Durcissement des sanctions à l’encontre des autorités de transition, guerre politique entre le Premier ministre et une partie de la classe politique, le mémorandum de Tiébilé Dramé, vie chère, etc. Mohamed Ag Assory, analyste politique et directeur fondateur de Tidass Stratégie-consulting, livre son analyse.
Mali-Tribune : Les chefs d’Etat de la Cédéao se sont réunis pour un sommet extraordinaire le week-end dernier pour statuer sur la transition au Mali et en Guinée. Une série de sanctions ont été prises contre les dirigeants de Bamako et Conakry. Comment justifiez-vous ces sanctions ?
Mohamed Ag Assory : En effet durant le sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la Cédéao, il y a eu l’analyse de deux situations politiques en Guinée et au Mali. Même si on parle dans les deux contextes d’une prise de pouvoir par les militaires, il faut savoir que c’est deux contextes sont totalement différents. Le Mali n’est pas la Guinée, la Guinée n’est le Mali. Derrière ces coups d’Etat, il y a plusieurs paramètres à prendre en compte. Mais il ressort que les deux juntes ont été sanctionnées. Ces sanctions individuelles sont venues compléter d’autres sanctions qui ont été prises précédemment, notamment l’exclusion des deux pays des instances décisionnelles de la Cédéao. C’est dans cette suite logique-là, en absence d’avancées dans le contexte malien que la Cédéao demande depuis quelques temps aux autorités maliennes de donner un chronogramme détaillé pour les opérations électorales et référendaires, mais malheureusement, c’est ce qui n’a pas été fait et les chefs d’Etat de la Cédéao n’ont pas apprécié cette absence de chronogramme et l’expulsion du représentant de la Cédéao par les autorités maliennes n’a pas été du goût des chefs d’Etat, en plus de la lenteur et l’absence des progrès réalisés. C’est ce qui peut justifier, à mon avis, ces sanctions-là.
Mali-Tribune : Après la Cédéao, la France et l’Union européenne ont emboité le pas pour prendre des sanctions contre le Mali. Pensez-vous que ces sanctions vont pousser la junte à respecter le délai de la transition ?
M A. A. : S’agissant de la France, de l’Union européenne, des Nations-unies et des autres Etats, pratiquement toutes les organisations internationales ont toujours déclaré qu’elles suivaient et soutenaient les positions de la Cédéao sur la question malienne. Donc logiquement, je dis bien que ces organisations vont sûrement emboiter le pas et même certains Etats. Maintenant, nous sommes en politique et en diplomatie même si les Nations-unies suivent l’Union européenne, il y a quand même quelques Etats qui peuvent, selon leurs relations avec les autorités de transition, déroger à cela, mais on peut dire sans se tromper que si les tendances se poursuivent comme on le dit ici, elles emboiteront les pas.
Les sanctions internationales ne tombent pas d’un coup. C’est toujours graduel et progressif. Nous avons remarqué que les mois qui ont suivi le coup de force, il y a eu l’exclusion du Mali de la Cédéao, de l’Union africaine et autres. Et là, nous avons les responsables de la transition qui sont sanctionnés. Je crois que nos partenaires internationaux sont en train de mettre la pression. Est-ce qu’à la longue les autorités de transition peuvent résister à cela ? Je ne le crois pas. Mais laissons le temps faire son œuvre.
Mali-Tribune : Est-ce que ces sanctions auront un impact sur la population malienne ?
M A. A.: Ces sanctions en l’état ne vont pas impacter les populations directement, mais vont quand même irriter sinon limiter le déplacement des autorités de transition. Le pir est à craindre on n’est pas sorti de l’ornière encore parce que quand vous regardez le communiqué, la Cédéao dit qu’elle engage le Président de la Commission à étudier d’autres types de sanctions pour le sommet à venir. Donc s’il n’y pas une réponse claire de la part des autorités maliennes d’ici-là ces sanctions risquent pas de se durcir, mais de toucher également d’autres secteurs.
Mali-Tribune : A Accra, seulement 5 chefs d’État ont pris part à la réunion. Le Bénin et le Nigeria étaient représentés par leurs vice-présidents. Le Burkina a envoyé son Premier ministre, la Gambie, le Libéria et le Togo ont envoyé des ministres, le Cap Vert était représenté par son ambassadeur au Nigeria, et la Sierra Léone par son Haut-commissaire au Ghana. Pourquoi les chefs d’Etat de ces pays ont préféré rabaisser le niveau de leur présence à ce sommet extraordinaire ?
M A. A.: La disponibilité des chefs d’Eta à participer à ce sommet ne veut pas forcément dire qu’ils n’y accordent aucun intérêt. Les chefs d’Etat ont leurs agendas internes. Il y a des Présidents qui peuvent préférer s’occuper des questions urgentes. Mais je pense que ça n’a pas un grand impact sur les décisions parce que c’est un sommet des chefs d’Etat et les décisions qui ont été prises engagent tous les chefs d’Etat qui font partie de l’organisation et engagent la Cédéao.
Mali-Tribune : Déjà, le bras de fer entre le Mali et les responsables de la Cédéao ne cesse de s’attiser. Nous avons vu l’expulsion du Représentant spécial de la Cédéao au Mali. Jusqu’où ira ce bras de fer ? Et qui aura le dernier mot ?
M A. A.: Nous sommes dans une situation très difficile. Le bras de fer n’arrange personne. Nous sommes dans un village global pour reprendre l’expression. Aujourd’hui, la Cédéao a besoin du Mali et vis-versa. Mais, je pense qu’avec toutes les difficultés que nous avons sur le plan national actuellement, on ne peut pas s’offrir le luxe d’ouvrir les fronts avec nos partenaires et nos amis de la Cédéao qui ont toujours accompagné le Mali. N’eut été cette Cédéao, l’histoire aurait été écrite autrement. Depuis la crise de 2012, la Cédéao s’est toujours tenue auprès du Mali, tout comme le Mali a toujours répondu à la Cédéao. Je crois que des frictions diplomatiques arrivent. Maintenant qui aura le dernier mot ? Je ne saurais parier, mais il est très difficile de designer un gagnant lorsqu’il s’agit d’une famille parce que le Mali et la Cédéao appartiennent tous à cette grande famille de l’Afrique de l’Ouest. Quelles que soient les issues, je pense qu’il n’y aura pas de gagnant. Maintenant qui est-ce qui est handicapé par tout cela ? Je dirais sans hésiter que c’est notre pays. Nous faisons face à des défis immenses où nos partenaires ont un rôle clé à jouer et ce sont nos partenaires immédiats. Quand vous regardez la carte, nos premiers partenaires naturels sont dans cette zone-là et les deux autres pays avec lesquels nous faisons frontière et qui ne sont pas de l’espace Cédéao et malheureusement les échanges sont timides. Je parle notamment de l’Algérie et de la Mauritanie. Nous avons tout à gagner à clore ces différents incidents.
Mali-Tribune : Le cadre d’échange des partis et groupements politiques pour une transition réussie au Mali accuse Choguel d’être le seul responsable des conséquences du non-respect des engagements pris devant la communauté internationale. Comment expliquez-vous cela ?
M A. A.: Vous savez, la question politique entre le Premier ministre et la classe politique c’est une guerre politique, une guerre d’influence, ce qui justifie un peu le combat du cadre d’échange des partis et groupements politiques. C’est vraiment pour essayer de mettre en place un climat de consensus pour conduire aux élections. Dans notre culture démocratique et notre architecture institutionnelle, le Premier ministre est le répondant de l’action gouvernementale. Donc au-delà de la politique, c’est tout à fait logique parce que c’est le Premier ministre qui est responsable de la mise en œuvre de la politique gouvernementale, soit devant l’Assemblée ou devant les citoyens. Dans ce sens, c’est tout à fait compréhensible.
Mali-Tribune : Le Parena a publié un mémorandum très critique envers la gestion des autorités de transition, intitulé « crise institutionnelle et sécuritaire : comment sortir de l’impasse, comment préserver l’État ». Quelle analyse faites-vous de ce mémorandum ?
M A. A.: Le mémorandum est une analyse de la situation, c’est toujours une bonne analyse de la situation sans complaisance. Ce mémorandum est autant valable aujourd’hui qu’il l’est avant-hier, l’année dernière et l’année précédente. Depuis 2012, c’est sensiblement la même chose. La situation va de mal en pis. Ce n’est pas quelque chose d’extraordinaire ou de nouveau que les acteurs politiques le portent ainsi. C’est toujours bien aussi de rappeler les priorités et les bas qui blessent. C’est cette analyse que j’en fais dans le fond, maintenant la forme, c’est autre chose.
Mali-Tribune : Les prix des produits de première nécessité connaissent une envolée spectaculaire sur le marché malien. Qu’est-ce qui explique cette hausse ?
M A. A.: Concernant les prix, je crois que c’est une tendance mondiale et sous-régionale couplée avec la pandémie de la Covid-19, du conflit et de l’insécurité sur les axes de l’approvisionnement. C’est un contexte économique qui peut expliquer tout cela. Il y a aussi la mollesse des autorités qui ne veulent pas ouvrir avec beaucoup de front les syndicats et autres. Il y a des difficultés économiques c’est normal dans un pays en crise. Une crise sécuritaire impacte forcement sur les autres aspects de la société comme l’accès aux services sociaux de base, aux échanges commerciaux, aux circuits de production interne. Vous voyez, au centre du pays qui est un important site agricole, les populations, de plus en plus, ont du mal à produire. J’inscris tout cela au Covid-19, crises sécuritaire et politique…
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane
Source: Mali Tribune