Enfin, pas la France en tant que telle car l’opération centrafricaine n’a rien à voir avec l’ingérence française au Mali, feu de forêt déclenché suite au lynchage de Kadhafi et éteint (enfin, à court terme) par les principaux commanditaires de ce lynchage. Pourquoi ? La sécurité de la France, disait-on alors, était en jeu. Et c’était parfaitement vrai. Qu’aurait fait notre pays, une puissance méditerranéenne, si le nord du Mali s’était transformé en un immense réservoir à islamistes ?
Quid du Centrafrique ? Deux points de vue s’imposent. L’un, privilégiant la thèse de l’ingérence humanitaire, tiré de la liste des fabuleux oxymores du champ médiatique français. L’autre, plus désagréable, plus cynique, plus dégoûtant et, hélas, en beaucoup plus réaliste, qui renvoie à la vieille histoire de l’uranium centrafricain. Souvenez-vous de la réaction du gouvernement de Bozizé en 2007 lorsque le groupe nucléaire français Areva reprit l’exploitation de la mine d’uranium de Bakouma (extrême-est du pays). Cette opération avait alors été jugée irrégulière et contraire aux intérêts du peuple centrafricain (cf. rapport d’Aurélien-Simplice Zingas, porte-parole du gouvernement à l’époque). D’anciennes accusations ressurgirent aussitôt qui sous-entendaient l’implication de la partie française dans la contamination radioactive des populations locales. Bakouma y aurait été particulièrement exposé suite entre autres aux manipulations de la société Cogema dans les années 70. Idem pour le Gabon et le Niger suite aux activités d’Areva. Ici et là, la France ne perd pas une seule occasion d’asseoir sa présence souvent au détriment des intérêts du pays, jusqu’à oublier que le Centrafrique a acquis son indépendance il y a déjà cinquante-cinq ans.
Voici pour une première tendance. Passons aux faits révélateurs. Je me permettrai ici de reprendre l’analyse aussi laconique que convaincante de Mme Wissem Chekatt.
Primo, la SELEKA qui a renversé le Président Bozizé en mars 2013, organisation hétéroclite composée de partis oppositionnaires et de militants islamistes, avait été, ne l’oublions pas, soutenue par la France. Or, que voit-on aujourd’hui ? Bien que dissoute par Michel Djotodia, chef d’état arrivé au pouvoir suite à un véritable putsch, la SELEKA continue à exister illégalement du moment où les extrémistes qui en faisaient partie cherchent noise à une population majoritairement chrétienne. Cette fois, la France prétend les combattre. La tactique de l’instrumentalisation est ici claire et nette.
Secundo, nous savons que la France a parachuté sur les lieux un effectif de 1600 militaires. Ce chiffre semble bien disproportionné pour ne pas dire dérisoire si l’on croit aux décomptes de M. Souleymane Diabaté, représentant de l’UNICEF à Bangui, qui a estimé le nombre de déplacés sur le territoire à près de 500.000 centrafricains. Un demi-million de personnes. N’y aurait-il pas une certaine confusion avec la catastrophe syrienne ? On se demande comment des tensions en réalité tribales ont pu conduire à un exode aussi massif.
Tertio, la population centrafricaine est majoritairement chrétienne. Michel Djotodia est quant à lui musulman, ce qui explique son accession au pouvoir par l’intercession de la SELIKA, coalition d’ailleurs à la base plus islamiste que musulmane. A ses meilleures heures, elles comptaient 15.000 membres. Elle en a perdu un nombre considérable après sa dissolution. Or, le nombre d’habitants en Centrafrique est grosso modo de 4 millions d’habitants, ce qui est très peu pour un territoire presque aussi grand que la France, et en même temps suffisant pour faire face aux restes d’une opposition démantelée.
Quand ça ne colle pas, ça ne colle pas, quoiqu’on fasse pour redorer son blason en accordant quelques notes de crédibilité à une donne que l’on veut assimiler en certains points aux génocides confessionnels perpétrés en Syrie ou, à bien moindre échelle, au Mali.
En fait, si l’on sait que la Chine est très présente sur le territoire et que sa politique est loin d’être aussi agressive que celle de la France au point de porter atteinte aux intérêts géopolitiques de notre pays, que, une fois de plus, les ressources naturelles sont en ligne de mire, les hauts motifs soi-disant humanitaires invoqués perdent immédiatement de leur sens. Une fois de plus, M. Hollande débite un baratin en somme habituel quand il s’agit de justifier le genre d’opérations en question.
Ce point de vue est conforté par l’analyse d’Allain Jules, journaliste indépendant, bloggeur dont la lucidité est telle qu’il n’a plus à faire ses preuves. Voici un bref extrait de son intervention.
Allain Jules. « De quoi s’agit-il dans cette intervention ? En réalité, ce n’est déjà pas une intervention humanitaire, cette dernière notion n’ayant aucun sens. Il s’agit tout simplement pour la France d’aller sécuriser le pétrole par rapport à Total et surtout d’aller sécuriser, par l’entremise d’Areva, le gisement d’uranium de Bakouma. Donc en fait c’est pour le gisement qui est situé à l’extrême-est du pays, dans la préfecture de Mbomou, le plus grand gisement africain d’uranium estimé à 700.000 tonnes, que toute cette opération a été lancée. Areva a racheté la société canadienne UraMin d’exploration d’uranium, ce qui explique le renforcement de la présence française sur le territoire centrafricain. Naturellement, toute cette campagne n’a pas été déployée pour les beaux yeux des autochtones. C’est encore un gros mensonge médiatique destiné à masquer les véritables intentions de la partie française qui consistent à contrôler plus efficacement que jamais son uranium et son pétrole. Donc, quand on dit que des militaires français sont morts pour la France, ça tient forcément la route puisqu’ils sont allés en Centrafrique au nom des intérêts géopolitiques de la France, c’est tout ».
Commentaire de l’auteur. L’immersion du pays dans un chaos qui n’a aucune raison objective d’être arrangera peut-être la France à court ou moyen terme. Mais qu’en est-il de la suite ? N’aura-t-elle pas à payer une note un peu trop salée au cas où les groupuscules islamistes rôdant aussi bien au cœur du territoire qu’à ses frontières (Congo-Brazzaville) monteront en puissance, profitant de la déstabilisation du pays ? Hélas, l’exemple de la Libye, précurseur du Mali, n’a rien appris à certaines élites françaises dont les complexes néo-colonialistes semblent irréversibles.