Pour l’ancien plus jeune Premier ministre malien, la jeunesse est la chance de l’Afrique, même dans ce contexte d’exode vers le Nord.
Rares sont les leaders politiques africains à s’exprimer sur la question de l’exode des jeunes Africains vers l’Europe. Et pour cause, cette seule question met en cause de nombreux autres problématiques. À commencer par celle de la démographie exponentielle. Les études démontrent qu’avec un taux de croissance de la population de 3 %, il faut un taux de croissance économique de 7 % pendant 18 ans pour obtenir le doublement du PIB par habitant. Si le taux de croissance de la population descend à 2 %, avec le même taux de croissance économique, le continent africain mettrait seulement 14 ans pour doubler le PIB par habitant ! Parti de ce constat, l’ancien Premier ministre, expert-comptable et postulant au poste de maire du district de Bamako, dresse un diagnostic sans concession de la jeunesse africaine dans un nouvel ouvrage intitulé *Jeunesse africaine, le grand défi à relever. Au bout du compte, il propose aux Africains de prendre le problème à bras le corps et l’homme de prendre le Mali comme laboratoire : en effet, parmi les dix premiers pays de départ de la vague actuelle de migration identifiés par Frontex, l’agence européenne de contrôle des frontières, figurent trois pays africains : le Nigeria, le Sénégal et le Mali. Mais tout n’est pas sombre dans ce tableau du continent africain, Moussa Mara s’est confié au Point Afrique sur sa stratégie pour le renouveau de l’Afrique.
Le Point Afrique : La jeunesse africaine, bombe à retardement pour l’Afrique et le reste du monde ?
Moussa Mara : L’Afrique est un continent de jeunes. Il le sera de plus en plus. Mais la jeunesse africaine ne se sent pas à l’aise, elle est frustrée et se sent marginalisée par les décideurs. Ne bénéficiant pas de conditions adéquates pour réaliser ses aspirations et contribuer à la collectivité, elle a tendance à se réfugier dans des attitudes contre-productives, voire violentes. Cela n’augure pas de lendemains meilleurs pour nous. En tant que jeune responsable politique, j’ai estimé qu’il est de mon devoir de me pencher sur la question, analyser la situation des jeunes Africains, faire ressortir les facteurs objectifs qui contraignent le sort de la jeunesse et esquisser quelques pistes utiles pour inscrire le continent, ses élites et sa jeunesse dans une perspective constructive. Le livre est l’illustration de cette démarche.
Quelles réponses apportez-vous aux jeunes Africains tentés par l’exode ou les extrémismes religieux ?
Trois réponses. D’abord, l’émigration et l’extrémisme religieux sont des fuites en avant qui aboutissent de plus en plus à des impasses, voire à l’autodestruction. Ensuite, étant les plus nombreux, les jeunes ont la possibilité, s’ils s’organisent, se posent les bonnes questions et s’engagent pour la collectivité, de pouvoir améliorer leur sort dans leurs pays respectifs, obtenir des décideurs de s’engager dans la voie de la construction de bonnes relations avec les jeunes et de mieux prendre en compte leurs aspirations. Enfin, sur le plan individuel, l’énergie et les ressources employées dans l’immigration suffisent souvent à se construire une vie décente sur place dans nos pays. Chaque jeune, qu’il soit instruit ou pas, qu’il vive en campagne ou en ville, peut s’en sortir s’il sait faire preuve de force de caractère, cultive le goût de l’effort et de l’acharnement au travail et s’il s’inscrit dans une dynamique d’observation de son environnement et d’utilisation des opportunités offertes par ce dernier.
Pourquoi au Mali et dans d’autres pays, les messages des religieux sont-ils toujours plus audibles que ceux des politiques ?
D’abord, parce que le message politique n’existe pas, et, s’il existe, il n’est plus crédible ! Il n’existe pas, car les élites politiques et les jeunes cohabitent sans se connaître et sans travailler ensemble, comme ailleurs sur le continent. Les décideurs de nos pays sont en général assez âgés quand les populations sont jeunes, il y a un décalage évident. Les responsables politiques voient aux jeunes des menaces et ont donc tendance à se barricader ou à essayer de les instrumentaliser. Cela est réel au niveau local comme au niveau national, voire continental. Quand ils s’adressent aux jeunes, ce qu’ils sont (mauvaise exemplarité, gouvernance à caution, enrichissement sans cause…) parle si fort que le message n’est plus audible. Ensuite, parce que le message religieux est simple, facilement compréhensible, comporte des éléments absolus qui ne se discutent pas, sont porteurs d’espérance et, quelques fois, sont accompagnés d’actes porteurs (action sociale, rémunération…) qui finissent de convaincre certains jeunes, aussi nombreux que déçus par les décideurs, à franchir le pas et à s’enfoncer dans la radicalité. Enfin, l’absence de culture politique et de capacités d’analyse mais aussi une certaine indolence, voire de la paresse, favorisent le basculement des jeunes dans le camp des extrémistes de toutes sortes, dont les extrémistes religieux. Il nous est obligatoire de traiter à sa juste mesure chacun de ces facteurs si nous voulons éviter à nos pays des lendemains périlleux. En la matière, le livre Jeunesse africaine, le grand défi à relever contient quelques pistes à étudier.
Comment, concrètement, résorber le chômage de masse ?
Le chômage de masse est la résultante de plusieurs situations que nous avons laissées se détériorer progressivement et sur plusieurs décennies. Il y a d’abord le facteur démographique, dans un contexte de forte natalité, la population devient une charge pour elle-même et pour la collectivité et si cette dernière n’arrive pas à répondre aux besoins ainsi créés, il s’en suit une baisse de la qualité du capital humain et donc un risque de détérioration des conditions de vie des populations. Nous devons nous pencher sur cette question très complexe et identifier les voies et moyens nous permettant d’avoir une croissance démographique qui nous assure une bonne qualité de nos ressources humaines, et dans le temps. Il y a ensuite la question des compétences, de la formation et de l’éducation de notre jeunesse. Nos systèmes éducatifs ne sont pas adaptés à nos pays et de nombreuses opportunités n’y ont pas encore été mises en valeur. Il y a enfin nos économies et leurs nombreux potentiels qui ne sont pas suffisamment mis en valeur. Il faut travailler sur chacun de ces domaines, concomitamment et dans la durée pour inscrire nos pays dans une dynamique continue de création de richesses au profit des populations et fondée par une aptitude croissante de ces dernières à participer à cette évolution.
Quels sont les secteurs qu’il faudrait en priorité refonder pour donner des opportunités aux jeunes ?
L’éducation et la formation, y compris les formations spirituelle, citoyenne et politique, sont indispensables pour donner aux jeunes Africains des aptitudes techniques indispensables à l’exercice des responsabilités, mais aussi et surtout des forces morales, une conscience solide et un engagement indispensables au bénéfice de la collectivité pour être des jeunes hommes et femmes qui s’inscrivent dans une démarche éthique et solidaire avec les autres pendant leurs parcours. Nous devons pour ce faire repenser nos systèmes éducatifs. Les ouvrir aux changements et aux révolutions qui se passent sous nos yeux et faire en sorte que la créativité, l’esprit d’innovation, le goût d’entreprendre des jeunes soient soutenus et promus. Le secteur des nouvelles technologies d’information et de communication est à promouvoir et à insérer dans nos écoles, lycées, universités de manière massive pour que ces outils soient maîtrisés par les jeunes et mis à contribution pour créer et produire. Ce secteur n’est pas synonyme de divertissement seulement. Il doit porter des innovations africaines et placer le continent parmi les espaces de l’intelligence économique. J’ai la chance de parcourir l’Afrique dans mes activités professionnelles et politiques, je peux assurer qu’il y a dans nos pays des millions de jeunes en mesure d’apporter des changements importants grâce aux TIC. Le secteur de l’artisanat, des créations artistiques, de la culture n’est pas suffisamment mis en valeur dans nos systèmes éducatifs alors qu’il est inducteur de croissance. Il faut le regarder sous cet angle et le promouvoir dans cette optique. De manière générale, les métiers de production (agriculture, élevage, petites agro-industries et quelques services notamment dans les villes) sont aussi à examiner avec attention pour ouvrir des perspectives aux jeunes Africains.
L’entrepreneuriat, peut-il être LA solution ?
Il est évident que tous les jeunes diplômés ne peuvent être des employés, des salariés, des fonctionnaires. Il est tout aussi évident que les jeunes non diplômés ne peuvent prétendre à des fonctions de salariés, car souvent dépourvus de capacités. Il faut donc faire de l’entrepreneuriat une des destinations privilégiées des jeunes Africains, mais, pour ce faire, il n’y a pas de bouton magique sur lequel appuyer ! Il faut aller dans plusieurs directions, en même temps, et pour longtemps ! D’abord l’école, c’est elle qui conditionne nos jeunes frères à développer un esprit de salarié. Il faut réorienter notre système d’enseignement pour que les enfants africains soient plus ouverts à la création d’entreprises, à être autonomes, prendre des risques, faire des démarches dans ce sens… Il faut aussi créer les conditions pour que ces jeunes bénéficient d’accompagnement, aussi bien localement que sur le plan national quand ils envisagent de se lancer dans l’aventure, depuis l’étape des idées et projets jusqu’à la gestion des activités, voire en cas de difficultés. Il faut ensuite que les outils, services, projets mis en place pour encourager l’entrepreneuriat des jeunes ne soient pas des coquilles vides entre des mains ignorantes et intéressées. Beaucoup d’efforts sont à fournir, avec les jeunes à mettre en première ligne, notamment ceux ayant réussi dans le domaine qui pourront être de bons modèles et disposer d’expertises certaines pour accompagner utilement leurs jeunes frères et jeunes sœurs.
* Moussa Mara « Jeunesse africaine, le grand défi à relever » chez Mareuil Editions, juin 2016.
Source: lepoint