“Tout Malien peut apporter sa contribution aux travaux du Comité d’experts puisque la Constitution est l’affaire de tous”
Dans une interview exclusive qu’il a bien voulu nous accorder, le président du Comité d’experts pour la réforme constitutionnelle, l’ancien ministre Makan Moussa Sissoko, nous explique en profondeur la composition de cette structure, sa mission, les activités déjà réalisées sur le terrain… Il balaye d’un revers de la main l’idée selon laquelle cette réforme va permettre au président de la République de briguer un 3è ou un 4è mandat.
Aujourd’hui Mali : Depuis quand le Comité d’experts est-il en place et peut-on savoir sa composition et sa mission ?
Makan Moussa Sissoko : Le Comité d’experts pour la réforme de la Constitution a été mis en place le 14 janvier 2019 par un décret du Premier ministre ; j’en suis le président. Comme experts, nous avons Eloi Diarra, Professeur agrégé de droit public en France ; Abdoulaye Coulibaly, Professeur agrégé de droit public; Abraham Bengaly, Professeur de l’enseignement supérieur ; Bakary Camara, Professeur de l’enseignement supérieur; Mohamed Traoré, Professeur de l’enseignement supérieur; Sidi Mohamed Diawara, avocat ; Séni Touré, administrateur civil; Fousseyni Doumbia, maître-assistant; Mme Diallo Kaïta Kayentao, magistrat à la retraite; Mme Coumba Cheick Salah Dolo, Chargée d’enseignement et recherche en droit public, et Ibrahim Samba Touré, administrateur civil.
Les missions ont été aussi précisées par le Premier ministre par décret, qui dit clairement que le Comité a pour mission d’élaborer l’avant-projet de loi portant révision de la Constitution du 25 janvier 1992 en tenant compte notamment des clauses de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du Processus d’Alger qui relèvent de la matière constitutionnelle, des propositions pertinentes des précédentes tentatives de révision constitutionnelle, des autres réaménagements devant être apportés à la Constitution au regard de l’évolution du contexte institutionnel et juridique du pays.
Après la mise en place de votre structure, quelle a été votre première action ?
Notre première activité a été de réunir le Comité pour adopter une méthodologie de travail, élaborer un chronogramme d’activités. C’est nous-mêmes qui avons fixé ce chronogramme, on ne nous a pas donné un délai. Après cela, nous avons commencé à rencontrer toutes les institutions de la République, le président de la République, le Premier ministre, nous avons été à l’Assemblée nationale, à la Cour constitutionnelle, au Conseil économique social et culturel pour ne citer que celles-ci.
A chaque fois que nous rencontrons une institution, on lui demande quelle est sa vision pour l’avenir, quels sont les problèmes qu’elle rencontre dans son fonctionnement et quelles sont les solutions qu’elle propose pour améliorer l’existant.
Au registre de ces différentes rencontres, à partir de demain (Ndlr : mardi 19 février), nous allons rencontrer les partis politiques car qui dit Constitution dit politique. C’est le seul droit qui est politique donc toutes les formations politiques seront rencontrées dans un chronogramme bien précis. On va commencer par Ensemble pour le Mali (EPM). Sinon on avait souhaité commencer par l’opposition, mais le chef de file de l’opposition nous a fait part qu’il est en déplacement donc à son retour il va fixer une date.
Ensuite, les mouvements armés seront consultés ; à savoir la CMA et la Plateforme. En tout cas, nous comptons rencontrer l’ensemble des forces politiques, les forces vives, les femmes et les jeunes. D’ailleurs, pour le CNJ, ce sera ce samedi. Une fois ces rencontres de Bamako terminées, nous allons partir dans les capitales régionales. Dans toutes les capitales régionales, nous allons organiser des rencontres appelées forums citoyens. Tous les gouverneurs seront mis en mission pour organiser ces rencontres avec l’ensemble des forces vives de ces régions.
Ce n’est pas tout, nous avons prévu un atelier ici à Bamako le 26 et le 27 février pour réfléchir sur le rôle de la chefferie traditionnelle dans notre pays car dans notre mandat il est question de renforcer les légitimités traditionnelles et de voir éventuellement comment on pourrait associer ces légitimités traditionnelles à l’exercice du pouvoir politique car, éventuellement, chaque fois qu’il y a une crise, elles sont sollicitées. Donc au cours de ce colloque, on va faire venir des légitimités traditionnelles de toutes les régions du Mali et du district de Bamako, dont les familles fondatrices.
Après ces rencontres, comment vous allez faire le tri des différentes propositions ?
On va écouter tout le monde, mais il n’est pas dit que dès que tu es écouté, tes propositions seront prises en compte.
S’agissant de la révision constitutionnelle, en tant qu’expert, quels sont selon vous les articles de la Constitution de 1992 qui doivent être révisés ?
On n’a pas d’apriori. Dans notre mandat, il nous est demandé de prendre en compte des tentatives de précédents processus, ce, depuis le forum politique de 1998. A ces assises, des problèmes avaient été identifiés, tout le monde savait qu’entre les deux tours de l’élection présidentielle, on ne pouvait pas le faire en deux semaines, tout le monde est d’accord qu’il faut un scrutin mixte, tout le monde est d’accord qu’il faut une Cour des comptes, tous ces problèmes avaient été identifiés par le passé.
Au cours de ces rencontres que nous allons organiser, il s’agira par exemple de demander aux gens quel délai est meilleur entre le premier le second tour de l’élection présidentielle car pour la dernière élection présidentielle, les résultats sont sortis jeudi et la clôture de la campagne était vendredi, cela n’est pas tenable.
Pendant la transition, les gens se sont rendu compte également que quarante jours ne sont pas aussi suffisants pour organiser des élections. Ces différentes tribunes seront donc mises à profit par les uns et les autres pour faire des propositions dans ce sens. L’Accord dit aussi qu’il faut une seconde chambre, les avis des parties prenantes seront pris aussi par rapport à cette seconde chambre.
Il y a eu une fronde lors de la dernière tentative de révision constitutionnelle. Quelle stratégie souhaiteriez-vous adopter pour avoir le maximum de consensus ?
L’année dernière, la rumeur a précédé l’information, c’est pourquoi notre première activité au sein de ce nouveau Comité a été l’organisation d’une conférence de presse pour expliquer aux hommes de médias notre ligne, le contenu de notre mandat.
Ce qu’il faut surtout savoir, nous ne sommes pas là pour donner un troisième ou un quatrième mandat au président de la République, ce n’est pas dans notre mandat. Nous ne sommes pas là pour changer la nature du régime car nous ne sommes pas un pouvoir constituant originaire. Nous ne sommes que pouvoir constituant dérivé. Nous sommes là seulement pour corriger les imperfections que tout le monde a constatées depuis le forum politique de 1998.
Si vous prenez les conclusions de ce forum, la classe politique s’était entendue sur beaucoup de choses, notamment le nombre des institutions, la création de la Cour des comptes, le nombre de mandats, qui étaient tous des acquis, le scrutin mixte aussi car le scrutin actuel ne permet pas de refléter la mixité de la société.
Certains ont même dit que cette révision permet de légaliser le mariage entre les personnes de même sexe tout en oubliant qu’il y a un code de la personne et de la famille dont ressort ce genre de questions. Donc nous allons donner la vraie information partout où cela est nécessaire.
Au-delà des regroupements de formations politiques ou de la société civile, est-ce qu’une tierce personne peut apporter sa proposition au Comité ?
Evidemment, c’est pourquoi nous avons créé le site Constitution du Mali pour que nos concitoyens de l’intérieur comme de l’extérieur puissent faire des suggestions et poser aussi des questions auxquelles nous allons répondre. Les propositions sont ouvertes à tout le monde, donc les Maliens de l’intérieur comme de l’extérieur peuvent faire des suggestions au Comité sans exclusive aucune.
Après ces différentes rencontres, qu’est-ce qui sera fait du résultat de vos travaux ?
Notre lettre de mission est claire, précise. Nous nous devons d’élaborer un avant-projet de loi, ce qui n’est pas une loi. Après, il s’agira de transmettre l’avant-projet au Premier ministre qui, à son tour, le remettra au président de la République. Il appartient donc au gouvernement de faire le projet de loi à remettre à l’Assemblée nationale. Ça ne devient loi qu’après le vote de l’Assemblée nationale et même pour ce vote, il faut une majorité qualifiée des 2/3.
Cette loi aussi ne peut être promulguée par le président de la République avant le référendum. Une fois cette loi votée, le président convoque le collège électoral pour l’organisation du référendum. A cet effet, il appartiendra au peuple de dire si oui il faut prendre ce nouveau texte, si c’est non on reste à l’ancien texte. Si le peuple vote pour le texte, c’est en ce moment que le président peut le promulguer.
Est-ce que pour cette révision, il y a des articles intouchables ? Si oui lesquels ?
Evidemment, c’est la Constitution elle-même qui précise ce qui ne peut être modifié en aucune hypothèse. Il s’agit du nombre et de la durée du mandat, du multipartisme intégral, la forme républicaine de l’Etat, la laïcité de l’Etat et l’unité du territoire.
Quel est le temps qui vous est imparti pour cette mission ?
On ne nous a pas fixé un délai pour ces travaux, mais nous-mêmes, nous nous sommes dit que d’ici la mi-avril nous serons en mesure de remettre au président de la République un avant-projet de loi.
Avez-vous les moyens de votre mission ?
Nous avons les moyens que l’Etat met à notre disposition. Nous avons élaboré un budget que l’Etat a accepté et qui sera incessamment mobilisé pour nous permettre de faire face à notre mission.
Par rapport à votre mission, de quel genre de soutien avez-vous besoin ?
Nous avons surtout besoin du soutien de la presse pour donner la vraie information, informer, sensibiliser les populations. Le soutien qu’on demande, c’est de faire en sorte que les gens se fient à la réalité et oublient les rumeurs, car c’est la rumeur qui tue et la vérité est unique. Nous demandons donc aux hommes de médias de venir à l’information et d’éviter de colporter de fausses rumeurs.
Est-ce que vous êtes déjà satisfaits de vos premières rencontres ?
Ah oui, nous avons été surpris par la qualité des réactions de nos interlocuteurs. Cela veut dire qu’eux-mêmes étaient conscients que des problèmes existaient. Par exemple, le Haut conseil des collectivités, la Cour suprême, la Cour constitutionnelle, le Conseil économique, social et culturel… toutes ces institutions ont fait des propositions très fortes. Par exemple, même le Conseil économique, social et culturel a souhaité étendre ses missions à l’environnement. Nous avons beaucoup de matières qui nous permettent d’avancer.
Au regard de ce que vous avez sur le terrain, peut-on dire que cette fois-ci sera la bonne ?
On espère que cette fois-ci, ça sera la bonne car on nous a demandé la démarche la plus inclusive et on va demander à tout le monde son point de vue, pour la simple raison que la Constitution est l’affaire de tous. Il faut que chaque Malien se sente concerné par le processus en cours, c’est l’appel que nous avons à lancer aux uns et autres ; chercher à comprendre avant de combattre car si on ne comprend pas une idée, on ne peut la défendre ou la combattre.
Avez-vous un appel à lancer à nos compatriotes en guise de mot de la fin ?
A mes compatriotes, de l’intérieur comme de l’extérieur, je leur dis que la Constitution est la base de notre Etat, le socle de notre démocratie. On souhaite que tous ceux qui ont quelque chose à dire en améliorant l’existant, qu’ils apportent leurs contributions, le site a été créé pour cela. Aussi nous irons à la rencontre de nos compatriotes et nos portes sont grandement ouvertes. Nous ne pourrons pas aller dans les cercles, mais nous ferons le tour de toutes les capitales régionales.
Réalisé par El Hadj A.B. HAIDARA et Kassoum THERA
Source: Aujourd’hui-Mali