universitaire.
En 1991, munie du diplôme d’ingénieur en informatique de gestion, elle débarque à Bamako et pose ses valises chez les Blancs, grâce à la perspicacité de son amie et complice Salimata Dembélé qui avait goutté au bonheur du foyer depuis une demi-douzaine d’années.
Malgré son âge et son nouveau statut de femme mariée, Aïssata Guinto jouera un an avant de raccrocher au terme de la Coupe d’Afrique des clubs champions en 1992.
Aujourd’hui, dans sa retraite sportive, Aïssata Guinto se dit fière d’avoir gagné le challenge de se faire valoriser toutes les fois que son club et l’équipe nationale lui ont fait appel.
Avec ses camarades, elles ont relevé le défi de l’excellence pour honorer la nation. Et le fait d’avoir figurée dans l’équipe type des différents championnats d’Afrique et tournois constitue les bons moments de sa carrière. Parce qu’elle s’est toujours dit qu’il ne faut jamais lâcher à un moment où l’espoir est porté sur soi.
Tiécoro Bagayoko débarque, Guinto père tremble… !
Cette riche carrière de basketball a été aussi émaillée de mauvais souvenirs. En bonne musulmane, elle dit pardonner à tous ceux qui lui ont causé du tort. C’est cela aussi la vie, c’est-à-dire savoir se résigner pour pardonner.
En effet, c’est sur notre insistante qu’elle est revenue sur une agression dont elle a été victime : « En 1992, lors de la demi-finale de la coupe du Mali, je suis sortie avant la fin du match. Parce que j’avais un enfant à allaiter et paradoxalement, personne n’a voulu m’accompagner chez moi. C’est ainsi que je suis sortie pour braver le noir. Avant d’arriver au grand portail du Stade Omnisports, des bandits m’ont agressée en m’arrachant mon sac. Un autre plus ambitieux a pointé le couteau sur mon ventre, tout en m’invitant à le suivre au risque de ma vie. Tétanisée par la peur, je n’ai eu mon salut qu’avec l’arrivée du Docteur Idrissou Touré. Ayant compris que j’étais dans une mauvaise posture, il a braqué les phares de son véhicule sur nous et de façon violente il est sorti pour riposter au bandit récalcitrant. Celui-ci s’enfuit pour se diriger vers la piscine. C’est là où j’ai crié pour alerter le gardien afin qu’il lui tende une embuscade. Dommage, ce dernier refuse de le prendre parce que j’étais une joueuse du Stade. C’est lui-même qui m’a fait cette déclaration et devant Idrissou. L’essentiel avait été fait, j’ai été sauvée, sans doute d’un viol certain. Avec le recul, il faut oublier tout cela pour pouvoir vivre et collaborer avec les gens. Surtout que tout s’est passé à travers la pratique d’une discipline qui m’a tout donnée. Grâce au basket-ball, j’ai abandonné la rue qui réservait à l’époque des surprises désagréables. Ma famille a été honorée et elle a été fière de moi partout où j’ai évolué, de Bamako à Dakar, en passant par Moscou. Je ne saurai vous dire aujourd’hui ce que les relations créées par la discipline m’ont ouvert comme opportunités ».
Comme anecdote, Aïssata Guinto se rappelle de cette descente de Tiécoro Bagayoko aux services des Douanes, considérée de prime abord comme une opération coup de poing. Mais en réalité, l’ex puissant directeur des Services de sécurité est parti pour autre chose. Aïssata Guinto, sélectionnée en équipe nationale, n’avait pas rejoint l’internat, parce que son père tenait plus à ses études qu’au basketball. Tiécoro Bagayoko profite donc de la reprise de quinze heures pour débarquer à la Douane. Sur place, il dit au vieux Guinto, qu’Aïssata est sa fille, mais il faut qu’il sache qu’elle est aujourd’hui sous le drapeau et la nation compte sur elle. Donc, ce soir-là même, le vieux Guinto avait intérêt à prendre toutes les dispositions pour la mise en route de sa fille afin qu’elle puisse rejoindre ses autres camarades. De telles consignes de Tiécoro à l’époque ne pouvaient souffrir d’aucune ambigüité dans leur exécution. Le vieux Guinto, de retour à la maison, appelle sa fille pour lui rendre compte. Il lui remet 1 000 francs maliens afin qu’elle se paye un trousseau et rejoigne le groupe.
Pour une autre anecdote, Aïssata Guinto revient sur le bon geste d’un Malien expatrié en France : « Kanté est un Malien de France qui travaillait dans une banque. Au cours d’une de ses vacances à Bamako, il n’a pu oublier les commentaires de feu Demba Coulibaly qui disait : Sali dribble, Guinto shoote et marque. Les gestes étaient tellement rapides que Demba aussi contractait les phrases. Kanté donc est venu au terrain pour demander de mes nouvelles à Amadou Daouda Sall. Estomaqué par cette visite inattendue, Sall me fait venir. Kanté dit qu’il ne s’agit pas de moi. On lui demande d’être plus précis. Il reprend la phrase de Demba Coulibaly. Amadou Daouda Sall appelle Sali Dembélé et explique à Kanté comment la combinaison et la complicité entre nous deux s’est cultivée. Convaincu et rassuré de m’avoir rencontrée pour me serrer la main, Kanté m’a offert un sac d’équipements, que j’ai partagé entre les joueuses de l’équipe. Je l’ai beaucoup remercié pour son geste. Voilà des actions qui nous faisaient vivre et nous donnaient de la motivation pour nous sacrifier.
Dans la même veine, je reconnais que feu Demba Coulibaly savait trouver les mots justes et parfaits pour qualifier la forteresse quasi impénétrable que je formais avec Sali, même aux entrainements. Une seule joueuse est parvenue à transpercer ce bloc, en l’occurrence Fatoumata Berthé. Ce jour-là, je me rappelle l’avoir surnommée, au détour d’un proverbe bambara, Waraba (le lion, en langue nationale bamanan). Depuis ce jour, Fatoumata Berthé a pris le surnom de Waraba 10. »
Chef d’agence de l’Edm-sa (Energie du Mali) à Lafiabougou, Rond-point Cabral, Aïssata Guinto se pose la question de savoir comment et quand est-ce que leurs filles pourront s’inspirer de leur histoire pour donner plus de coupes d’Afrique seniors au pays. Parce que toutes les conditions sont réunies. En attendant, elle est convaincue que le basketball malien à de beaux jours devant lui.
O. Roger Sissoko
Aujourd’hui-Mali