L’histoire de l’Office du Niger s’écrira objectivement quand l’analyse initiale établira qu’il s’agit d’une aventure capitaliste qui a fini par être un flop magistral. (Suite et fin)
Ici, se trouve une illustration de ce qu’a été le « travail forcé », cette utilisation abusive de la force de travail des populations locales, sous le couvert d’une alliance entre le capital financier et l’administration d’état. Une telle entreprise ne pouvait que susciter la lutte des syndicats et des partis politiques lancés dans la lutte pour l’émancipation et l’indépendance du Soudan français.
C’est pourquoi, il faut situer le cas de l’Office du Niger dans le contexte global de la lutte politique soutenue et portée par le Rassemblement démocratique africain, lutte dont la consécration sera la « loi N° 46-645 » ou « loi Houphouët-Boigny », adoptée le 11 avril 1946. Cette loi était étonnement simple. Elle tenait en seulement trois articles.
L’article 1er stipule que « le travail forcé ou obligatoire est interdit de façon absolue dans les territoires d’outre-Mer ». L’article 2 dit que « tous moyens et procédés de contrainte directe ou indirecte aux fins d’embaucher ou de maintenir sur les lieux du travail un individu non consentant feront l’objet d’un texte répressif prévoyant des sanctions correctionnelles ».
Le troisième article précise que « la présente loi abolit tout décret et règlement antérieur sur la réquisition de la main d’œuvre, à quelque titre que ce soit ». Cette loi privait l’Office du Niger d’une forme de subvention.
Dans son rapport (évaluation de l’Office du Niger, 1985), Amselle a donné une information de taille sur le statut foncier de l’Office. à la page 14, il rapporte que les terres de l’Office ont été immatriculées au nom de la France en 1955. à ce titre, ces terres devenaient un patrimoine français, sous la forme spécifique d’une « circonscription administrative autonome ».
Cette option a été vivement combattue par le gouvernement malien qui n’avaient qu’un engagement, à savoir faire partir la France, à l’indépendance, au point que des « Maliens menacèrent de faire sauter le pont de Markala si les Français ne partaient pas ». (Amselle, 1985). Voilà pour l’histoire. Voilà pourquoi et comment 2.000 colons français et assimilés ont plié bagage en 1960. Mais ce départ précipité ne tait pas toutes les ambitions de l’ancienne métropole qui a un souci de continuité dans la lecture de ses intérêts. à ce titre, Fernand Wibaux, le dernier directeur général français de l’Office, sera le premier ambassadeur de la France au Mali, dès 1961.
Une nouvelle orientation
à cette date, l’état malien qui a hérité de l’Office a inversé son orientation politique. Dans le plan quinquennal 1961-1966, l’Office était perçu comme un pôle d’excellence agricole ; un pôle de développement qui devait impulser le développement industriel du pays. Les nouveaux décideurs avaient de quoi espérer. Ils comptaient s’appuyer sur la polyculture et l’extension des superficies de coton et de riz. Ils voyaient même une production de dah, de la canne à sucre, du blé et même du tabac. L’US-RDA avait renforcé l’encadrement des paysans de l’Office. Et là rien ne sera plus comme avant, à partir d’une série de malentendus et d’approximations sur les statuts et les rôles des différentes parties. Le coton sera abandonné parce que jugé non rentable, à partir de plusieurs paramètres : les cours mondiaux, la qualité de la fibre, l’inadaptation de la main d’œuvre,…
Le coup d’état militaire intervenu en 1968 va lui aussi influer sur le devenir de l’entreprise qui sera renforcée dans son potentiel pour la satisfaction des besoins alimentaires du pays. C’est une ère de « redressement », l’arrivée du capital financier international avec la Banque mondiale.
L’œuvre de Bélime a été diversement interprétée au Mali. L’US-RDA avait fait de la lutte contre les abus coloniaux un objectif politique majeur. à ce titre, Bélime a été pris comme un élément de l’exploitation coloniale. à partir de 1960, on ne parlera plus de Bélime ici. Ce confinement va prendre fin avec les nouvelles autorités qui ont pris le pouvoir en 1968.
Le Comité militaire de libération nationale (CMLN) s’est empressé d’élever Bélime à la dignité de commandeur de l’Ordre national, à titre posthume, par un décret publié dans le Journal officiel du 15 octobre 1969. Le décret précise « M. Emile Bélime, ingénieur agronome et des T.P, fondateur de l’Office du Niger, né en 1883 à Lyon et décédé le 17 juin 1969 à Arcine (France) ». Un an après, le même pouvoir va décorer Férnand Wibaux de la médaille de chevalier de l’Ordre national. Ce n’est là qu’un des bégaiements de notre histoire commune avec la France.
Source : L’ESSOR