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Mme Cissé Oumou Ahmar Traoré, Journaliste-écrivaine : «La féminisation du phénomène migratoire apparaît comme un facteur d’émancipation»

Mme Cissé Oumou Ahmar Traoré est une journaliste-écrivaine dont la voix résonne au-delà de son Mali natal. En 2007, son roman « Mamou, épouse et mère d’émigrés », paru aux éditions Asselar a dévoilé les faces cachées de l’immigration. Ce roman de plus de 200 pages retrace le combat d’une femme qui affronte les dures  épreuves de la vie  après le départ de son mari et de ses enfants à l’aventure.  Membre du comité de rédaction de l’ouvrage « Les Paris des Africains », Mme Cissé a participé en 2012 à la conception d’un ouvrage collectif sur la crise au Mali « Le Mali entre doute et espoir : Réflexion sur la nation à l’épreuve de la crise du Nord”.

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Ancienne chargée de communication du ministère de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille du Mali, Mme Cissé Oumou Ahmar Traoré est diplômée de l’école nationale d’administration d’Alger et de l’Ecole internationale de journalisme de Berlin. Titulaire d’un DEA d’études féminines obtenu à l’Université de Paris VIII, elle a effectué un stage  à l’Unité pour la condition de la femme et l’égalité des sexes (WGE) de l’UNESCO. A la Coopérative Culturelle Jamana, elle a été rédactrice en chef du magazine des Jeunes Grin-Grin puis journaliste au quotidien Les Echos. Épouse de diplomate, cette Sarakolé pure et dure dispose d’une expertise avérée et d’une large connaissance du phénomène migratoire. Elle décrypte dans cet entretien la migration féminine.  

Qu’est ce qui explique une féminisation de plus en accrue  du phénomène migratoire ?

Les raisons sont multiples et assez complexes, elles diffèrent selon les communautés et  les pays. Au Mali, pays de départ mais aussi de destination, ainsi que dans de nombreux autres pays africains, la migration, pour avoir été une migration de travail à l’origine, fut perçue et admise comme une entreprise essentiellement masculine. Basée sur la conception traditionnelle  de la famille, la  migration de travail,  lorsqu’elle ne se faisait pas sans la femme en l’exposant à l’attente, l’interminable attente du retour  incertain de son conjoint, réduisait ses place et rôle dans le pays d’arrivée, à l’entretien du foyer et à la procréation. A destination de l’Europe, lorsque  débuta en 1970 la migration de travail, des migrants, dans le cadre de la politique du regroupement familial se furent rejoindre par leurs familles. Toutefois, la femme n’apparaissait pas comme migrante, mais plutôt une personne à charge ; à cet égard, elle restera longtemps méconnue des   statistiques.

Des années plus tard, la survenue de la crise économique dans certains grands pays traditionnels d’accueil de migrants tels que l’ex- Zaïre, la Côte d’Ivoire,  la Libye, le Libéria, le Gabon et l’Angola, les expulsions massives de migrants, les instabilités politiques, les conflits post-électoraux et surtout le durcissement depuis deux décennies des politiques migratoires  européennes, entraineront la séparation des familles, jetteront  les femmes, chacune avec  ses motifs, sur des voies inédites de la migration.

Cette migration féminine balbutiante ira croissant et le profil de la migrante ne cessera d’évoluer. La  femme migrante devient alors plurielle, elle n’est plus seulement la  femme au foyer mais aussi, la femme chef de ménage ou du bien-être collectif, la  femme enceinte ou allaitante rêvant d’un avenir meilleur pour sa progéniture, la mère célibataire, la femme de métier, l’étudiante diplômée, celle qui revendique les droits à la mobilité et au travail tels que consignés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme  de 1948 :

Article 13 : «Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays »

Article 23 :   «Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail »

La migrante,  c’est  en somme « la femme qui part se chercher », d’après une expression ivoirienne.

La flambée du phénomène migratoire féminin traduit d’abord une certaine prise en main par les femmes de leurs propres destinées, au même titre que les migrants, on les retrouve, dans le cadre de la migration irrégulière, à bord des convois  dans les déserts, dans les camps d’infortune de transit, sur des  embarcations sauvages en mer, où certaines donnent  même la vie. Aussi, les luttes des mouvements féministes des années 70, les politiques  étatiques de la scolarisation des filles et l’ouverture sur le monde extérieur via les nouveaux médias impactèrent positivement la mentalité de nombreuses femmes en  entrainant des changements de comportement, la générosité de la législation. A cela s’ajoutent la souplesse des législations de rares pays comme le Mali vis-à-vis de l’accueil  des étrangers et  de leur insertion socio- économique. Dans notre pays, l’un des rares pays  au monde à n’avoir jamais instauré le titre de  séjour pour les étrangers, les migrantes sont à majorité Béninoises, Togolaises, Ivoiriennes, Congolaises,  Nigérianes, Guinéennes,  Sénégalaises, Camerounaises. Qualifiées pour la plupart, elles rayonnent dans les  secteurs de la  restauration, l’esthétique, la cosmétique, la couture, la coiffure, le commerce de textile, la transformation céréalière et même l’orpaillage traditionnel. En Occident, d’autres emplois plus rémunérés et mieux valorisés tels que la garde d’enfants, le  ménage, les soins aux personnes vulnérables et quelques fois les études et l’art, attirent  les migrantes  parmi lesquelles figurent plusieurs Maliennes.

Mieux éduquées, plus qualifiées, plus entreprenantes et donc, plus  confiantes, les migrantes se sentent en capacité d’exister par elles-mêmes,  et assument les risques d’une rupture familiale au nom de leur  idéal  de bonheur.

Au regard des raisons sus – citées, la féminisation du phénomène migratoire apparait comme un facteur d’émancipation, une  traduction par les femmes de leur désir d’autonomisation. Mieux que personne, elles semblent avoir intégré la vérité historique  selon laquelle « le premier amour d’une femme est son  emploi ».

Les femmes ne se contentent plus de suivre leur mari. Les motifs qui poussent les femmes sont-ils les mêmes que pour les hommes ?

C’est fort  encourageant de voir des  femmes de plus en plus libres, de plus en plus déterminées à changer le cours de leur vie. N’oublions pas que, l’idéologie inféodant la femme à l’homme fut de tout le temps inculquée à la jeune fille,  lui ôtant, excepté  la vie au foyer,  toute ambition.  Homme et femme, ne migrent pas pour les mêmes raisons, mais tous  partent  à une quête : quête de sécurité, de dignité, de richesse, de savoir, de  perspectives, etc.

Nos sociétés étant d’essence conservatrices, malgré les lois, nombre d’entre elles peinent toujours à offrir  à la fille et au garçon, à l’homme et  à la  femme, les mêmes opportunités, rechignent à leur accorder les mêmes droits et protections. A titre d’exemple, des textes discriminatoires et les dénis de droits tels que le refus de scolarisation, la déscolarisation aux fins de mariage,  les mutilations génitales, les violences conjugales et bien d’autres traitements socio-culturels dégradants, affectent directement les filles et les femmes. Aussi,  la montée actuelle de l’extrémisme religieux, la récurrence des  conflits civils et les  rebellions armées sur fond de  lapidations, viols, séquestrations,   mariages forcés, enlèvements et autres atrocités, font d’elles des cibles privilégiées. En  2012  au Mali, suite à la rébellion et à  l’occupation djihadiste,  des femmes et des filles ont connu flagellations publiques, viols, séquestration et mariage sforcés dans les régions de Gao et Tombouctou. En 2014, au Nigéria, les islamistes de  la secte, Boko Haram, s’emparèrent de  214 lycéennes dans la ville de Chibock. Auparavant, au  Liberia,  Congo -RDC,  Sierra Léone, lors de la crise post-électorale de 2010 en Côte d’Ivoire,  plusieurs femmes et jeunes filles  subirent  des atrocités. Ailleurs, en Syrie et en  Irak, des djihadistes du Groupe islamique s’approvisionnent en femmes sur les marchés quand ils ne les réduisent pas  à l’esclavage sexuel. En Afghanistan et dans certains pays orientaux, des femmes sont victimes de crimes d’honneur  et d’attaque à l’acide.

En l’absence de réponses nationales  fortes ou  de  législations appropriées, les protégeant, des femmes et jeunes  filles  optent de migrer  vers des cieux   plus cléments. Elles sont confortées dans leur choix par une déclaration pleine d’espoir de Nicolas Sarkozy, alors président en date du 29 mai 2007 : « A chaque femme martyrisée dans le monde, je veux que la France offre sa protection en lui donnant la possibilité de devenir française ».

À cet effet,  l’Europe de l’Ouest, surnommée, « le Paradis des femmes » par certains  migrants et l’Amérique du Nord, deviennent des destinations de  premier choix ; à  l’immigration choisie, les migrantes opposent, à juste raison, la destination choisie. Mais leurs opposants voient plutôt dans leur démarche un subterfuge, une  utilisation stratégique de l’image de soi  consistant à  jouer sur la rhétorique de la victimisation afin de bénéficier de la possibilité de  s’établir définitivement dans les pays d’accueil, voire d’y conclure d’éventuelles unions  d’intérêt. De ce point de vue, la quête de protection et de devenir des migrantes dépasse  leurs seuls intérêts, en témoigne la présence dans les centres d’accueil  d’enfants,  de mineurs non accompagnés et  de femmes enceintes.

Si migrantes et migrants recherchent dans leur majorité la sécurité économique, la quête de survie et de protection auprès des pays plus tolérants, plus respectueux des droits de la femme, définit de manière absolue le projet migratoire de nombre de femmes dorénavant installées confortablement aux commandes de leur vie.

Sans la prise en compte de la dimension socio-culturelle de la migration, le phénomène migratoire féminin  est appelé à se poursuivre, avec le risque d’un déséquilibre démographique homme-femme. Lorsque toutes les femmes seront parties, les hommes pourront-ils vivre entre eux ?

Note de la rédaction

Ce dossier a été réalisé en collaboration avec l’Institut Panos Afrique de l’Ouest  dans le cadre de son projet «Reporters des frontières».

Propos recueillis Chiaka Doumbia

Source : Le Challenger

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