En déplacement en Algérie, le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian a pu mesurer mardi à quel point les Algériens sont inquiets des derniers développements à Kidal et Benghazi.
Les officiels algériens qui veulent bien en discuter en privé ne s’en cachent pas. S’il n’y avait pas eu cette satanée guerre en Libye contre le régime de Kadhafi, on n’en serait pas là. Pour eux, les évènements de l’an dernier au Mali avec la descente des djihadistes et du MNLA vers Bamako n’étaient que la suite logique du chaos semé par l’intervention occidentale en Libye. Lorsqu’aujourd’hui, donc, ils évoquent ces deux dossiers avec leurs interlocuteurs, il y a comme un arrière-goût de reproche. Vite effacé cependant par la menace du moment.
A Kidal, les Algériens ont bien compris que la logique de réconciliation entre le Nord et le Sud, souhaitée par la France mais souvent malmenée par le discours très nationaliste du président IBK – selon qui il n’y a pas grand-chose à négocier avec les groupes armés du Nord -, est devenue fortement compromise. A la demande du gouvernement malien et des pays voisins, l’Algérie va donc essayer de ramener tout le monde autour de la table. Tout le monde? “Sauf ceux qui refusent l’unité territoriale du Mali et qui n’ont pas renoncé au terrorisme”, confie au JDD une source algérienne haut placée et au cœur de la négociation.
Il faut faire vite car la “feuille de route” pour aboutir n’a qu’une durée de vie de deux mois et s’achève le 21 juin. Jean-Yves Le Drian est donc venu encourager la partie algérienne a progresser rapidement dans ce dossier de sorte que cette initiative vienne s’ajouter aux multiples pressions exercées sur IBK par la France et ses partenaires africains de la région.
Le sud libyen hors de contrôle
Les diplomates et les chefs des services de sécurité algériens connaissent bien ce dossier malien. “C’est leur profondeur stratégique”, commente un officier français. C’est aussi vers la bande sahélo-saharienne que les terroristes algériens qui avaient endeuillé l’Algérie pendant la décennie noire ont été repoussés.
Aqmi, Mourabitoun, Ansar Dine, CHUA, Mujao : autant de sigles et d’appellations qui n’ont pas forcément grand-chose en commun à part une même route principale d’approvisionnement en carburant, en drogue et en armes et qui passe par le sud libyen, une zone que plus personne ne maitrise et encore moins les autorités libyennes. Lors de son entretien mardi après-midi à la résidence présidentielle de Zéralda, Jean-Yves Le Drian a pu constater qu’Abdelaziz Bouteflika n’avait rien oublié de ses mises en garde de 2011 adressées à la France avant qu’elle ne se lance dans son aventure militaire contre le régime Kadhafi. “Je l’avais bien dit”, a-t-il semblé dire à son visiteur français avant d’indiquer qu’il n’avait, pas plus que ses ministres concernés, de réponse à la crise en Libye.
Une coopération militaire à muscler
Les galonnés algériens, venus en nombre mardi soir lors d’un dîner offert à Jean-Yves Le Drian par le vice-ministre algérien de la Défense, n’ont toujours pas digéré ce qu’ils appellent “les pseudos printemps arabes”, porteurs d’instabilité et de chaos sécuritaire. En Libye, ils semblent “apprécier” Khalifa Hatfar, cet ancien général kadhafiste revenu d’exil en 2011 qui a, par deux fois déjà depuis le début de l’année, tenté de changer la donne par une intervention des troupes et milices qu’il contrôle. L’aideront-ils plus avant? Les Français restent laconiques sur le sujet.
En attendant, la France et l’Algérie vont muscler leur coopération militaire pour faire face à ces deux crises. Depuis un an, les militaires algériens, qui ont renforcé leur frontière sud, avec au moins 10.000 hommes selon une estimation française, aident les troupes de Serval et du dispositif contre-terroriste au Mali à se ravitailler en carburant. Les deux états-majors militaires sont parfois connectés sur certaines opérations, pour la première fois depuis 1962. “L’idéal maintenant”, confie une source française impliquée dans les discussions serait d’obtenir des deux côtés de la frontière algéro-malienne et algéro-libyenne, “du renseignement algérien en temps réel ou d’avoir des officiers de liaison”.
Source: JDD