La pratique de l’esclavage est une triste réalité au Mali. Le phénomène existe dans les régions du nord du pays, et de Kayes. Mais, c’est à Kayes que cette pratique moyenâgeuse est préoccupante. De tout temps, le phénomène a été dénoncé mais il n’y a jamais eu une réelle volonté politique pour circonscrire la pratique de l’esclavage.
Avec l’arrivée de Mamoudou Kassogué à la tête du ministère de la Justice et des Droits de l’Homme, les victimes de cette pratique commencent à apercevoir une lueur d’espoir.
Dans une lettre adressée au procureur général près la Cour d’appel de Kayes, le ministre Kassogué instruisait « de prendre les dispositions, dans les meilleurs délais, pour effectuer une mission d’évaluation dans les ressorts des juridictions de la région où des affaires en lien avec le phénomène ont été enregistrées ». Il s’agissait pour le ministre de procéder à une première évaluation de toutes les dispositions qui ont été prises par les autorités judiciaires, ainsi que leur incidence sur le phénomène dans la région de Kayes. Cette volonté politique clairement affichée vient d’être traduite en acte par le juge d’instruction du 3e cabinet du tribunal de grande instance de Kayes, Mohamed Timbiné. Lui qui, selon nos informations, vient de placer sous mandat de dépôt 30 personnes, dont le chef de village de Kéniéba, pour des faits de discrimination, coups et blessures volontaires, séquestration, tortures, détention illégale d’armes à feu, vol qualifié, troubles graves à l’ordre public, etc.
Ces arrestations font suite à l’affrontement entre le clan dit des « nobles », affilié à l’association Lambé, et celui dit « des esclaves », fidèle à l’association CPS, anti-esclavagiste, intervenu dans le village de Kéniéba commune rurale de Konteba, cercle de Bafoulabé. Cet affrontement a occasionné des cas de blessures graves, de tortures, séquestrations, vols qualifiés dont les victimes sont dans le clan considéré comme des « esclaves ». C’est pourquoi la Brigade territoriale de la gendarmerie du cercle de Bafoulabé a été saisie de l’affaire et une enquête préliminaire a été diligentée, occasionnant l’arrestation de plusieurs personnes.
La justice : un rempart
A l’issue de cette enquête, le dossier à été transféré devant le parquet du tribunal de grande instance de Kayes, lequel a ouvert une information judiciaire. Ainsi, le juge d’instruction du 3e cabinet, Mohamed Timbiné, a inculpé, le 14 février 2022, et placé sous mandat de dépôt 30 personnes, dont le chef de village de Kéniéba, pour des faits de discrimination, coups et blessures volontaires, séquestrations, tortures, détention illégale d’armes à feu, vol qualifié, troubles graves à l’ordre public, etc. Ainsi, on peut dire que désormais la lutte contre l’esclavage est une réalité dans la région de Kayes. Cela, conformément à la lettre circulaire du ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux, Mamoudou Kassogué. Ce dernier avait en effet émis son intention claire à l’endroit des procureurs généraux près les cours de Kayes, Bamako et Mopti et les procureurs de la République près les tribunaux de grande instance de prendre toutes les dispositions utiles pour lutter efficacement contre ce phénomène. En effet, depuis un certain temps au Mali et particulièrement dans la région de Kayes, le phénomène de l’esclavage resurgit. Il est très répandu dans cette zone. Ce n’est pas un groupe ethnique qui en asservit un autre dans la région de Kayes. C’est un esclavagisme par ascendance, lié à l’hérédité, qui s’apparente à un système de castes. Dans la région de Kayes, des communautés entières sont victimes de violations de leurs droits. Depuis près d’un an, des « esclaves » ont décidé de se révolter contre l’ordre établi. Victimes d’agressions physiques, de tortures ou de confiscations de biens, ils mènent une campagne de dénonciation auprès des autorités. Leur combat vient d’avoir un soutien à la taille de l’ampleur du phénomène.
Des témoignages terrifiants
Plus récemment au micro de notre confère de TV5 Monde Afrique, des victimes de cette pratique faisaient des témoignages accablants. C’est le cas de Hamé Coulibaly, membre de l’association Gambana : « Je suis ici car des gens m’ont dit qu’ils allaient me tuer et que s’ils ne me trouvaient pas sur place, dans mon village, ils me tueraient. Mes femmes sont à Dièma, mes enfants aussi et ma mère est restée au village. Mais sans décision de justice comment puis-je rentrer ? J’y retournerai si la loi me garantit que je peux rentrer. ». Hamé Coulibaly a été molesté, torturé et spolié dans sa localité de Kérouané, dans la région de Kayes. Il vit dans un lieu tenu secret. Il est aujourd’hui la cible principale d’esclavagistes : « Je suis né dans une grande famille. Une famille avec beaucoup de charges. Mais les problèmes que je vis les ont tous impactés. Tous ont été frappés au village. Certains ont été blessés au point de se rendre à l’hôpital. Nous nous sommes soulevés disant que nous ne sommes pas des esclaves, que nous ne voulons plus de l’esclavage. Cela ne nous plaît pas de l’être, on ne pratiquera plus l’esclavage et les traditions qui en découlent. C’est notre principale revendication. »
« On en a assez, on refuse de s’adonner à l’esclavage »
Dans la lutte contre l’esclavage au Mali, l’association Temedt fait partie des pionniers. Elle existe depuis 2006. Son président d’honneur, Abdoulaye Mako, relève une différence entre la pratique de l’esclavage dans la région de Kayes et dans celles du nord : « Il y a une rivalité entre deux tendances. Ceux qui pensent que l’esclavage est une coutume, une tradition qu’il faut perpétuer, et ceux qui disent, « on en a assez, on refuse de s’adonner à l’esclavage ». La différence dans la région de Kayes, c’est que ceux qui ne veulent pas de cet esclavage-là, sont souvent violentés, ils sont battus, ils sont chassés de leurs maisons, ils sont stigmatisés, ils sont exclus de la société. Alors qu’au nord, si tu ne veux pas être avec quelqu’un, l’esclave de quelqu’un, on ne va pas t’empêcher de partir, ou se mettre à te battre. En tout cas, je n’en ai pas vu moi ».
A Mambry, un autre village de la région de Kayes où vivent plus de 1000 déplacés en raison de la pratique de l’esclavage, Lassim Konaté, membre d’une association anti-esclavagiste, vient s’enquérir de leur sort. La famille de Hona est installée à Mambry depuis 4 mois. Ils sont une trentaine, femmes, vieillards et enfants. Ils sont des « djons », des esclaves. Avant leur départ, ils étaient soumis aux « horons », les nobles, selon le système de caste au Mali. « Je n’ai pas peur de la mort, mais mon mari a préféré partir. Des personnes ont été expropriées. Nous étions ostracisés dans le village ; nous ne pouvions pas sortir. Une personne âgée sera forcément affectée de cette situation. Surtout pour les enfants », rapporte Moussokoura Hona, déplacée à Mambry.
Bravo donc à la justice malienne pour cette action salutaire.
Youssouf Diallo
Source: La Lettre du Peuple