Dénoncés pour leur immixtion dans la scène politique, mais très courtisés par les politiques eux-mêmes, depuis l’épisode du code de la famille en 2010, les leaders religieux ne demeurent pas moins influents dans toutes les sphères de la vie nationale. Dans l’imaginaire populaire, ils sont depuis les deux ex-machima : ce sont eux qui font et défont les présidents et les régimes par leurs ralliements et leurs consignes de vote. S’ils ne s’en vantent pas publiquement, leurs fidèles le revendiquent avec grandiloquence. Réalité politique ou légende urbaine ?
Pour répondre à la question, il faut partir de deux paramètres : le distinguo entre les leaders et les réalités des chiffres.
Il ne serait ni juste ni objectif de mettre tous les chefs religieux dans le même sac. Si d’aucuns ont fait ces dernières années une intrusion claire dans le jeu politique en s’affichant et/ou en donnant des consignes de vote en faveur d’un candidat comme le Chérif de Nioro, guide spirituel des Hamalliste, d’autres comme Cheick Chérif Ousmane Madani Haïdara, le leader de Ansardine a su garder ses distances avec la politique et les politiciens. À cette distinction, il faut aussi ajouter que les leaders religieux, notamment musulmans, ne sont plus aujourd’hui unis comme ils l’étaient en 2013. Pour rappel, si lors de la présidentielle dernière, le Saint Homme de Nioro était perçu comme la voix de l’ensemble de la Communauté musulmane, pour cette présidentielle, il s’y est engagé seul dans sa consigne de vote en faveur du candidat Alou Boubacar Diallo. Sabati 2012, qui était chez lui en 2013 pour recevoir ses orientations, a choisi, cette année, un autre candidat. Et quand on sait que le puissant Chérif de Bamako a lui refusé de donner comme à son habitude de consigne de vote, mieux, demandé ouvertement à ses disciples de voter pour qui ils veulent, on peut se poser la question quant à l’impact de cette disparité voire divergence de positions entre les leaders religieux sur leur réel poids électoral ? Celui-ci est-il autant déterminant pour faire élire un candidat ?
À l’analyse du rapport des chiffres du 1er tour de la présidentielle de 2013 et celle de la présidentielle de juillet 2018, la réponse heurte les idées reçues. En effet, au 1er tour de la présidentielle de 2013, le candidat IBK, taxé de candidats des religieux (le Chérif de Nioro, Sabati 2012 et Alou Boubacar Diallo avaient appelé à voter pour lui), avait obtenu 39,79 % des suffrages soit 1 175 769 voix. Cette année où il n’a pas le soutien du leader religieux qui a appelé à voter pour le candidat de ADP-Maliba, le candidat IBK s’en sort avec 41,42 % des suffrages, soit 1 333 813 voix. Ce qui représente 158 044 voix de plus, soit environ 4 % des suffrages.
Quelle est la part de la consigne de vote du Chérif de Nioro dans les 256 167 voix, soit 7,95 % des suffrages obtenus par le candidat Aliou Boubacar Diallo qui a cartonné dans le fief du marabout en obtenant environ 20 300 voix ?
Ce que révèlent les chiffres, c’est que :
-le candidat appuyé par le Chérif de Nioro, Aliou Boubacar Diallo a fait une surprenante percée. Pour sa première participation à une présidentielle, il a réussi à bousculer l’establishment politique en se classant 4e avec un score plus qu’honorable.
• Le candidat IBK, sans le soutien du Chérif de Nioro et de Alou Boubacar Diallo, a pu améliorer significativement son score d’environ 158 044 voix, soit environ 4 % des suffrages ;
• le cumul des scores obtenus par l’ancien protégé (IBK) et le nouveau candidat (ABD) du chérif de Nioro ne font pas la majorité absolue des 51 % des suffrages pour l’emporter au premier tour.
Par Yaya Traoré
info-matin