L’exilé Yahya Jammeh pourrait être poursuivi pour avoir commandité, en juillet 2005, l’assassinat d’une cinquantaine de migrants ouest-africains. Des ONG internationales et ghanéennes sont à pied d’œuvre.
Un proverbe africain indique qu’il ne faut pas « quitter l’excrément pour l’anus ». Certains migrants abandonnent clandestinement ce qu’ils considèrent comme l’enfer domestique, ignorant que ce n’est pas un paradis dépaysant qui se trouve en ligne de mire.
Pour s’en rendre compte, nul besoin, parfois, d’atteindre une mer gourmande en corps humains, ni même une côte avide d’esclaves. Dès l’Afrique noire familière, la tragédie peut être au rendez-vous. Ce fut le cas en Gambie, en 2005.
Les « junglers »
On savait que le satrape Yahya Jammeh avait infligé un calvaire à nombre de ses compatriotes. Il aurait également fait des victimes ghanéennes, nigérianes, sénégalaises et togolaises. Dans la nuit du 21 au 22 juillet 2005, 56 migrants ouest-africains quittent la station balnéaire sénégalaise de Saly-Mbour en direction des îles Canaries. L’océan agité les oblige à faire escale sur la plage de Barra, à l’embouchure du fleuve Gambie. Ils seront soupçonnés d’être des mercenaires venus renverser le régime gambien…
13 ans après les faits, et après des entretiens avec une trentaine d’anciens responsables de la sécurité gambienne, les ONG Human Rights Watch (HRW) et Trial International affirment que la grande majorité de ce groupe de clandestins a été exécutée sommairement par une unité paramilitaire surnommée les « junglers », un escadron de la mort composé de soldats sélectionnés au sein de la garde nationale. 40 corps auraient notamment été jetés dans un grand puits qui se trouve entre le Sénégal et la Gambie.
Une enquête en 2008
À l’époque, la disparition des clandestins ne passe pas inaperçue. En 2008, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest et les Nations unies établissent un rapport conjoint qui ne sera pas rendu public.
Ce document conclut que le gouvernement n’était pas impliqué directement ou indirectement dans les assassinats et les disparitions, ceux-ci ayant été manifestement perpétrés par des « éléments incontrôlés » au sein des services de sécurité nationaux. Les autorités gambiennes ne reconnaîtront que les meurtres de huit migrants sur la plage.
La totalité des faits est-elle aujourd’hui établie de manière incontestable ? Toujours est-il que le vent politique a tourné en Gambie. Après 22 ans au pouvoir, Yahya Jammeh est passé du statut de chef d’État légitimé à celui de migrant, lui aussi, aujourd’hui exilé en Guinée équatoriale.
Un collectif d’organisations ghanéennes de défense des droits humains et les familles de victimes appellent le gouvernement ghanéen à ouvrir une enquête et à initier des poursuites contre l’ancien chef d’État gambien. HRW et Trial International plaident pour une extradition de Jammeh au Ghana.
Jeune Afrique