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Législatives en Côte d’Ivoire : le parti de Laurent Gbagbo revient dans l’arène après dix ans d’absence

Pour le scrutin du 6 mars, le Front populaire ivoirien cherche à mobiliser son électorat en jouant la carte du retour de l’ancien président, encore incertain.

Eric Balega ne sait plus sur quel pied danser. Ces derniers mois, ce propriétaire de taxis à Gagnoa, une ville du centre-ouest de la Côte d’Ivoire, pensait avoir trouvé son champion pour les élections législatives du samedi 6 mars : le maire Yssouf Diabaté, candidat à la députation sous les couleurs du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti au pouvoir. Mais c’était sans compter sur le retour dans l’arène politique, après dix ans d’absence, du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, au sein duquel Eric milite depuis son adolescence.

Cette branche, dite « GOR » (Gbagbo ou rien), refusait jusqu’ici de prendre part au jeu politique en l’absence de son mentor, à la différence du FPI « légal » de l’ancien premier ministre Pascal Affi N’Guessan, reconnu par les autorités. Mais la donne a changé avec le retour annoncé de Laurent Gbagbo, dont les modalités sont actuellement en discussion avec les autorités. « Je serai bientôt avec vous », a-t-il écrit à ses partisans mardi 2 mars.

Dans ce contexte, Eric Balega est tiraillé. Le matin, ce délégué de section, âgé de 44 ans, participe aux rassemblements de campagne du maire candidat de la ville, et le soir, il file un coup de main aux « camarades » du FPI. « Depuis dix ans, on a tout boycotté, même l’élection présidentielle d’octobre 2020, je ne m’attendais pas à ce qu’on participe à ces législatives », se justifie-il.

« Orphelins »

Sur ces terres historiques du FPI, ils sont nombreux, comme Eric, à s’être senti « orphelins » ces dernières années. Absent du paysage politique depuis la crise post-électorale de 2010-2011, le FPI « pro-Gbagbo » a vu certains de ses cadres, militants et sympathisants frayer avec les décideurs en place et monnayer leur savoir-faire politique. Eric refuse toutefois l’accusation de traîtrise et assure avoir respecté la consigne de boycottage électoral durant une décennie. S’il se mobilise aujourd’hui pour le maire RHDP, « c’est avant tout une question d’intérêt, affirme-t-il, car le maire travaille avec tout le monde ».

Les candidats du FPI en campagne n’ignorent pas qu’ils doivent batailler ferme pour récupérer cet électorat parti voir ailleurs. Lundi soir, à Gagnoa, Nestor Dahi reçoit le soutien d’une association de femmes du quartier de Zapata, « subventionnée par la mairie », précise-il. Micro en main, le candidat local du parti lance un appel à l’assemblée : « Ceux qui ont mangé au restaurant hier sont les bienvenus à la maison aujourd’hui, car le FPI est de retour », dit-il dans une allusion comprise par tous.

Un retour qui doit donc coïncider avec celui de Laurent Gbabgo, toujours en exil à Bruxelles. Cette perspective agite toute la scène politique ivoirienne depuis que la Cour pénale internationale (CPI), en janvier 2019, a acquitté en première instance l’ancien président. Elle électrise particulièrement ce centre-ouest ivoirien dont Laurent Gbagbo est natif et qui s’attend à le voir revenir de façon imminente, même si la CPI a jusqu’au 31 mars pour décider d’un éventuel procès en appel. Depuis plusieurs jours, Gaston, jeune militant du FPI, fait campagne sans relâche, car « on m’a expliqué qu’il faut que le président Gbagbo ait des députés en rentrant ici », lâche-t-il.

Dans les meetings de quartiers, les discours sont souvent conquérants et véhéments vis-à-vis du pouvoir. Mais la participation au scrutin de toutes les grandes tendances partisanes du pays est une première depuis 2000 et « un signe de détente politique », observe l’analyste Arsène Bado, spécialiste des processus électoraux. « C’est un élément important pour la démocratie du pays. Rappelons que l’Assemblée, c’est le lieu de discussion des lois et du bien commun », poursuit-il.

Electeurs confus

Avant même l’arrivée en Côte d’Ivoire de l’ancien chef d’Etat, les législatives devraient permettre de mesurer la popularité du parti pro-Gbagbo après dix ans d’effacement. Pour espérer peser au Parlement, le FPI et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de l’ex-président Henri Konan Bédié se sont engagés dans une nouvelle alliance électorale nommée Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS), suite logique de celle affichée lors de la présidentielle du 31 octobre. Ensemble, les deux partis cherchent à remporter une majorité des 255 sièges en jeu et ont tenté de s’entendre dans la plupart des circonscriptions sur des candidats communs.

Mais ce « come-back » politique n’est pas si simple. Au sein de nombreuses circonscriptions, le FPI pro-Gbagbo défiera le FPI légal dans une lutte fratricide. A Yopougon, plus grande commune d’Abidjan et fief historique de Laurent Gbagbo, un âpre duel oppose ainsi l’avocat Pierre Dagbo Godé, candidat du FPI légal, à Michel Gbagbo, fils de Laurent, pour le FPI pro-Gbagbo. Ce dernier aura notamment pour allié un candidat PDCI pour le moins inattendu en la personne d’Augustin Houphouët, petit-fils du premier président ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Une campagne à l’image d’un pays où les alliances se font et se défont au gré des intérêts personnels et politiques.

Sur les marchés et dans les villages de Yopougon, les équipes des candidats haranguent les foules tout en essayant d’expliquer les subtilités du scrutin. Le V de la victoire avec les deux doigts, symbole historique du parti, est aujourd’hui celui du FPI légal. « Nous faisons un travail sur le terrain pour bien expliquer aux habitants que ce logo n’est plus le nôtre. Pour cette élection, nous privilégions la rose rouge », explique Alain Kouassi, délégué fédéral du parti et membre du cabinet de Michel Gbagbo. Mais, dans les meetings du candidat, rien n’a vraiment changé, la foule crie encore le nom de Gbagbo en levant les deux doigts en l’air.

<img class=”loaded” src=”data:;base64,” alt=”Michel Gbagbo, fils de Laurent, lors d’un meeting à Yopougon, commune d’Abidjan, pour les législatives du 6 mars 2021.” width=”6240″ height=”4160″ data-srcset=”https://img.lemde.fr/2021/03/05/0/0/6240/4160/1328/0/45/0/1e15093_508397272-img-8929.JPG 1328w, https://img.lemde.fr/2021/03/05/0/0/6240/4160/664/0/75/0/1e15093_508397272-img-8929.JPG 664w” data-sizes=”(min-width: 768px) 664px, 100vw” data-was-processed=”true” /> Michel Gbagbo, fils de Laurent, lors d’un meeting à Yopougon, commune d’Abidjan, pour les législatives du 6 mars 2021. YOUENN GOURLAY POUR “LE MONDE AFRIQUE”

Si les électeurs sont confus, c’est aussi en raison du discours parfois ambivalent des candidats. En arrivant sous les tentes d’un village de Yopougon, Pierre Dagbo rappelle sous les vivats : « Je fais partie du collectif des avocats de Laurent Gbagbo, je le défends depuis 2011. » Hors meeting pourtant, l’avocat candidat tient à faire la distinction : « On ne peut pas se réclamer de Laurent Gbagbo, on se réclame du FPI, il est un militant, mais il n’est pas au-dessus du parti. »

« Cest la débrouille »

Ces divisions internes risquent de provoquer un éparpillement des votes qui ouvrirait un boulevard à l’actuel député-maire RHDP de Yopougon, Kafana Koné. « Nous aurons les voix, assure Alain Kouassi. Le FPI légal ne représente rien. Ils n’ont aujourd’hui que trois sièges sur 255 à l’Assemblée. »

Malgré cette assurance, rattraper le temps perdu est une gageure. D’autant que la campagne électorale officielle n’aura duré qu’une semaine, « un délai très court pour remobiliser des électeurs qui n’ont plus de leaders depuis des années et qui ont en plus été démobilisés lors de la dernière présidentielle [boycottée par toute l’opposition ivoirienne], note Arsène Bado. Le FPI revient de loin. Son électorat est aujourd’hui très volatil. »

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L’autre défi tient à une trésorerie gbagboïste qui a considérablement fondu ces dernières années. « Financièrement, c’est compliqué, confirme le militant Stéphane Dédji. Pour la campagne, nous faisons ce que nous pouvons : avec les dons, les cotisations et la bonne volonté des sympathisants. C’est la débrouille, mais nos idées sociales sont riches. » Mais un parti sans moyens, c’est le risque de ne pas être élu et, « sans députés, souligne Arsène Bado, en théorie, un parti n’existe pas ».

Source: lemonde.

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