Le ministre de la justice, Me Mohamed Ali Bathily, l’universitaire au caractère trempé, a honoré sa réputation de fermeté en n’hésitant pas, à son premier coup d’essai, d’envoyer en prison cinq magistrats, pour des faits avérés de corruption.
Acte inédit dans un contexte familier de trouble au sein de la famille judiciaire pour lequel il faut désormais compter tant la volonté du ministre de mettre de l’ordre dans la justice est jugée implacable. Jusqu’où ira-t-il ?
Dans un passé encore récent, au Mali, cela relevait du surréalisme : arrêtés et écroués cinq magistrats de l’ordre judiciaire dans une affaire de corruption. Et cela, à la suite de simples plaintes de justiciables, floués de leurs droits.
Eh ! Bien, c’est l’exploit que le ministre de la Justice, garde des sceaux, Me Bathily, lui-même célèbre avocat du barreau de Bamako, vient de réaliser en l’espace d’une journée. L’interpellation de ces « hommes de droit », selon toute vraisemblance, va défrayer la chronique de l’actualité judiciaire du pays tant elle est inhabituelle dans le pays, longtemps marqué par une intenable impunité qui a fini par saper les mœurs publiques.
Sans savoir comment, un jour, y parvenir à rendre à la justice ses lettres de noblesse, le citoyen ordinaire, au Mali, n’a cesse d’appeler de ses vœux à un réarmement moral dans l’exercice du service public, en particulier dans le domaine, très sensible, de la justice, décriée, depuis des années, comme le « ventre mou » du mécanisme institutionnel de l’orthodoxie publique quoiqu’elle se présente par ailleurs comme ce véritable rempart de la société.
« Finis les mots, place à l’action », commente un usager du service public, hier, à l’annonce de ces interpellations de magistrats. Me Mohamed Bathily, ministre de la Justice, avait pourtant averti sur la volonté des nouvelles autorités du pays de mettre de l’ordre dans la grande famille de la justice qui, il faut le reconnaître, est aussi truffée de braves hommes, dédiés à leur sacerdoce pour le service public.
Revenons à nos moutons : les magistrats interpellés dont il s’agit ne sont pas n’importe qui : le juge d’instruction du tribunal de Mopti, Adama Zié Diarra, le procureur de Mopti, Ousseyni Salaha, et son substitut, Oubey Doulla Mohomoudou, et le greffier du tribunal de Mopti, Ibrahima Kanté, le procureur du tribunal de la Commune II, Abdoulaye Kamaté. La boucle est bouclée par le clerc d’huissier de Mopti, Sékou Ballo.
À tous ceux-ci, on les reproche d’avoir extorqué de l’argent à des personnes interpellées par leur tribunal. Comme dans toute affaire judiciaire similaire, des investigations se poursuivent pour déterminer la gravité des faits.
Un constat s’impose néanmoins : ces interpellations ne constituent pas une opération mains propres spécifiquement enclenchée contre les magistrats.
Chez beaucoup de nos confrères, parus hier, le ministre de la Justice s’en est expliqué : « Nous avons été saisis par des justiciables de faits qui étaient incompatibles avec l’éthique du magistrat. C’est donc donnant suite à des plaintes de personnes physiques que des inspections furent menées pour confirmer la teneur des lettres ».
Voilà, des propos qui souffrent de tout sauf à ne pas être clairs de la part d’un ministre de la justice qui n’écarte pas, pour les personnes interpellées, la notion de la « présomption d’innocence ».
Pour les faits d’accusation, on indique, selon des sources proches du dossier, que le procureur de la Commune II aurait réclamé et empoché une certaine somme d’argent à des justiciables dans le cadre d’une procédure judiciaire régulière.
À son encontre, et à l’endroit de tous ses autres co-accusés, la charge retenue de ce fait est la « concussion » et le « faux et usage de faux ».
Si le fait, pour les justiciables de se plaindre des indélicatesses des hommes de droit est monnaie courante, au Mali, il n’est en pas de même pour la nécessaire riposte, en termes d’interpellations, contre ces derniers.
Autre temps, autres mœurs : voilà que le ministre de la justice veille bouger les lignes de front en s’attaquant désormais aux différentes manifestations de la corruption, d’où qu’elles proviennent dans la sphère publique. Pour ça, il aura fort à faire d’autant que la corruption, jugée par tous endémique et systémique au Mali, a gangrené le pays, via tous ses segments et démembrements administratifs et financiers, de l’échelon le plus bas au plus élevé.
Ce geste, ô combien salutaire du ministre de la Justice, s’il un cas inédit, n’est tout de même pas un premier coup d’essai : on se rappelle du passage d’un autre célèbre avocat à la chancellerie, Me Abdoulaye Tapo, qui avait fait de l’orthodoxie judiciaire son cheval de bataille, lorsqu’il avait été appelé aux affaires, au temps d’ATT, il y a quelques années.
Hélas ! Ce dernier, dans le secret de son cabinet, qui avait réuni tous les procureurs et responsables de juridictions pour leur dire que l’heure de l’impunité avait sonné, a connu bien d’infortunes que son illustre prédécesseur. Et pour cause ? Il a été tout simplement lâché par Koulouba, sous des pressions diverses, et sorti du gouvernement. Au grand désappointement de tout un pays, y compris les partenaires au développement.
Gageons alors que cet autre ministre de la justice, Me Bathily, ait plus de bonheur à traquer les fossoyeurs du pays, d’où qu’ils se planquent, car couvert en cela par la confiance et la garantie d’un président IBK, tout dédié à la moralisation de la vie publique.
Sékouba Samaké
Source: info-matin