Le Mali est un pays majoritairement musulman. La communauté musulmane représente près de 95 % de la population. Malgré cette prédominance de l’islam, le pays a toujours été laïc dans sa forme. L’Etat observe des jours fériés pour les fêtes religieuses comme la fête du Maouloud, le baptême du Prophète (SWS), le lundi de Pâques, la fête de Ramadan, la Tabaski et Noël. La remise en cause de la laïcité n’avait jamais fait l’objet de vif débat en dépit du pouvoir social des dignitaires religieux. Dans un pays gangrené par la corruption et la mal gouvernance, les chefs religieux apparaissent comme des antagonistes face à certaines pratiques. Ce qui confère aux discours religieux une forte résonance auprès des masses.
Au fil du temps, l’influence des leaders religieux musulmans n’a cessé de s’accroître dans le jeu démocratique. Il y a tout de même des tendances religieuses qui s’opposent entre elles et qui s’invectivent régulièrement quant à la pratique de la religion.
L’Etat peine à réguler cette question malgré des dérives de certains imams à l’encontre d’autres confessions religieuses en dépit de l’existence du ministère des Affaires religieuses, du Culte et des Coutumes. Ce département ministériel est depuis toujours dirigé par une personne de confession musulmane depuis sa création sous la Transition en 2012.
Des leaders ont publiquement pris des positions politiques et d’autres essayent d’adopter tant bien que mal une position de neutralité. La responsabilité des leaders religieux transcende les clivages politiques. Ils ont servi d’avant-garde et de médiateur dans des crises politiques afin de concilier des positions. Ils peuvent également se montrer implacables contre les régimes.
L’impuissance de l’Etat face aux religieux
L’immixtion des leaders religieux dans le jeu démocratique s’explique par la défection des partis politiques. Le système politique électoraliste encourage les hommes et les partis politiques en quête de légitimité à trouver des moyens d’être élus.
Les leaders religieux apparaissent comme une opportunité en raison de leur rôle social. Ils ont une capacité immense à influer sur les décisions politiques de l’Etat. Ils ont la possibilité d’élire un président, de faire démissionner des ministres ou d’influencer la justice.
En 2009, pour la première fois dans l’histoire du Mali contemporain, sous l’égide du Haut conseil islamique du Mali, structure faîtière des musulmans, les leaders religieux se sont mobilisés contre le Code de la famille, qui avait été voté par l’Assemblée nationale. C’était près de 50 000 personnes qui ont répondu à l’appel des religieux au Stage du 26-Mars pour dénoncer ce Code qui avait été salué à l’époque par des organisations des droits des femmes. Sous la pression, la loi n’avait pas pu être promulguée par le président de la République et elle fut renvoyée pour une relecture.
Lors des élections présidentielles de 2013, plusieurs religieux, notamment le Chérif de Nioro Bouyé Haïdara en plus d’avoir contribué au financement de la campagne du président Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) avait également donné des consignes de vote à ses disciples. Il est actuellement l’un des plus grands soutiens des militaires au pouvoir.
Suite à l’attaque du Radisson Blu en novembre 2015, l’état d’urgence avait été décrété dans le pays et la célébration des événements tels que Maouloud furent interdits. Des leaders religieux virent en cette décision, une tentative de saboter une fête célébrée par la tendance malékite au Mali et, malgré tout, organisèrent la cérémonie.
En mars 2020, l’imam Mahmoud Dicko, ancien président du Haut conseil islamique, était convoqué au Tribunal de la Commune V de Bamako pour trouble à l’ordre public à cause d’une manifestation non autorisée sur la situation de l’école malienne et la grève des enseignants. Ceci avait créé une vague de manifestations dans la capitale pour empêcher l’imam de comparaître devant la justice.
C’est le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Tiébilé Dramé qui avait rendu visite à l’imam pour lui notifier l’annulation de la convocation. Le mouvement de contestation qui avait causé la chute du président IBK avait à sa tête l’imam Dicko. Les hommes politiques réunis au sein de ce mouvement appelé M5-RFP, n’avaient pas la capacité de mobiliser des masses pour réclamer la démission du président car ces derniers avaient servi sous ce régime.
Débat autour de la laïcité
La remise en cause de la notion de laïcité a fait suite à la publication sur les réseaux sociaux d’une vidéo mettant en scène un homme qui tient des propos virulents sur l’islam et le Coran. Il se réclame du “Kémitisme”, une croyance ancestrale et traditionnelle.
Cet acte avait causé une colère générale de la population. Après une plainte contre l’intéressé, le Haut conseil a appelé à une grande mobilisation contre cet acte jugé blasphématoire. Plusieurs membres de l’organisation ont été arrêtés dont le leader Doumbi Fakoli, un écrivain.
Plusieurs organisations musulmanes et leaders religieux rejettent la notion de laïcité qui ne les convient plus. Le projet d’élaboration de la nouvelle Constitution apparaît comme une opportunité pour les leaders musulmans de balayer la laïcité de la Constitution, d’où les réactions de plusieurs religieux depuis sa finalisation.
Si le Haut conseil islamique, dirigé par Ousmane Madani Haïdara, reste silencieux sur le sujet, La Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique au Mali (Limama) appelle à voter contre la nouvelle Constitution lors du référendum.
Elle exige un Etat islamique ou un Etat multiconfessionnel à la place de l’Etat laïc. Elle appelle les musulmans à se dresser contre la nouvelle Constitution qui sera soumise à référendum dans les prochains mois. Pourtant la laïcité telle que expliquée dans la nouvelle Constitution ne s’oppose pas à la religion et aux croyances. Elle a pour objectif de promouvoir et conforter le vivre-ensemble fondé sur la tolérance, le dialogue et la compréhension mutuelle. Cela est loin de convaincre certains dignitaires musulmans même si d’autres restent pour le moment silencieux sur la question.
Pour un vote massif contre le projet, certains leaders religieux se verraient créer un Front commun avec des partis politiques et des organisations de la société civile qui réclament l’abandon du projet de Constitution. En cas de “non” à la nouvelle Constitution, l’Etat garderait toujours sa forme initiale qui est laïque.
Bah Traoré
Chercheur, analyste politique et sécuritaire au Sahel
Source: Mali Tribune