Il est sans conteste, avec Seydou Diarra “Platini”, l’un des plus grands buteurs de l’histoire du football malien. Il partage avec l’avant-centre du Stade malien de Bamako des années 1980 (aujourd’hui basé en France) la triple qualité du sens aigu du but, d’une adresse à toute épreuve devant les buts et d’un réalisme presque parfait. Tous les connaisseurs l’auront deviné, le héros de ce huitième numéro de “Que sont-ils devenus ?” s’appelle Abdoulaye Koumaré. Celui qui a perdu son prénom au profit du surnom Muller (du nom de l’emblématique attaquant allemand des années 1960-1970, Gerhard Müller, plus connu comme Gerd Müller, champion du monde en 1974, meilleur buteur de la Coupe du monde en 1970 avec 10 buts dont le 800ème de l’histoire du Mondial contre la Bulgarie et Ballon d’or la même année, auteur de 365 buts en 427 matches de Bundesliga (record absolu en Allemagne) et détient le record du plus grand nombre de buts inscrits sur une même saison en Allemagne avec 40 unités lors de la saison 1971-1972 du Bayern Munich) “ne vivait que pour marquer des buts”. Ayant pris sa retraite sportive depuis trente ans et sa retraite professionnelle depuis six mois, nous avons rencontré cet ancien renard des surfaces dans son Bagadadji natal pour une rétrospective qui va tenir les nostalgiques en haleine. Muller nous dit tout !
Nous étions prêts à effectuer le déplacement sur Kangaba où il servait à Plan International pour rencontrer Abdoulaye Koumaré. Mais quand nous l’avons contacté, Muller nous informe qu’il a fait valoir ses droits à la retraite le 31 décembre 2016. Par conséquent, il est à Bagadadji, “Wotoro Carré” (le carré des charrettes), non loin de la grande mosquée de Bamako. C’est d’ailleurs là qu’il est né un 13 mai 1958.
Une fois en face de notre héros, deux questions nous brûlaient les lèvres. Primo, quelle explication à la complicité de leur génération au Djoliba avec l’entraîneur Karounga Keïta dit Kéké? Secundo, pourquoi il raffolait de buts ?
Nous nous rappelons encore cette scène passée au début des années 1980: sur une contre attaque djolibiste, Muller, après avoir déclenché son tir, est fauché par un défenseur du Réal. Le gardien Seydou Traoré “Guatigui” repousse le ballon, et Muller, pourtant à terre, pousse la balle dans les filets de la main et s’aventure ensuite dans un cyclone de joie immense pour manifester le but, au point de tromper la vigilance de l’arbitre central, Modibo N’Diaye, sans doute masqué sur l’action et qui était estomaqué par les protestations des Scorpions. Heureusement que son assistant, Sidi Bekaye Magassa, qui avait bien suivi l’action, lui fit corriger ce qui faillit être une injustice.
Le silence fut une erreur…regrettable
Si nous avons tenu à rappeler ce passage, c’est pour montrer à tel point Muller tenait aux buts. Quand nous lui rafraichissons la mémoire sur ces faits, notre héros les reconnait et avoue son stratagème pour tromper les arbitres. Cela fait partie du football.
En s’entretenant avec Abdoulaye Koumaré dit Muller, on se rend compte qu’il a une capacité d’analyse extraordinaire. Tous ses propos sont soutenus par des argumentations solides et irréfutables.
Pour ce qui est de la complicité de leur génération avec leur ancien mentor, Karounga Keïta dit Kéké, Muller dit qu’elle se résume à trois choses : la peur, le respect et la discipline vis-à-vis du baobab de Hérémakono qui était en avance sur les joueurs. Finalement, il est parvenu à les endoctriner.
Selon Muller, un attaquant est fait pour marquer des buts, ou faire marquer. Il trouve son amour pour le but logique, parce que c’est sa raison d’être sur le terrain.
Sur un tout autre plan, Abdoulaye Koumaré se dit convaincu que son retrait par rapport à la gestion du Djoliba AC a été une erreur fatale. C’est cette indifférence de sa génération qui a fragilisé le club. Si les anciens du Djoliba étaient restés près de l’équipe, elle ne serait pas tombée en disgrâce aujourd’hui, à son avis. Muller soutient qu’après avoir reconnu son erreur, il a approché ses anciens co-équipiers afin qu’ils sauvent ce qui peut encore l’être. Parce que l’atmosphère à Hérémakono avait commencé à être polluée par des questions de transferts des jeunes. Sa déception fut grande quand ceux-ci n’ont pas répondu à son cri de cœur. L’enfant de Bagadadji estime que seule sa génération au Djoliba pouvait tenir tête à l’ancien président Karounga Keïta dit Kéké, en lui proposant des directives concernant l’orientation du club. S’éloigner du Djoliba, c’est trahir le club.
Repéré lors d’un lever de rideau
A la question de savoir pourquoi encore cet amour aveugle pour le Djoliba ? Muller répond qu’entre le Djoliba et lui, c’est une longue histoire, qui a commencé un beau matin de l’année 1972. Il se rappelle qu’un jour, très jeune, feu Tiécoro Bagayoko envoie un émissaire le prendre. Une fois devant l’ancien directeur des services de Sécurité, celui-ci lui demande s’il aimerait jouer avec le Djoliba. Il répond par l’affirmative. Mais Tiécoro insiste et dit craindre le côté du père de Muller, un grand Stadiste. Abdoulaye Koumaré le rassure et immédiatement l’ancien dignitaire du Comité militaire de libération nationale (Cmln) réunit toutes les conditions : photo, licence, équipement. Muller était encore cadet.
Il est bon de rappeler que l’ancien joueur du Djoliba et de l’équipe nationale a été repéré lors d’un lever de rideau d’une rencontre du Djoliba. Pur produit du Réveil Club de Bagadadji (né de la fusion de Santos et de Flèche noire), Muller, sélectionné ce jour-là par le Tout Puissant de Bamako Coura, a séduit tout le Stade omnisports. A la fin de la rencontre, une fois dans les gradins, les supporters du Djoliba, du Stade malien et de l’as Réal le gratifient de jetons. Chacun voulait le voir évoluer dans son équipe. Mais feu Tiécoro, en bon policier, avait son plan. Il l’a mis à exécution et le reste sera facilité par l’envie que Muller lui-même épousait pour jouer au Djoliba.
De la catégorie des cadets, il rejoint les seniors en 1975 où la première séance d’entraînement l’a beaucoup secoué, mais sanctionné par sa convocation à l’internat pour rejoindre ses aînés qui préparaient un match contre le Réal de Banjul, en Gambie. Il a rejoint ses camarades avec un jour de retard parce que ses parents n’étaient pas avisés. Et un enfant à son âge ne pouvait pas se permettre une certaine liberté. Muller se rappelle à l’époque que le rythme d’entraînement du Djoliba était insoutenable pour un enfant gâté, tellement que les séances physiques étaient dures à supporter. Mais, lui a été galvanisé par le fait que Kéké même s’y adonnait à cœur joie. Sa carrière connaîtra une autre dimension deux ans plus tard, avec sa titularisation au Djoliba et sa sélection en équipe nationale. Il ne les quittera que jusqu’en 1988.
L’aventure gabonaise
Entretemps, il a fait un tour au Gabon. Comme Sory Kourouma nous l’avait si bien confié dans le tout premier numéro de cette rubrique, ils ont été contactés en 1984 par un Malien résident au Gabon, pour qu’ils aillent évoluer à l’Oprag du Gabon.
Seyba Sangaré fut le premier à décamper pour Libreville. Les dirigeants du Djoliba ont négocié le départ de Sory Kourouma, en lui faisant des propositions. Remetter avait tendance à accepter le deal. Muller a conclu à un désaveu à son égard quand son co-équipier l’informa que Kéké voulait le maintenir. C’est ainsi qu’il est allé voir Mamadou Lamine Haïdara dit Mao pour lui retirer son billet, malgré le refus de ce dernier. Une fois son titre de voyage en main, il informe Remetter de sa décision. Ce qui fut un déclic pour la volonté de l’ancien gardien, qui l’informe immédiatement de son intention de partir au Gabon. Voilà comment Seyba Sangaré dit Durulé, Abdoulaye Koumaré dit Muller et Sory Kourouma dit Remetter se sont retrouvés à Libreville. Ces derniers y passeront deux ans. Seyba y est toujours.
Retraite prématurée
A son retour au Mali en 1986, Abdoulaye Koumaré dit Muller rejoint le Djoliba et récupère sa place de titulaire à l’équipe nationale.
En 1988, contre toute attente, l’enfant de Bagadadji décide de prendre sa retraite définitive. Et malgré les interventions des joueurs, de l’encadrement technique et des dirigeants, sa décision est restée irrévocable. Mais, que s’est-il passé exactement ? Abdoulaye Koumaré dit Muller donne les raisons : “L’équipe nationale du Mali a été invitée par son homologue de l’Algérie, pour un match amical. Quand nous sommes arrivés, les Algériens n’avaient pris aucune disposition pour nous. Les conditions de vie dans les différents hôtels étaient déplorables, et l’équipe n’avait pas de terrain pour s’entraîner. Seulement, on s’amusait au bord de la mer. C’est dans ces conditions que nous avons repéré un terrain non loin de la mer, nous avons saisi l’opportunité pour au moins une séance de décrassage. Subitement des enfants Arabes sont venus chasser l’équipe nationale du Mali. Le lendemain, les Algériens programmèrent le match amical. Quand le coach Kidian m’a appelé pour me donner l’information, je lui ai dit que ces gens veulent nous humilier. Donc le mieux serait de ne pas jouer. Après mon entrevue avec Kidian, je suis parti expliquer aux joueurs ce qui est en train de se tramer. A l’unanimité, nous avions dit qu’il n’était pas question de jouer un match. Surtout que l’équipe nationale n’avait pas les chaussures adaptées au gazon synthétique. Quelques instants après, le coup de fil du Ministère des Sports tombe et le département nous instruit de livrer le match. L’équipe a joué et s’est inclinée par 6 buts à O. Quelle humiliation ! Le soir, j’ai informé mon compagnon de chambre Yacouba Traoré dit Yaba du Stade malien de Bamako, de ma décision d’arrêter. Parce que ce qui s’est passé était inadmissible. Une fois au restaurant, Yaba annonce la nouvelle et les camarades m’ont supplié de revenir sur ma décision. Je n’ai pas changé d’avis jusqu’à ce jour. Arrivé à Bamako, Kidian Diallo me convoque de nouveau. Je lui dis clairement de m’excuser et que je demeure toujours dans ma logique de ne plus jouer au ballon. Parce que je n’ai pas accepté le comportement indécent des Algériens. “
Ses souvenirs
Pour évoquer ses bons souvenirs au Djoliba, l’enfant de Bagadadji se rappelle de cette finale de la coupe du Mali de 1978, qui a opposé le Djoliba à l’AS Réal. Quelques mois plus tôt, soit au matin du 28 février, leur maître, Tiécoro Bagayoko, avait été arrêté dans l’affaire de la “Bande des trois”, et déjà essuyait trop de critiques. Parce que l’on pensait que son ombre était le fruit de la suprématie du Djoliba qui régnait sur le football malien depuis le début de la décennie 1970. Pour la petite histoire, un autre membre du Cmln, qui était un fervent Réaliste, est allé voir les Scorpions pour leur dire que l’occasion est bonne pour démontrer que l’heure de Tiécoro est finie. L’histoire retiendra que les Rouges ont livré quasiment leurs meilleurs matches de la fin des années 1970. Ils remportent le trophée en deux éditions (1-1 puis 2-1).
En équipe nationale, Muller se dit marqué par le tournoi Amilcar Cabral que le Mali a abrité en 1981. Les Aigles se sont inclinés face à la Guinée Conakry aux tirs au but. Ce jour-là, lorsque le quatrième tireur guinéen a réussi son coup, le gardien Modibo Doumbia dit Modibo 10 est venu lui dire de marquer son penalty et qu’il arrêtera le cinquième tir de l’adversaire. Effectivement, il marquera, mais le Mali se trouvera à égalité de buts marqués. Alors commença un jeu de ping-pong et au bout du fil la Guinée s’imposa parce que Fagnéry Diarra a raté son essai. En plus de l’ambiance qui a entouré ce tournoi, Abdoulaye Koumaré se dit ému par l’attitude du public à son égard. Du début à la fin des matches du Mali, les supporters scandaient son nom. En plus, l’enfant de Bagadadji pense qu’il n’y a pas de bon moment pour lui durant sa carrière que cette ambiance à chaque regroupement de l’équipe nationale. Une fois que les joueurs se retrouvaient pour défendre le drapeau national, c’était la bonne atmosphère, la cohésion à telle enseigne qu’il est aujourd’hui nostalgique de ce bien vivre de la vie du groupe. C’est-à-dire qu’il n’a jamais eu de déception avec les Aigles du Mali. Mais hélas ! Autre temps -autre réalité !
Son plus mauvais souvenir avec le Djoliba s’est passé en 1980 quand Kéké ne l’a pas retenu pour la finale de la coupe du Mali. A l’avant-veille de cette finale, le Djoliba devrait rencontrer le Heart Of d’Accra. Etant très épuisé, Muller dit avoir demandé à son entraîneur de lui accorder quelques jours de repos. Kéké, après avoir accepté, se ravisera et trouve un alibi pour le mettre de côté. Avant le coup d’envoi, quand il est allé dans les tribunes, les supporters du Réal ont commencé à chanter et ils se sont dit que “leur chimie noire” destinée à le mettre dos à dos avec son entraîneur a réussi. La suite est connue : les Scorpions s’imposent par le minimum d’un but à zéro. Béïdy Sidibé dit Baraka est passé par là.
Un sauveur nommé Barry
Pour l’anecdote, l’enfant de Bagadadji revient sur un voyage de l’équipe nationale au Ghana : «c’était en 1978, nous sommes partis au Ghana pour préparer les éliminatoires des jeux Olympiques. Après un match amical à Koumassi, nous sommes partis à Accra pour une autre rencontre, qui finalement n’aura pas lieu. Nous étions logés dans un hôtel où les repas étaient indésirables. Affamée, toute l’équipe est sortie le soir pour payer du maïs grillé. Et c’est à ce niveau qu’un Malien du nom de Barry, de passage, m’a interpellé pour me demander les raisons de notre présence. Je lui ai tout expliqué, mais je ne savais pas qu’il était un membre du personnel de notre ambassade à Accra. Barry s’est étonné du fait que la représentation diplomatique ne soit pas au courant de la présence de l’équipe nationale au Ghana. Il a promis de rendre compte et venir nous chercher pour manger à l’ambassade. Au-delà de l’espoir suscité par notre compatriote, les joueurs ont dit que mon type est un bluffeur. Pourtant, il est revenu et nous nous sommes retrouvés à l’ambassade autour d’un plat de riz à la sauce tomate. Nous avons tout mangé. De retour à l’hôtel, on nous informe que l’avion nous attend à l’aéroport. J’ai compris que les Ghanéens voulaient se débarrasser de nous, mais on ne m’a pas écouté. Arrivé là-bas, point d’avion. Une fois de plus, nous sommes retournés à l’hôtel. Le gérant nous dit que toutes les chambres ont été prises. Cap sur le point de départ, c’est à dire l’aéroport où nous sommes restés de 22h à 15 h du lendemain. Ah, nous avons vu toutes les couleurs dans les voyages de l’équipe nationale. Mais je vous avoue que toutes ces mauvaises conditions n’affectaient pas le moral du groupe. Le seul son de l’hymme national constituait de la drogue pour nous».
Autres temps, autres réalités !
Et la transition est tout trouvée pour dire que l’écart est trop grand entre leur génération et celle d’aujourd’hui. Ce qui s’est passé à la veille du dernier match des Aigles à Bamako en est la parfaite illustration. Le drapeau national, l’amour du pays ont disparu au profit de l’argent. Muller se rappelle que les Aigles ont battu les Eléphants de Côte d’Ivoire en 1983 par 1 but 0 et s’attendaient à une prime de 20 000 F. Mais ce qui l’a estomaqué, c’est la réaction des joueurs ivoiriens qui malgré leur défaite exigeaient leur prime. A défaut, une casse à l’hôtel s’en suivra. Et c’est là où Bally djan du COB s’est enfermé dans la chambre pour pleurer un peu. Parce qu’il n’a pas compris l’attitude des Ivoiriens et il s’est fait une idée sur la situation dans laquelle l’équipe nationale du Mali évoluait. Muller nous a confirmé une fois de plus que la prime de voyage était fixée à 20 000 F maliens, soit 10 000 Fcfa.
Ce sacrifice pour le pays continue de lui apporter du bonheur. Partout où il va, les relations créées par le football lui ouvrent toutes les portes. Et Abdoulaye Koumaré dit Muller soutient qu’il ne regrette rien de tout ce qu’il a fait pour son pays et qu’il est prêt à le refaire au besoin.
Agé de 59 ans, l’enfant de Bagadadji (Wotoro carré), savoure sa retraite dans la tranquillité. Le matin, il sort pour les courses, le programme du reste de la journée est partagé entre sa famille et la mosquée.
O. Roger Sissoko
Par Aujourd’hui-Mali