La pratique permet aux consommateurs d’accéder à des légumes frais à toute période de l’année. Mais les conditions de culture
peuvent comporter un risque d’intoxication pour eux.
Le micro-jardinage est une alternative d’accompagnement des efforts accomplis pour l’atteinte de la sécurité alimentaire, notamment dans les pays en développement comme le nôtre. Le regain d’intérêt pour cette pratique justifie pourquoi notre équipe de reportage s’intéresse à ce dossier.
Dans son petit jardin d’à peine 10 mètres carrés, Brouama se prélasse tranquillement sur une vieille chaise métallique, observant le soleil terminer sa course de la journée à l’ouest. Le suave parfum des plantes qu’il venait d’arroser lui procure une joie contagieuse mais surtout la satisfaction de faire œuvre utile parce qu’il est sûr d’apporter un coup de main à l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire. Mais ce décor est symptomatique de l’engouement pour le micro-jardinage, en plein cœur de Bamako. Car la plupart des plantes, mises en terre, sont destinées à la consommation «intérieure».
Nous sommes un soir de mars dans un quartier de la Commune II, précisément Bolibana. La canicule est étouffante puisque le thermomètre affiche des températures très élevées dans la capitale. Bien évidemment que c’est normal ! La saison chaude s’installe progressivement. Après une courte pause, Brouama reprend son arrosoir. Comme requinqué par une nouvelle énergie, le jardinier continue son activité d’arrosage. En quelques pas seulement, il rallie le puits peu profond où il puise l’eau pour asperger ses plantes. Un sourire affiché du bout des lèvres, il raconte l’histoire de «l’Amazonie», un nom que lui et ses coexploitants agricoles (Baba et Oumar) ont donné à leur jardin potager. Ils exploitent temporairement l’annexe d’un bâtiment à étage, non clôturé. Le propriétaire des lieux, lui aussi, y cultivait son potager. Aujourd’hui, nos 3 «Amazoniens» sont les seuls à exploiter cet endroit dans un quartier à forte densité de population où l’espace autour des habitations est rarissime. Leur principale motivation est de «manger sain». Eux restent conscients que l’utilisation massive de pesticides sur les produits maraîchers rebute nos compatriotes, notamment les Bamakois qui n’entendent pas s’accommoder éternellement de cette situation.
Certains consommateurs ont eu, au moins une fois, une petite idée des risques encourus, donc un petit avant-goût du danger lié à l’élimination des parasites végétaux par l’utilisation de pesticides. Le danger, l’avocat Lassine, sait de quoi il parle. Il envisage de faire son micro-jardin après son infortune du 2 mars dernier. A bord de son véhicule, il s’était rendu à Hamdallaye ACI 2000 pour acheter de la salade. Ce quartier huppé de la capitale exhibe un curieux spectacle. Les jardins maraîchers y résistent encore à l’urbanisation effrénée, offrant ainsi aux citadins la possibilité d’accéder à des légumes frais à tout moment, mais pas forcement sains. « J’y suis allé pour acheter de la salade et pensais ainsi éviter la consommation de crudités arrosées et entretenues avec des eaux usées de toilettes ou de ruissellement de rivières… . Quand le maraîcher a commencé à cueillir les plants de salade, une odeur de pesticide commença à se faire sentir», explique-t-il. Aussitôt, l’homme de droit requiert l’origine de l’odeur pestilentielle. «J’ai utilisé des produits contre les insectes nuisibles qui s’attaquent à ces jeunes plantes là-bas», argumente le jardinier en montrant du doigt d’autres plantes, un peu plus loin dans le jardin.
Tombé dans le panneau, Me Lassine rentre tranquillement chez lui, sans une idée claire de ce qui l’attendait. Le lendemain, il consultera au centre de santé, le plus proche, après avoir nuitamment consommé de la salade malsaine. «La nuit a été très longue quand j’ai mangé ces légumes. Pourtant j’avais fait des remarques sur l’odeur d’insecticide. Mais mon interlocuteur m’avait rassuré sur l’innocuité de ces produits sur l’humain», a affirmé l’avocat. Selon lui, lorsque la recherche du profit prend le pas sur la sauvegarde de la santé des consommateurs, la société risque de se retrouver avec une population d’invalides. Il a décidé de partager son expérience via les réseaux sociaux en vue de sensibiliser ses proches sur le danger d’intoxication lié à ces produits maraîchers impropres à la consommation.
La mort dans l’assiette. Dans les pays en développement, l’utilisation excessive de pesticides cause bien des tragédies plus qu’ailleurs. Selon le rapport 2017 de la rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation, les pesticides sont chaque année «à l’origine de 200 000 décès par intoxication aiguë dont 99% surviennent dans les pays en développement où les règlementations, dans le domaine de la santé, de la sécurité et de l’environnement, sont plus souples et moins rigoureusement appliquées». Le micro-jardin pour beaucoup de Maliens, permet de réduire le risque lié à la consommation des produits maraîchers dangereux pouvant coûter la vie. Qu’est-ce que le micro-jardin ? Un peu d’explication s’impose pour mieux comprendre. Il s’agit d’un petit jardin adapté aux villes, particulièrement aux quartiers à forte densité humaine où l’espace est rarissime. D’une technologie simple et peu coûteuse, il permet aux familles de produire à la maison des légumes et divers condiments en vue d’enrichir les repas en oligoéléments, essentiels à la santé.
En général, le micro-jardin se fait hors sol pour compenser à l’absence de terres cultivables dans les grandes villes, comme chez les Sinayoko à Djicoroni Para. Dans leur petite villa au bord du Niger, cette famille nucléaire fait pousser, dans de vieilles bassines, de la menthe verte (ou menthe en épi) : une plante aromatique de la famille des lamiacées couramment appelée «Nanayé» au Mali. Chez nous, il est surtout utilisé pour parfumer thé, tisane… « Je reçois mes amis tous les jours, après le boulot et comme vous le savez, le thé est la boisson chaude préférée de nos compatriotes. La menthe que nous utilisons est faite à la maison. C’est «plus rassurant, car nous sommes au Mali… », souligne notre interlocuteur.
Dans la petite villa, l’espace se fait rare. Pour diversifier ses produits potagers, M. Sinayoko fait pousser au bord du Niger des légumes dans son petit jardin où il cueille de la salade, des tomates etc. Il pourrait en consommer sans risque «d’empoisonnement», selon ses propres termes. Mais avec «Amazonie», la différence est nette. Là, Brouama et ses compagnons exploitent une palette de plantes parmi lesquelles on retient : betterave, oignon, tomate, maïs et même de l’aloe vera… Pourquoi cette plante «parce que nous savons qu’elle a des vertus exceptionnelles», répond Baba, avant d’ajouter que c’est efficace contre la constipation aussi.
Les difficultés, Brouama et ses compagnons jardiniers en connaissent. Les insectes nuisibles et les enfants s’en prennent souvent à leurs cultures. Pour les premiers, nos trois co-exploitants agricoles accueilleront volontiers l’avis des spécialistes pour les combattre. Pour protéger leur jardin des enfants, ils ont érigé des haies de protection. En plus, une structure en bois amovible fait office de porte d’entrée dans le micro-jardin. Ils mettent toujours le cadenas. Maintenant, «l’Amazonie» est devenue une «forteresse». Que les petits violateurs d’espace prennent donc garde !
Khalifa DIAKITé
Source: Essor