La dernière équipe du continent à entrer en lice aura été la seule à s’imposer lors de son premier match, mardi, contre la Pologne (2-0). Les «Lions de la Teranga» peuvent-ils briser le plafond de verre du foot africain?
Rouge et blanc de façade, rouge et blanc de cœur. Mardi, pour l’entrée en lice des deux dernières équipes de la Coupe du monde, le Spartak Stadium de Moscou était presque entièrement acquis à la Pologne tant ses supporters étaient nombreux. Mais malgré d’inlassables encouragements, Robert Lewandowski et ses coéquipiers se sont inclinés contre le Sénégal (2-1). Deux drôles de buts, le premier sur une frappe déviée d’Idrissa Gana Gueye en première période; le second inscrit par un Mbaye Diang lancé depuis la touche où il se faisait soigner. La Pologne a répliqué par Grzgorz Krychowiak à la 86e mais, malgré la pression et le vacarme, le Sénégal a tenu son résultat jusqu’au bout.
C’est la première équipe africaine à y parvenir en Russie. Les quatre premières s’étaient inclinées, souvent de peu suite à un but de dernière minute. L’Egypte contre l’Uruguay (0-1, 89e), le Maroc contre l’Iran (0-1, 95e), la Tunisie contre l’Angleterre (1-2, 91e) et finalement le Nigeria, plus nettement, contre la Croatie (0-2). Difficile d’imaginer que ces formations parviendront à se relever et à décrocher leur qualification pour le deuxième tour, mis à part peut-être l’Egypte qui doit en découdre avec des abordables Russie et Arabie saoudite.
Alors, de nombreux amoureux du football africain appellent au ralliement derrière les «Lions de la Teranga» pour sauver l’honneur du continent. «Je peux vous garantir que tout le monde est derrière notre équipe, a dit le sélectionneur Aliou Cissé après le match. Je reçois des coups de fil de partout qui me le prouvent.»
Différents échecs
Trois sélections africaines seulement sont parvenues au stade des quarts de finale du tournoi: le Cameroun en 1990, le Sénégal en 2002 et le Ghana en 2010. Au début des années 2000, de nombreuses voix annonçaient que l’heure de gloire du continent allait sonner sous peu. «Si vous retrouvez des interviews que j’ai données il y a une vingtaine d’années, j’explique qu’une équipe africaine gagnera dans un avenir proche la Coupe du monde», rappelait récemment Eric Cantona au Monde.
La Côte d’Ivoire, forte des nombreux talents issus de l’académie de Jean-Marc Guillou à Abidjan, paraissait en première ligne pour écrire l’histoire en 2010. «Cette génération n’a pas obtenu tout ce à quoi elle aurait pu prétendre, nous disait le Français il y a quelques mois. Oui, la Côte d’Ivoire aurait pu gagner la Coupe du monde.» En 2014, le Ghana et le Nigeria paraissaient armés pour aller loin. Mais ces équipes, surestimées ou dévorées par la pression, n’ont pas répondu aux attentes.
Dans les tribunes du Spartak Stadium et en l’absence de la sélection de son pays en Russie, le journaliste sportif camerounais Brice Mbeze jette un regard dépassionné sur la situation. «Les problèmes des équipes africaines sont toujours les mêmes, estime l’envoyé spécial de la Cameroon Tribune. La qualité de la préparation, souvent insuffisante, et les questions d’organisation. Parce que, si on parle de la valeur individuelle des joueurs, alors il y en a aujourd’hui beaucoup en Afrique. Peut-être plus qu’en Angleterre ou même qu’en Amérique du Sud.»
48 équipes, la solution?
Les cinq équipes présentes en Russie ont leurs stars installées dans de grands championnats. Autour de Sadio Mané (Liverpool), 18 des 23 Sénégalais évoluent dans les cinq grands championnats européens. A leur tête, Aliou Cissé, 42 ans, plus jeune sélectionneur du Mondial, et ancien capitaine de l’équipe qui avait atteint les quarts de finale de la Coupe du monde 2002. Il sait que de sa capacité à fondre ces individualités dans un projet collectif dépendra la réussite de son équipe. Avec son bon départ dans un groupe ouvert complété par la Colombie et le Japon, elle peut se projeter un peu plus loin dans la compétition, même si les journalistes africains croisés mardi doutent de sa capacité à briser le plafond de verre des quarts de finale, voire à l’atteindre.
Certains observateurs espèrent que le passage à une Coupe du monde à 48 équipes dont 9 africaines (contre 5 sur 32 actuellement), prévu en 2026, permettra à quelques sélections de se qualifier plus régulièrement et donc d’accumuler de l’expérience. Le Camerounais Brice Mbeze n’y croit pas. «Envoyer davantage d’équipes qui n’ont pas le niveau ne va pas faire progresser le foot africain, lance-t-il. Non, il faut que la FIFA travaille pour imposer une bonne gouvernance au sein des fédérations, et tout reprendre à la base avec le football des jeunes…» L’Afrique attend son jour de gloire comme on attend Godot, sans trop savoir s’il est déjà passé ou s’il viendra un jour.