La transition militaire fait face à un dilemme né de ses propres contradictions et de l’impérieuse nécessité d’apporter de la sécurité et de la paix aux maliens.
Une transition est par définition un passage.
Dans le cas du Mali il s’agit de passer d’un régime démocratique failli (régime IBK) à un régime démocratique qui peut tenir la route (avec plus de justice sociale, moins de corruption, plus de perspectives pour la paix, la sécurité et le développement dans le pays).
Pour assurer ce passage, la charte de la transition qui fut rédigée à la va vite à l’issue d’une concertation nationale expéditive n’a visiblement pas été assez édifiante pour les autorités transitoires pour mieux apprécier et négocier la durée réelle que nécessite la transition avec la CEDEAO dès le début.
Du coup Moctar Ouane comme Choguel Maiga dans leurs programmes d’actions gouvernementales ont semblé être trop évasifs, trop distraits pour finalement être trop dispersés et s’écarter ensuite de l’essentiel qui les aurait permis de rentrer dans le temps et dans les délais convenus avec la CEDEAO.
Mais après 9 mois d’atermoiement presque puéril, il y a maintenant une divergence de vue dans la raison d’être même de la transition entre le gouvernement (qui mise plutôt sur la sécurité et les réformes politiques et institutionnelles) la classe politique et la CEDEAO (qui veulent plutôt aller aux élections pour doter le pays d’un pouvoir légal et légitime pouvant s’occuper ensuite d’une gouvernance vertueuse y compris dans secteur de la sécurité).
Pour Choguel les élections ne sont pas une priorité pour son gouvernement alors qu’elles sont presque un préalable pour la CEDEAO et ses membres les plus ardents défenseurs de son protocole additionnel.
Cela crée, de facto, un risque évident de clash avec l’organisation sous régionale qui rajoute de la complexité à un régime transitoire embourbé, par ailleurs, dans une gestion sécuritaire chaotique du pays presque hors de contrôle.
I. Le levier du nationalisme
Face au durcissement du ton dans le communiqué final de la dernière conférence des chefs d’état de la CEDEAO tenue à Accra au Ghana le 16 septembre 2021, Bamako mise sur le soutien populaire à l’intérieur du pays pour opposer sa vision de la transition à la CEDEAO.
C’est ainsi que le Chérif de Nioro Bouye Haidara et ses adeptes ainsi que et des associations politiques et citoyennes comme Yèrèwolo, préparent des manifestations de soutien au régime transitoire et d’appel en faveur de son prorogation au delà de février 2022.
Mais ce populisme de la rue pourrait-il être suffisant pour échapper à des sanctions CEDEAO en cas de non accord sur la prolongation de la transition?
II. L’option Wagner comme alternative à la présence militaire française et internationale
Pour parer au désengagement annoncé des troupes françaises, et de ce deja effectué d’une partie des troupes tchadiennes, les autorités transitoires envisagent une coopération militaire avec le groupe privé russe, Wagner, et se heurte à la désapprobation de la CEDEAO, de la France et de certains états européens comme l’Allemagne.
Tout comme le délai de la transition, l’éventuelle intervention de Wagner est un point de discorde majeure qui peut isoler le pouvoir transitoire du Mali sur le plan international et l’éprouver sérieusement.
III. Un projet de budget d’état 2022 au rabais
Au moment où le pays doit faire face à d’importantes dépenses sécuritaires et de potentiel manque à gagner des ressources financières de la coopération internationale, un projet de budget 2022 a été présenté en conseil de cabinet lundi 13 septembre 2021 à la primature.
Les prévisions des dépenses publiques pour 2022 sont de 2748 milliards de FCFA contre 2841 dans le budget d’état 2021, soit 93 milliards de diminution, à prévoir, des dépenses publiques en 2022 par rapport à 2021.
Quand aux recettes publiques elles diminueront également de 58 milliards de FCFA en 2022 par rapport à 2021 (2131 milliards contre 2189 milliards en 2021).
Malgré une pression fiscale inférieure aux normes communautaires (15% contre 20%) et un taux d’endettement prévu assez confortable (51% contre 70%), le gouvernement choisit de n’augmenter ni la dette publique ni les impôts pour arriver à un niveau de recettes publiques beaucoup plus élevé pour soutenir les dépenses futures de l’Etat.
Or en cas de clash avec la CEDEAO pour défaut d’élections à bonnes dates, des éventuelles sanctions économique et financières impacteraient négativement les rentrées de recettes douanières et fiscales.
Dans l’éventualité d’une extension des sanctions CEDEAO à la coopération internationale et bilatérale avec le FMI, la Banque mondiale, la BOAD, la BAD, l’AFD, le gouvernements français et européens, une très grande partie du budget d’investissement public serait affectée par une baisse substantielle du financement extérieur.
D’éventuelles coupes budgétaires d’investissements et de fonctionnement devraient donc s’ajouter à la coupe déjà prévue des dépenses publiques de 93 milliards annoncés dans le projet du budget d’état 2022 par rapport au niveau des dépenses publiques de 2021.
Selon l’ampleur des sanctions et des suspensions de la coopération financière cela pourrait coûter à l’Etat malien 200 à 300 milliards de FCFA de manque à gagner par rapport à ses capacités financières en 2021.
Or, s’il faut financer en plus de ces éventuels manques à gagner, une facture Wagner de 6 milliards par mois (72 milliards pour une année ), l’Etat malien doit trouver des sources de financement alternatives pour supporter le choc budgétaire en 2022, et rester en équilibre financier.
Mais les options de partenariats financiers bilatéraux crédibles de l’Etat maliens en dehors de la sphère occidentale sont assez limitées (Chine, Afrique du Sud, Turquie, Inde, pays arabes notamment).
La France, l’Union européenne, le FMI et la Banque mondiale restent de loin, les premiers bailleurs de fonds du pays en termes d’aides budgétaires extérieurs et du financement de l’investissement public.
Les ports de la CEDEAO d’un côté, la BCEAO et les banques de l’UEMOA de l’autre, sont comme les deux narines de la respiration économique et financière dont dépendent largement les recettes douanières et fiscales de l’Etat malien.
Prendre le risque d’une escalade avec la CEDEAO et d’une sensible détérioration de la coopération financière internationale au motif que « les élections ne sont pas les priorités » de la transition alors qu’elles devraient être sa raison d’être, c’est courir le risque d’un déséquilibre inédit de la situation financière du Mali en 2022 avec toutes les conséquences sur les engagements financiers nationaux (salaires des fonctionnaires, remboursement de la dettes intérieures des commerçants et entrepreneurs, bourses des étudiants, dépenses de santé, d’éducation, dépenses dans les administrations, entretiens routiers, etc) et internationaux (remboursement de dettes, paiement des cotisations, etc) de l’État malien mais aussi des agents économiques (entreprises, organisations, associations, collectivités, citoyens maliens).
Un peuple-Un but-Un doute.
Salute
kassim