Invité de RFI la semaine dernière, Nasser Bourita, le ministre marocain des Affaires étrangères. Il s’exprime sur la récente escalade au Sahara occidental dont il rejette la faute sur l’Algérie et défend la décision du président de la Commission de l’Union africaine d’accorder le statut d’observateur à Israël au sein de l’organisation. Une interview RFI et France 24 au micro de Florence Morice et Marc Perelman.
Marc Perelman : Le Premier ministre palestinien, Mohammad Shtayyeh, a exhorté l’Union africaine à retirer le statut d’observateur à Israël. Est-ce que vous comprenez les critiques du Premier ministre palestinien à l’égard des pays, notamment arabes, qui semblent favorables à ce statut d’observateur ?
Nasser Bourita : Moussa Faki était dans son bon droit, et je ne parle pas du fond. Je parle d’abord de la procédure. Trois ou quatre pays ont annoncé chez eux qu’ils allaient combattre cette décision. Ils sont venus, à partir de cette surenchère nationale, pour imposer leur position ici à l’Union africaine. Je pense là aussi qu’il faut comprendre que l’Union africaine a changé, qu’elle n’est plus la chasse gardée d’un pays ou deux qui peuvent dire “non, on va bloquer” et que l’organisation va les suivre.
L’Afrique a changé, l’Union africaine a changé. Il se trouve aujourd’hui que 44 pays africains ont des relations avec Israël, 44. Je pense que c’était Margaret Thatcher qui avait dit un jour sur l’ONU, “C’est le miroir qui reflète une réalité”. Si cette réalité ne plait pas à 4 pays, il faut la changer d’abord sur le terrain. Parmi les pays qui sont les promoteurs de ce débat, il y en a un qui a reçu, il y a une semaine, l’ambassadeur d’Israël et qui a une ambassade avec un drapeau d’Israël qui flotte. Je parle de l’Afrique du Sud.
Comment peut-on accepter une réalité chez soi et venir imposer le contraire au niveau de l’Union africaine ?
C’est hypocrite ?
Je pense que c’est un réflexe que l’Union africaine est une chasse gardée. Ce n’est plus le cas.
Mais vous êtes favorable à ce statut d’observateur. On peut le dire ? C’est clairement ce que vous dites ?
On est favorable à la mise en œuvre des textes de cette organisation.
Florence Morice : Certains considèrent que si le Maroc tient ce discours, c’est parce que votre pays, au fond, privilégie ces accords commerciaux et de défense avec Israël aujourd’hui sur la cause palestinienne.
C’est faux. Le Maroc est engagé au côté du peuple palestinien. Nous sommes tous pour une solution à deux Etats. Lorsqu’on est pour une solution à deux Etats, c’est qu’on doit reconnaître deux Etats. C’est cela la position du Maroc. Et le rétablissement des relations avec Israël ne changera aucunement la position du Maroc sur la question palestinienne.
Est-ce que votre rapprochement avec Israël et les accords de coopération que vous avez avec ce pays ne vous mettent pas un peu en difficulté sur cette question qui divise aujourd’hui l’Union africaine ?
Lorsqu’on est clair par rapport à ses positions, lorsqu’on n’instrumentalise pas les causes des autres, ça ne pose pas de contradiction.
Et le Maroc souhaite également que l’évolution de sa relation avec Israël puisse permettre la réalisation des droits du peuple palestinien à avoir un Etat indépendant.
L’Algérie vous accuse de coopérer militairement avec Israël pour l’intimider. Que répondez-vous à ces accusations ?
Cela fait assez longtemps que j’ai arrêté de suivre ce que dit l’Algérie ou la diplomatie algérienne, parce que je vois qu’il y a beaucoup de contradictions, beaucoup de choses. Je pense que c’était Talleyrand qui avait dit : “Lorsque c’est excessif, cela devient insignifiant”. Et je pense que lorsqu’on est dans l’excès, on n’a plus d’impact.
Est-ce que, pour vous, l’hypothèse d’une confrontation militaire directe entre vos deux pays est envisageable aujourd’hui ou exclu ?
Le Maroc n’est pas dans l’escalade. Le Maroc n’insulte pas l’avenir et le Maroc pense qu’on ne change jamais la géographie. Mais la démarche de sa Majesté le Roi est de ne pas aller dans l’escalade et de se concentrer sur ce qui nous unit et pas sur ce qui nous désunit.
Au Sahara, le cessez-le-feu qui était en vigueur plus ou moins depuis 1991 a été rompu. Il y a eu des affrontements militaires. Est-ce que vous craignez que les choses dégénèrent ?
Le Maroc est dans son territoire, et le Maroc est dans sa légitime défense. Le Maroc n’a jamais cherché la confrontation. Le Maroc est pour une solution dans le cadre des Nations unies de ce problème, dans le cadre de l’autonomie, sous souveraineté marocaine. Ce n’est pas le Maroc qui a sorti un communiqué en octobre pour dire : “Je rejette la résolution adoptée par le Conseil de sécurité”.
A propos, est-ce que l’initiative de l’envoyé spécial des Nations unies a un avenir, ou est-ce que c’est mission impossible ? On a le sentiment que la situation est bloquée. L’Algérie reste sur la même position, à savoir des négociations directes entre vous et le Polisario, ce que vous refusez. Est-ce qu’on n’est pas dans une impasse ?
Il ne faut pas mettre l’Algérie et le Maroc sur un pied d’égalité. Et le Maroc est aligné sur la résolution du Conseil de sécurité. L’Algérie ne veut pas de cette résolution. Donc, le Maroc, il est à l’aise. L’envoyé personnel [du secrétaire général de l’ONU pour la région du Sahara, Staffan De Mistura], a un mandat, il a un cadre d’action. Lui-même dit qu’il travaille pour les tables-rondes. Si l’Algérie ne veut pas, c’est son problème.
Mais est-ce que vous pensez que cela va se débloquer ?
En tout cas, pour le Royaume du Maroc, il y a une volonté pour trouver une solution dans le cadre de l’initiative d’autonomie marocaine, et rien que l’initiative d’autonomie marocaine.
Le cadre, c’est un cadre de tables-rondes avec la participation de la véritable partie à ce différend régional. Dans ce couloir [du siège de l’Union africaine], demandez à n’importe quel diplomate, le problème du Sahara, il est entre qui et qui ? Et l’avantage de cette escalade algérienne, c’est que l’Algérie aujourd’hui a démontré qu’elle est la véritable partie à ce problème.
Source: Aujourd’hui-Mali