Dans le cadre de la lutte contre la corruption et la délinquance financière, engagée par le gouvernement malien, le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Me Mamadou Ismaël Konaté, avait déclaré en octobre 2016 que tous les hauts cadres de l’administration publique seront astreints à la déclaration de leurs biens. Mais depuis, cette décision applaudie par les maliens a viré au cauchemar.
Au Mali, une équipe gouvernementale s’en va et une autre lui succède, alors que la délinquance financière se renforce. Mais qu’en est-il des déclarations de patrimoine auxquelles tout ce personnel politique est assujetti ? Si l’on se réfère à cette loi relative à la déclaration de biens, à la prévention et la lutte contre la corruption, promulguée en octobre 2016, il est clairement fait obligation aux Présidents et chefs des Institutions de la République.
S’y ajoutent, les personnes ayant rang de Ministres, notamment,
- le Vérificateur Général;
- le Médiateur de la République;
- les Gouverneurs,
- Ambassadeurs et Consuls Généraux;
- les Préfets et Sous-préfets;
- les Élus nationaux et locaux,
- les Directeurs Nationaux ou Généraux des Services et Entreprises publics;
- les Directeurs des Finances et du Matériel des Départements ministériels et des Institutions républicaines ;
- les Premiers responsables des Autorités ou
- Institutions de Régulation sectorielle;
- les chefs de juridiction et de parquet,
- les magistrats du siège et du parquet;
- les Chefs d’État-major, Directeurs nationaux, Chefs des Services Centraux et assimilés de l’Armée, de la Gendarmerie Nationale, de la Police Nationale et de la Garde Nationale;
- les Directeurs régionaux des Impôts, du Trésor, des Finances et des Services rattachés;
- les Directeurs Régionaux des Douanes; les Régisseurs;
- les Directeurs Régionaux du Commerce et de la Concurrence;
- les Directeurs régionaux des Domaines et du Cadastre;
- le Conservateur des Domaines et du Cadastre.
Bref, tout Agent de l’État, des Collectivités locales ou des Établissements administratifs publics chargé de la fonction d’ordonnateur ou de comptable public sont tenus de faire des déclarations. En clair, de déposer, dans le mois qui suit leur installation, l’inventaire de leurs biens auprès du président de la Cour suprême.
La mission de cet organe consiste à recueillir les déclarations de patrimoine, d’examiner et d’exploiter les informations qu’elles contiennent et de veiller à leur conservation.
Toutefois, la personne assujettie à la déclaration de biens qui refuse ou s’abstient de se libérer de cette obligation, s’expose aux sanctions prévues à l’article 36 de la loi d’octobre 2016. Lorsque la valeur des biens jugés illicites est inférieure ou égale à 50 millions de francs CFA, la peine sera de 1 à 3 ans d’emprisonnement et d’une amende égale à ladite valeur. Et lorsque celle-ci est supérieure à 50 millions de nos francs, la peine sera de 3 à 5 ans d’emprisonnement et d’une amende égale au double de la valeur des biens jugés illicites.
Quant aux complices, ils encourent les mêmes peines que l’auteur principal. Dans tous les cas, la peine d’emprisonnement assortie du sursis ne peut être prononcée que lorsque le montant détourné est intégralement remboursé. La personne physique condamnée pour enrichissement illicite encourt, en outre, les peines complémentaires suivantes: la confiscation de tout ou partie de ses biens; l’interdiction de quitter le territoire national, avec retrait du passeport pour une durée de quatre mois à deux ans ; et la privation temporaire des droits politiques ne pouvant excéder dix ans.
En bloc, ladite loi a prévu des sanctions pénales allant contre les récalcitrants «qui, deux mois après un rappel par voie légale, sciemment n’auront pas fait leurs déclarations ou auront fait une déclaration incomplète, inexacte ou fausse, formulée sciemment de fausses observations ou qui auront délibérément violé les obligations qui leur sont imposées par la loi».
Si l’on se réfère à la loi fondamentale, cette déclaration doit comporter l’inventaire des biens immobiliers et mobiliers, situés au Mali et/ou à l’étranger, détenus par les responsables concernés y compris dans l’indivision, ainsi que ceux appartenant à leurs enfants mineurs. Cette liste est publiée par le président de la Cour suprême, dans les deux mois qui suivent leur élection ou installation.
À la soupe, chers pots
Mais, à ce jour, aucune déclaration de biens de nos responsables, notamment les membres de l’Exécutif, n’a été rendue publique et nous ne savons pas si, effectivement, ils l’ont fait, ou s’il y a eu des retards dans le dépôt de ces listes. Il faut dire que tout un dispositif légal existe depuis janvier 2013 et rend obligatoire la publication de l’inventaire du patrimoine de nos dirigeants. Mieux encore, cette obligation est depuis 1992 constitutionnalisée. En effet, la constitution prévoit : «Toute personne désignée à une fonction supérieure de l’État, élue au sein d’une assemblée locale, élue ou désignée dans une assemblée ou dans une institution nationale doit faire une déclaration du patrimoine au début et à la fin de sa fonction ou de son mandat.» Or, durant ces dernières années, la corruption et l’enrichissement illicite n’ont jamais été aussi florissants.
Les scandales en cascade et les richesses accumulées par certains de nos responsables n’ont cessé d’alimenter aussi bien la presse nationale qu’internationale.
Au même moment, le train de vie de nombreux ministres du gouvernement sortant a suscité bien des interrogations sur leurs accointances avec l’argent sale, alors que l’affaire de l’engrais « frelaté » et de la surfacturation des 1000 tracteurs et avant elle celle de l’achat de l’avion présidentiel et du marché d’équipement militaire ainsi que bien d’autres ont levé le voile sur des opérations d’enrichissement illicite de hauts fonctionnaires de l’État, qui n’ont jamais été interpellés sur leurs fortunes subitement érigées. Depuis l’arrivée du président IBK au pouvoir en 2013, et sa première déclaration de patrimoine, a-t-on idée du nombre de ministres et de responsables qui se sont succédé sans qu’ils ne déclarent leurs biens ? Ils se comptent sur les doigts d’une seule main, ceux qui l’ont fait. Et un député de l’Assemblée Nationale n’avait pas tort de déclarer, il y a une année, à un journaliste de la radio, que ni lui ni les ministres de sa formation ne se sont conformés à cette obligation légale.
Plus que jamais, cette obligation de déclaration de patrimoine faite aux membres de l’Exécutif, aux magistrats des hautes Cours, ainsi qu’aux élus, gagnera à mieux moraliser la vie publique en la rendant publique et en faisant en sorte que la structure qui veille à sa réception et son contrôle (la Cour suprême) la rendent accessible aux citoyens à travers sa publication officielle.
Jean Pierre James
Source: Le Nouveau Réveil