Le Sursaut : Présentez-vous à nos lecteurs ?
Mamadou Samaké : Je m’appelle Mamadou Samaké, professeur de droit public et de science politique à l’Université des Sciences juridiques et Politiques de Bamako.
Quelle lecture faites-vous de la situation sociopolitique actuelle du Mali ? Pourrait-on parler de coup d’Etat ?
Mamadou Samaké: C’est une situation très complexe en 60 ans d’indépendance le Mali n’a jamais connu une telle situation, la preuve est que depuis les dernières élections législatives rien ne bouge, nous sommes pratiquement à 2 mois et demi sans gouvernement. Malheureusement les uns et les autres n’ont pas pu se dépasser en mettant le Mali au-dessus de leur égo. Ce qui devait arriver est arrivé, la situation s’est empirée. Aucun démocrate ne souhaite un coup d’Etat dans une démocratie, mais quand la situation est bloquée jusqu’à un certain niveau, jusqu’à paralyser la liberté fondamentale du citoyen d’aller revenir dans un pays où plus de 80% de la population vivent dans l’informel, on peut dire que c’est très grave. Or, depuis les dernières législatives et les différentes manifestations depuis le 5 juin le pays est dans une situation de blocage total sur le plan politique, sécuritaire.
En 2012 le problème sécuritaire se limitait au nord. Il s’est étendu au-delà même du centre, même à Bamako il y a eu des attaques sans sécurité. Il n’y a pas de développement. Ceci compromet tous les efforts entrepris pour pouvoir soulager les souffrances des populations. Face au blocage entre le pouvoir et l’opposition représentée par le M5-RFP, on n’a pas pu parvenir à des compromis dynamiques qui pouvaient sauver le pays d’une situation de coup d’Etat.
Le président de la République a déclaré dans les ondes quand même sa démission, ainsi que la dissolution de l’Assemblée Nationale et le gouvernement. Ce n’est pas une première dans l’histoire du Mali, en 2012, la Cour constitutionnelle a dit « une mutinerie ayant conduit à la démission du président de la République ». C’était le cas ATT, il a démissionné pour pouvoir ouvrir la voie à la mise en œuvre de l’article 36 à la Constitution. Mais dans le cas présent il n’ y a pas d’Assemblée Nationale, la constitution ne prévoit pas d’autre intérim à part de l’Assemblée Nationale. À partir de ce moment où il n’y a pas d’Assemblée Nationale, la prise de pouvoir par les armées peut être considérée comme le parachèvement d’une insurrection qui a conduit à la démission du président de la République.
Les appréciations sont diverses il y a le cas de l’Egypte quand l’insurrection populaire a conduit à la démission de Morsi, les Etats-Unis n’ont jamais parlé d’un coup d’Etat. Donc les appréciations varient sur le cas au Mali. Certaines parlent de coup d’Etat. Mais est-ce que réellement c’est un coup d’Etat s’il n’avait pas eu l’insurrection, est-ce que les militaires auraient pris le pouvoir ? Si le président n’avait pas démissionné est-ce que les militaires seraient installés ?
C’est vrai la procédure constitutionnelle n’a pas été respectée en ce sens que c’est le Premier ministre qui devait saisir le président de la Cour constitutionnelle pour constater la vacance du pouvoir. Mais puisqu’il n’y a plus du Premier ministre, ni du président de la Pépublique et d’Assemblée Nationale, il y’avait un vide. Le seul corps le mieux organisé c’est l’armée, le pays ne peut pas rester comme ça. La CEDEAO interprète comme étant un coup d’Etat, pour moi c’est une insurrection populaire qui a été parachevée par l’armée comme 1991.
Si vous devez faire le parallèle entre ces évènements et ceux de 2012, quelles sont selon vous la similitude et la dissemblance ?
Mamadou Samaké : La similitude est que dans tous les cas c’est l’armée qui intervient.
La dissemblance se justifie par le fait qu’en 2012 c’était les hommes de troupe dirigés par un officier subalterne, or cette fois ci c’est des officiers supérieurs, des colonels major et des colonels qui ont pris le pouvoir. Pour être colonel major il faut avoir fait l’école de guerre et l’école d’Etat-major, avoir une connaissance non seulement du métier des armes mais aussi de la gestion du pays.
Le sursaut : Lors du sommet extraordinaire des chefs de l’Etat de la CEDEAO, certaines décisions ont été prises, dont le rétablissement dans ses fonctions du président Ibrahim Boubacar Keïta. Qu’est-ce que vous pouvez dire par rapport à cela ? (NDLR : interview réalisée avant le processus de médiation et le sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO du 28 août)
Mamadou Samaké : Toute prise de pouvoir par l’armée est considérée comme un coup d’Etat. En la matière, le protocole additionnel de la CEDEAO sur la bonne gouvernance, condamne et exige le rétablissement du président dans ses fonctions. Dans le contexte que notre pays vit aujourd’hui, est-ce que c’est la bonne solution ? L’armée n’est plus avec le président, on a vu l’unité d’action de tous les corps de l’armée pour soutenir le Comité National pour le Salut du Peuple, certains partis politique ont condamné mais se sont montrés disposer à travailler avec le CNSP pour le retour rapide à l’ordre constitutionnel.
S’agripper au principe du protocole traditionnel pour pouvoir rétablir le président dans ses fonctions, en voulant trouver une solution à une crise cela va ouvrir une autre crise. Dans sa grande majorité aujourd’hui le peuple a désavoué le président démissionnaire.
Pour une sortie de crise et le retour à la stabilité, que préconisez-vous ?
Mamadou Samaké : Il est urgent que le CNSP prenne langue avec toutes les couches de la société pour arriver à l’adoption d’un acte de transition qui déterminera les organes, notamment le parlement transitoire et le gouvernement. Qui vont s’atteler à l’élaboration d’une nouvelle Constitution et à la préparation d’élection générale dans le meilleur délai pour que le pays soit doté d’institutions légitimes.
Selon vous comment doit-on mettre en place les instances de la transition ?
Mamadou Samaké : A travers la concertation entre la junte, les forces vives de la nation, les partis politiques, l’armée, on arrivera à un consensus national sur les organes de la transition.
Propos recueillis par Fatoumata Coulibaly
Source: Le Sursaut-Mali