Le général Amadou Haya Sanogo, qui dirigeait la junte qui a mené le coup d’État contre Amadou Toumani Touré (ATT), ne sera pas poursuivi dans l’affaire de l’assassinat de 21 bérets rouges en 2012. Les juges de la Cour d’appel de Bamako ont prononcé l’abandon de la procédure, ce lundi 15 mars.
Amadou Haya Sanogo et ses coaccusés ont été exonérés par la Cour d’appel de Bamako de toutes poursuites judiciaires dans le cadre du procès de l’assassinat des 21 bérets rouges en 2012. Ils ont bénéficié de la loi d’entente nationale adoptée en 2018 et qui vise à « concrétiser la politique de la restauration de la paix et de la réconciliation ». Les familles et proches des victimes, elles, ont trouvé un accord avec le gouvernement, leur permettant d’être indemnisées.
« Cette décision ne doit étonner personne en vertu de la loi d’entente nationale, qui exonère tous ceux qui ont commis de graves crimes en 2012, hormis ceux qui ont commis des crimes relevant de la Cour pénale internationale », a pour sa part commenté Oumar Mariko, président de Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi) et membre de Mouvement du 5 Juin. « Si le fait de ne pas poursuivre les auteurs permet l’apaisement au sein de l’armée et de la nation, la Cour d’appel ne pouvait que prendre cette décision », a-t-il ajouté.
L’exécution des « bérets rouges »
L’exonération du général marque le dénouement d’une affaire politico-judiciaire qui a débuté avec son arrestation à Bamako, en novembre 2013. Quelques mois plus tôt, en mars 2012, des militaires de la ville-garnison de Kati renversaient Amadou Toumani Touré (ATT). Et c’est Sanogo, à l’époque capitaine, qui était porté à la tête des putschistes et fait président du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État malien (CNRDRE).
Hommes politiques, membres du gouvernement… Les nouveaux maîtres du Mali ordonnent une vague d’arrestations. Le président ATT est poussé à l’exil. Le 30 avril 2012, des hommes du 33e régiment des commandos parachutistes (RCP) – des « bérets rouges », restés fidèles à l’ancien président – tentent contre-coup d’État. Ils sont arrêtés et conduits au camp des putschistes, à Kati, avant d’être exécutés dans la nuit du 2 au 3 mai. Leurs corps seront par la suite enterrés à la va-vite dans un champ près du village de Diago, à quelques kilomètres de là.
Malgré l’arrestation de Sanogo et de plusieurs de ses coaccusés en 2013, puis l’exhumation des corps pour une autopsie, l’affaire piétine. Ouvert en grandes pompes en 2016 à Sikasso, le procès est plusieurs fois reporté. Les avocats de Sanogo soulignent les faiblesses de l’instruction et le principal accusé n’a cessé de clamer son innocence.
Remis en liberté
Pendant toutes ces années, alors qu’il était détenu dans une résidence de Sélingué, dans la région de Sikasso, le fantasque Sanogo est resté influent. Celui qui aimait à se comparer au général de Gaulle demeure une figure difficile à juger sans rouvrir des blessures au sein de l’armée. L’un de ses anciens coaccusés, le général Ibrahima Dahirou Dembélé, était d’ailleurs ministre de la Défense sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK, renversé en août dernier).
Sa remise en liberté provisoire, accordée le 28 janvier 2020, est-elle liée à l’accord trouvé quelques jours plus tôt entre le gouvernement et les avocats des familles des victimes dans le cadre de la loi d’entente nationale ? Celle-ci prévoit notamment d’exonérer de poursuites pénales les personnes ayant commis des crimes et des délits « dans le cadre des événements liés à la crise née en 2012 ». Les familles, elles, s’en sortent avec des compensations… et un goût d’injustice.
Accord avec les familles des victimes
Jeune Afrique a pu consulter l’accord signé entre Boubou Cissé, qui était à l’époque Premier ministre, et Sagara Bintou Maïga, la présidente de l’association des parents et épouses des Bérets rouges assassinés. En plus de l’organisation de funérailles nationales pour les victimes, le statut de « pupilles de la nation » est accordé à leurs enfants mineurs. Le gouvernement s’est également engagé à attribuer à chaque famille un logement social « de type F5 », ainsi que des réparations financières variant selon le grade des victimes.
Ainsi, les familles de soldats toucheront 15 millions de francs CFA (22 867 euros), celles des caporaux 20 millions et celles des sergents-chefs 30 millions. Les familles des adjudants et des lieutenants recevront respectivement trente-cinq et quarante millions de francs CFA. Selon le même document, l’exécution des réparations aurait dû avoir lieu avant le 15 février 2020.
« Le Mali n’a pas besoin d’un procès qui va aboutir à des assassinats, à des atrocités. Le pays a compris et le pays a pris une loi d’entente nationale qui vient d’être appliquée. Les lois sont faites pour être appliquées »,a commenté Me Tiessolo Konaré, avocat de Sanogo et de ses coaccusés, à l’issue de l’audience.
La question est maintenant de savoir si cette exonération de poursuites constituera, ou non, un précédent dont les leaders de l’ex-Comité national pour le salut du peuple, qui ont renversé IBK, pourront se prévaloir.
Source : Jeune Afrique