La cour d’appel de la ville d’Aleg, dans le sud-ouest de la Mauritanie, a confirmé jeudi 20 août la condamnation à deux ans de prison ferme de trois militants anti-esclavagistes : Biram Ould Dah Abeid, président de l’ONG Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), son adjoint Brahim Bilal, ainsi que Djiby Sow, un militant pour les droits culturels. Un verdict qui choque au moment où la Mauritanie dit vouloir en finir avec cette pratique officiellement abolie depuis 1981, criminalisée depuis 2007, mais encore répandue dans le pays.
Arrêtés en novembre 2014 alors qu’ils menaient une campagne de sensibilisation contre l’esclavage dans le sud du pays, les trois hommes avaient été condamnés le 15 janvier 2015 à deux ans de prison pour « appartenance à une organisation non reconnue » et « rébellion ».
« Biram », comme l’appellent ses partisans, est une figure du mouvement anti-esclavagiste en Mauritanie. Lui-même descendant d’esclaves, il s’était présenté à l’élection présidentielle de juin 2014 face au chef de l’Etat sortant, Mohamed Ould Abdel Aziz, largement réélu. Une candidature symbolique, mais qui avait remis sur le devant de la scène la question des discriminations à l’encontre des Haratine, caste d’esclaves et anciens esclaves (environ 40 % de la population), et des Négro-Mauritaniens.
Ce 20 août, aucun des trois militants n’était présent à l’audience d’Aleg. Souffrant de problèmes de santé, Djiby Sow a bénéficié d’une liberté provisoire et se trouve à l’étranger. Les deux autres accusés ont refusé de se présenter au tribunal.
« Parodie de justice »
Sitôt la décision de la cour d’appel connue, les condamnations se sont multipliées. « C’est un recul des libertés dans notre pays, une démonstration de la soumission des autorités judiciaires aux injonctions de l’exécutif », a réagi Brahim Ould Ebetty, à la tête du collectif d’avocats qui défend les trois hommes, ajoutant : « La parodie de justice ainsi montée a condamné les abolitionnistes à un moment où une nouvelle loi fait de l’esclavage un crime contre l’humanité ».
Ironie du calendrier, le Parlement mauritanien a en effet adopté le 11 août un nouveau texte qui durcit la législation existante. L’esclavage est désormais considéré comme un « crime contre l’humanité », passible de vingt ans de prison contre dix auparavant. Le texte prévoit également l’instauration de tribunaux spéciaux dans les régions et la possibilité pour les parties civiles de porter plainte au nom des victimes.
L’adoption de cette loi a été largement saluée. « Ce texte est évidemment un progrès, souligne Gaëtan Mootoo, chercheur pour l’Afrique de l’Ouest à Amnesty international. Mais que signifie-t-il lorsqu’au même moment sont commises de telles atteintes aux libertés d’expression et d’association ? »
Outre la dernière condamnation des trois militants anti-esclavagistes, le chercheur rappelle que l’IRA n’est toujours pas officiellement reconnue comme association, tout juste tolérée par les autorités. En décembre 2014, un jeune blogueur de 29 ans, Cheikh Ould Mohamed Ould Mkheitir, a été condamné à mort pour apostasie après avoir critiqué dans un article le système social et ses discriminations. Depuis 2007, aucune condamnation définitive n’a été prononcée dans le pays contre une personne responsable d’esclavagisme.
Source: lemonde.fr