«Si vous avez un problème et que vous comptez sur la classe politique pour le résoudre à votre place, vous avez deux problèmes. On ne règle pas les problèmes avec ceux qui les ont créés.» Albert Einstein, Physicien et théoricien allemand.
Une effervescence semble parcourir le Mali à la veille des élections présidentielles annoncées pour le 29 juillet prochain. Chaque jour qui passe, de nouvelles associations et coalitions politiques naissent comme une génération spontanée. Pourtant cette fébrilité ne semble pas annoncer des jours meilleurs. Il ne faut guère se faire d’illusions, les élections présidentielles à venir ne règleront pas les problèmes du Mali, tout comme celles de 2013. Elles n’en sont pas la solution. Au contraire, elles risquent de les compliquer. La tempête de passions partisanes qu’elles drainent dans leur sillage, risque de se transformer en un ouragan majeur, si l’on n’y prend garde.
Dans la foulée de l’opération Serval, la France avait imposé un calendrier électoral serré, croyant ainsi stabiliser un Etat en faillite. Le résultat attendu n’est pas au rendez-vous. La situation semble se dégrader davantage. L’opposition accable le pouvoir en place et proclame qu’il suffit de le changer pour que le Mali aille mieux. Elle dénonce pêle-mêle sa gestion patrimoniale du pays, la corruption généralisée et l’impunité. Mais aux yeux des citoyens, ceux qui indexent et dénoncent la corruption du régime actuel, ont de la peine à apparaître comme le porte-flambeau de la lutte anticorruption et contre l’impunité, en raison même de leur comportement lors de leur passage au pouvoir, des années durant. Les trésors de guerre affichés aujourd’hui ne tombent pas du ciel.
Par ailleurs, le «tout-sauf-IBK» peine à convaincre. Aucun projet consistant de reconstruction du pays. Un silence assourdissant sur les accords d’Alger et surtout sur la présence militaire française au Mali. On ignore les problèmes essentiels du pays, les politiques économiques imposées par les bailleurs de fonds, la tutelle sur le franc CFA, l’endettement continu du pays, le contrôle de l’Etat sur les ressources minières, les privatisations ruineuses pour l’économie nationale, la souveraineté nationale en matière de défense et de sécurité, etc.
On évite toutes les questions susceptibles d’irriter les tuteurs occidentaux fort courtisés en ce moment, pour leur parrainage. Rien d’autre que la dénonciation parfois virulente de la gestion actuelle du pouvoir, même si elle paraît souvent fondée. Si de nombreux citoyens sont atterrés devant une telle explosion de la corruption généralisée du système en place, il reste fort à parier que les électeurs ne se bousculeront pas devant les urnes, tant l’avenir semble bouché et le désespoir infini. Les coalitions hétéroclites risquent pour la plupart, de se disloquer au premier contrecoup. Le mariage circonstanciel entre des militants qui se disent de gauche avec des libéraux proclamés, à la seule fin de déboulonner IBK, est sans perspective. En servant de fer de lance dans l’offensive contre le régime, les éléments de gauche font une grave erreur d’appréciation de la situation politique. Ils en sortiront probablement lessivés, étant à chaque élection, les dindons de la farce. Les politiciens, comme à l’accoutumée, reprendront le chemin des combines pour la composition des listes communes avec des partis qui se dénonçaient auparavant, lors des élections législatives à venir. Les plus avisés retourneront leur veste et rejoindront le gagnant. Des lots de consolation leur seront attribués.
L’émiettement de l’opposition dans des candidatures multiples en raison de l’impossible cohabitation des egos, trace un boulevard devant le rouleau compresseur de la majorité présidentielle qui risque de remporter la mise dès le premier tour. Telle est, en tous cas, son ambition. Il faut se rappeler qu’ATT l’avait réussi contre toute attente, lors de son dernier mandat. La faillite de l’Etat malien n’est pas le fait du seul IBK. La responsabilité remonte plus loin. Il faut chercher les raisons des dérives actuelles dans la gestion du pays par ledit «mouvement démocratique» qui a complètement dévoyé le pouvoir d’Etat hérité de l’UDPM. Il s’est contenté de se glisser dans le même appareil, amplifiant ses défauts structurels. C’est pendant la période dite démocratique que le rôle de l’argent est devenu majeur en politique. Plus d’idéal, ni de conviction ! Plus de principe !
Le système de prédation a vigoureusement fait pousser des ailes partout, sur le terrain politique et ailleurs, dans les administrations publiques, dans les associations, dans les organisations de la société civile, dans les syndicats et même au niveau des religieux. La corruption est devenue la norme partout. Elle fait aujourd’hui partie intégrante du système. Elle irrigue toutes les sphères de la société. Il est évident qu’on ne saurait l’affronter sans briser le système actuel d’organisation et de gestion du pays. Ce ne sont pas des élections qui règleront la question. Le problème n’est pas seulement le pouvoir d’Etat, c’est aussi et surtout le Malien lui-même. Il faut arriver à le changer. Pas évident !
Tant que l’appât du gain facile restera la base de la philosophie du citoyen ordinaire, rien de bon ne se fera dans le pays. Tant que le mensonge, l’hypocrisie, la cupidité, la fourberie et la méchanceté resteront au cœur de la citoyenneté, il n’y a rien à espérer. Il suffit de voir le spectacle de la ruée actuelle à travers les associations créées pour capter les sommes d’argent distribuées à l’occasion par les candidats. Devant l’argent, aucune morale. Tous les coups sont permis. La corruption est devenue le système national de débrouillardise à tous les niveaux, aussi bien au niveau de l’Etat, des appareils civils comme militaires, des secteurs de la société civile et religieuse. Les rapports sociaux en sont dénaturés. Le mal est profond. L’incivisme a atteint un tel degré qu’il menace l’avenir même du pays.
Dans les joutes politiques actuelles, on ne parle guère des menaces qui pèsent sur le pays et les risques de son implosion. Même si les complicités extérieures sont évidentes, ce sont des Maliens qui ont allumé la mèche qui a fait flamber le pays. Aujourd’hui le fusil est devenu un gagne-pain pour certains. La guerre permet de s’enrichir en toute impunité. L’absence de l’Etat sur une bonne partie du territoire national arrange les trafiquants en tous genres. Ils ne sont pas seulement des rebelles mais aussi agents de l’Etat, politiciens, opérateurs économiques et même issus des milieux religieux. Le désordre et l’insécurité nourrissent tant de gens, même si à terme, ils sèment le chaos dans le pays. Ce chaos global fait aussi le bonheur des puissances étrangères et favorisent leurs diverses convoitises. L’affaiblissement de l’Etat leur permet de tout imposer.
Le pays a perdu toute souveraineté. Il est devenu un champ d’affrontement d’intérêts qui nous dépassent. La prétendue guerre contre le terrorisme en est une illustration. Sur le territoire malien s’affrontent des acteurs, pour la plupart, venus d’ailleurs. Même les natifs du pays, qui ont été un moment les bras armés dans des conflits extérieurs, sont venus, poussés par l’intervention de l’OTAN en Lybie et ont inventé la fable de l’Azawad. Les principaux acteurs de la guerre actuelle au Mali sont pour la plupart étrangers au pays. La guerre contre le jihadisme nous est extérieure. Elle a introduit et élargi les fissures entre nos communautés : populations du nord contre celles du sud, musulmans contre musulmans et chrétiens, peaux noires contre peaux blanches, Bamanans et autres, contre Touaregs ou Peuls.
Pourtant le Mali était un pays de brassage ethnique et culturel que la première République avait su préserver et consolider. Pourquoi ce brusque réveil identitaire alors que nous sommes, pour la plupart d’entre nous, des métisses ethniques et culturels ? Pourquoi ces meurtres quotidiens et gratuits de populations innocentes ? Pourquoi cette vendetta suicidaire ?
Ce sont des Maliennes et des Maliens qui meurent chaque jour sous des balles d’autres Maliens et des aventuriers venus d’ailleurs. La priorité des priorités, c’est mettre un terme à la guerre. Il faut sortir de la guerre contre le terrorisme. Elle ne mène nulle part. Il faut sortir des logiques de violence pensées et nourries par des acteurs extérieurs. Il nous faut nous retrouver entre Maliens et faire taire les armes. Cela est possible en nous désolidarisant de tous les acteurs extérieurs, en leur demandant de partir et de nous laisser résoudre nos problèmes entre nous. Nos communautés ont la capacité de puiser dans notre sagesse traditionnelle pour nous entendre. Il nous faut refuser d’être manipulés et affirmer notre souveraineté. Pourquoi ne pas décréter unilatéralement un cessez-le-feu général ou par zone ? Le répéter au besoin et l’élargir ? Pourquoi ne pas inviter les communautés à créer partout des comités de gestion des conflits en faisant appel à leur savoir-faire traditionnel ? Pourquoi ne pas leur demander d’instituer des tribunaux populaires à la rwandaise ou en s’inspirant des pratiques de leur terroir ? Pourquoi ne pas constituer des comités populaires de pacification et de désarmement ? Pourquoi ne pas construire étape par étape des pouvoirs populaires de base ? Ils édifieront des brigades populaires dans les domaines essentiels : production, sécurité, santé, éducation, accès aux services sociaux de base… C’est en faisant confiance aux populations qu’elles seront responsabilisées et prendront en main leur destin. Nous sommes fatigués des tutelles étrangères, fatigués des stratégies pensées de l’extérieur, des solutions imposées de l’extérieur.
Notre problème principal, ce sont les ingérences extérieures. Elles n’ont été et ne resteront possibles qu’avec notre complicité. Ce sont les Maliens qui ont trahi le Mali. Aujourd’hui, ceux qui se déchirent pour la conquête du pouvoir, n’ont pas le souci du pays. Ils ne se préoccupent guère des populations. Ils courent derrière le soutien des puissances extérieures et de leurs complices africains voisins du Mali. La situation actuelle du Mali n’est pas sans rappeler celle du soudan français sous la domination coloniale. Aujourd’hui, les maîtres coloniaux sont multiples. Leurs complices aussi. Ce sont nos divisions internes qui sont notre principale faiblesse. Ce n’est pas de démocratie dont avons besoin. Faisons-en le bilan sans complaisance. Nous avons besoin plutôt de patriotisme, de discipline et de rigueur. Le laxisme et la permissivité que nous nous sommes octroyés au nom de la démocratie, risquent de creuser notre tombe si nous ne réagissons pas à temps. Il nous faut bâtir un nouvel ordre politique, économique et social endogène. Cela est possible si nous nous retrouvons entre nous, dans le cadre d’assises populaires nationales souveraines. Chaque mot a son importance.
Il ne s’agit guère de se coopter entre acteurs actuels de la scène politique. Il nous faut aller jusqu’aux communautés de base, dans les hameaux et fractions, dans les structures de base de notre société qui désigneront leurs porte-paroles aux étapes suivantes jusqu’au niveau national. Du même coup, cela permettra un renouvellement de leadership politique et social. C’est seulement ainsi que les assises seront véritablement populaires. Les assises doivent être nationales. Elles doivent rassembler tous les Maliens sans exclusive. Nous devons dialoguer entre nous et construire un nouveau Mali sur la base de nos préoccupations et objectifs nationaux. Il nous faut rejeter tous les modèles et nous projeter dans l’avenir en toute lucidité, en tenant compte de nos acquis et valeurs de civilisation qui font le ciment de notre société. Tolérance, respect de soi et de l’autre, solidarité et entraide, sens éthique, esprit collectif…
Les assises nationales doivent être souveraines. Cela veut dire que les synthèses nationales auxquelles nous parviendrons doivent être exécutées comme expression de la volonté populaire. Le nouvel Etat, toutes les institutions et la législation doivent s’y conformer. Il faut construire un nouveau type de citoyen respectueux du sens collectif qui doit désormais primer sur toute autre considération. Il nous bâtir un pouvoir populaire fort qui doit instaurer au besoin par la contrainte, un ordre social juste et équilibré. Il nous faut dissoudre toutes les organisations multiples qui divisent les communautés, qu’elles soient à caractère politique, culturel, religieux ou autre. Tous les financements et investissements extérieurs doivent être soumis au contrôle rigoureux du nouvel Etat. La discipline et la rigueur doivent devenir la règle. L’impunité doit être bannie.
Nous avons le choix : nous imposer un ordre républicain librement consenti ou l’ordre fasciste qui nous sera imposé par un coup d’Etat militaire, au terme de la pagaille généralisée vers laquelle nous nous dirigeons. Il sera soutenu par les puissances extérieures et les populations fatiguées du désordre et de l’impunité. Des pays ont réussi la synthèse entre leur passé et la modernité. Il suffit de regarder dans certains pays d’Asie et ailleurs. Plus près de nous, l’exemple du Rwanda. Nous devons interroger aussi l’expérience de la première République. Comment l’USRDA de Modibo Keita, dans le contexte de la lutte pour l’indépendance, a su fédérer toutes les énergies et construire l’unité nationale, autour d’un projet national souverain. Nous devons tirer aussi les leçons des échecs. Cette unité nationale est indispensable pour affronter les défis de l’heure. Le régime actuel ne saurait la réaliser. Il ne dispose ni de la légitimité ni de la crédibilité nécessaires à cet effet. L’opposition politique, la société civile et religieuse, non plus. Seul le dépassement des enjeux partisans actuels peut en poser les jalons indispensables. Nous avons le devoir de reprendre la lutte de libération nationale pour reconquérir notre souveraineté, lutte inachevée et interrompue brutalement par le coup d’Etat du 19 novembre 1968.
Nous devons, pour ce faire, chercher à bâtir au plan national, une saine unité autour d’un projet collectif endogène autonome. Il nous faut expliquer et construire aussi des solidarités fortes avec les forces politiques et sociales progressistes des pays voisins. Nous aurons besoin sur le plan international de la compréhension et du soutien des forces de progrès. Les enjeux des batailles actuelles et à venir, dépassent le seul Mali. La conjugaison des luttes que livrent partout les peuples contre la dictature du capital, est indispensable. Face au système mondial de prédation et d’oppression des peuples, c’est le devenir même de l’humain qui est en jeu.
Accomplissons notre part de devoir pour que surgisse à la place des horizons bouchés, le soleil de l’espérance en un monde meilleur. Balayons en nous nos pourritures actuelles. Rompons les chaînes de nos prisons matérielles et spirituelles. Unissons-nous ! Plus que jamais, cela est à notre portée !
Pr. Issa N’DIAYE
Source: Le Reporter