Celui qui se donne pour tâche de parler des maux de la démocratie malienne, voire africaine, s’attèle à une lourde tâche tellement ces maux sont innombrables. Le favoritisme régnant dans la plupart de nos démocraties est une conséquence notable de leur caractère élitiste.
La démocratie dans la plupart des pays africains reste victime d’une confusion tellement patente que nous nous demandons s’il existe une différence notable entre elle et une République antique. Faisons un peu de cours de politique. À prendre le mot « République » à son origine, on se rend compte qu’elle dérive de deux mots grecs : RES qui signifie « chose » et de PUBLICA désignant le « public ».
À s’en tenir à cette explication, nous arrivons à la compréhension qu’une République est une « chose publique ». Cela voudrait dire que la République est un pouvoir qui se veut légitime et dans lequel la souveraineté appartient au peuple. Tel était la position défendue par l’intellectuel français du XVIIIe siècle, Jean Jacques Rousseau, qui donne cette définition remarquable de ce régime : « J’appelle donc république tout État régi par des lois (…) car alors seulement l’intérêt public gouverne, et la chose publique est quelque chose. Tout gouvernement légitime est républicain (…) (En note) : Je n’entends pas seulement par ce mot une aristocratie ou une démocratie, mais en général tout gouvernement guidé par la volonté générale, qui est la loi (…) alors la monarchie elle-même est république. » (cf., Le Robert).
À ce premier niveau, il n’y a aucun doute, la République équivaudrait à une démocratie. Mais prenons ce mot dans un sens plus précis qui est celui dans lequel un intellectuel de l’Antiquité, Platon, l’employait. Nous nous rendons compte que les démocraties modernes africaines recouvrent plutôt ce second sens qui est celui de l’élitisme.
Pour faire bref, rappelons-nous de cette fameuse phrase de cet intellectuel qui a fait date : « Les Maux de la cité ne cesseront que lorsque les authentiques philosophes gouverneront ». Il poursuivait en ajoutant : « Il faut que les philosophes deviennent rois ou que les rois apprennent à philosopher ». Phrases diversement interprétées parce que mal comprises dans la plupart des cas. Celui-ci voyait comme République un régime au sein duquel ce sont les élites qui sont appelées à gouverner. La gouvernance républicaine doit devenir une question de spécialisation, de formation intellectuelle.
C’est comme si on disait que la gouvernance est réservée à une certaine catégorie de citoyens pendant que d’autres en sont exclus. Dans cette République platonicienne, on se rappelle que les esclaves se devaient d’être esclaves, les gardiens (les militaires) devraient rester dans leur classe sociale. Ainsi, les élites se perpétuent dans leur catégorie. Pareil pour les esclaves et les gardiens. Cet élitisme ne devait souffrir d’aucun mélange si on ne voulait pas voir la cité s’émietter à cause des guerres.
Cette vision républicaine ayant marqué l’antiquité n’a connu aucun changement dans les régimes dits démocratiques africains où on a l’impression que cet élitisme reste en vogue. Le peuple est jeté comme épave puisqu’il n’est jamais concerté, son point de vue n’est jamais pris en compte dans les décisions phares touchant la vie de la nation, pendant qu’il devait être le souverain comme le veut une vraie démocratie.
Des indépendances à nos jours, nous avons l’impression que ce sont les mêmes classes politiques qui gouvernent après avoir engagé une lutte farouche lors des élections. Une période durant laquelle on se rend compte encore de tout le caractère élitiste de ces démocraties. Les candidats ayant suffisamment d’argent pour corrompre les dirigeants sont les seules habilités à gouverner. C’est alors des démocraties à gouvernance bourgeoise. Les élections constituent une période idéale pour constater la lutte entre plusieurs bourgeois à la course pour le même poste de gouvernance. Du coup, la classe pauvre se trouve écartée de la gestion du pouvoir. Rien qu’à s’en tenir aux frais de candidature qui s’élèvent à 25 millions FCFA au Mali, on se rend compte que les pauvres n’ont pas droit à la parole.
Pour transcender ce cadre électoral, il convient de remarquer qu’au sein de l’Assemblée nationale, les députés au lieu d’être la voix de leur peuple respectif, adoptent des principes n’allant que dans leur propre intérêt, et cela, à l’insu du peuple qui ne se rend compte de cela qu’après adoption. Tous ceux-ci montrent que dans nos démocraties le vrai souverain est écarté de la gestion du pouvoir pour ne faire place qu’aux élites qui gouvernent selon leur propre humeur.
Ces Républiques déguisées en démocraties constituent un obstacle pour le développement des pays africains confrontés à ce problème. Cet élitisme constitue une violation des droits de l’homme ainsi que des principes démocratiques. À ce titre, on ne doit pas le laisser passer. Les maux de la démocratie africaine, voire des démocraties dans le monde, sont innombrables.
Fousseni TOGOLA
Source: Le Pays