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Le Koroba : L’opéra des Dogons

C’est un spectacle qui agrémente généralement les événements heureux (mariages, baptêmes, fêtes annuelles). Au-delà de la réjouissance, il est très instructif au sens que les chanteurs en profitent pour flétrir les tares de la société

 

Le « Koroba » est sans doute une victime de la modernisation. Cette forme d’expression artistique propre aux Dogons semble être délaisser. Le choc des cultures, la mondialisation et la globalisation en effet ont mis en péril certaines valeurs culturelles. Les traditions sont délaissées au profit des valeurs étrangères. Il urge aujourd’hui de les inventorier en vue de les préserver afin de sauver le patrimoine en péril.

« Koroba » est composé de koro (calebasse) et de ba (jouer). C’est jouer ou battre aux mains la calebasse de façon harmonieuse. Le mot koroba désigne par ailleurs un jeu de dialogue chanté. Il repose surtout sur des paraboles, explique Hamadoun Kassogué, artiste-comédien et animateur de « Koroba ». C’est une veillée de manifestation de joie à l’occasion des mariages, de nos jours, de tout autre événement heureux.
Le « Koroba » est une manifestation traditionnelle culturelle d’essence spécifiquement dogon. Il ne peut être chanté pendant le jour que pour rendre hommage à un grand chanteur décédé. Ce spectacle n’est ni organisé, ni décidé, il naît de l’impulsion de l’artiste. Il quitte alors le cadre d’une manifestation de joie pour devenir un mélodrame.

Il existe le « Koroba » des hommes où les deux solistes protagonistes sont des hommes ; le koroba des femmes, dont les protagonistes sont des femmes. De nos jours, on rencontre quelquefois quelques confrontations entre homme et femme. Spectacle entièrement fondé sur l’improvisation, le koroba n’a ni texte écrit, ni canevas ; il n’y a pas non plus de mise en scène élaborée, ni de décor conçu. Le costume est l’habillement du quotidien ; seul l’événement de la rencontre est connu de tous (mariages baptêmes, fêtes annuelles…).

La notion de koroba renvoie à une entité homogène : joueurs de calebasse, chanteurs et public–chœur, explique le Dr Ousmane Ag Namoye, dans sa thèse intitulée : « Théâtre, société et violence en Afrique de l’Ouest : cas du Sénégal, du Mali et de la Côte d’Ivoire de 1960 à 2010 » soutenue en 2019 à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université Cheick Anta Diop de Dakar au Sénégal. Les composantes sont donc : les joueurs de calebasses. Ils sont deux ou quatre, assis sur une ou deux nattes, deux calebasses bourrées de chiffons et renversées sur les nattes. Ils jouent les calebasses avec la paume de leurs mains. C’est la partie orchestrale.

En second lieu, il y a les chanteurs. Les chanteurs se relayent. Sur la scène, appelée Odu en dogon (espace réservé aux chanteurs), ils sont deux. éventuellement un animateur modérateur les accompagne en leur servant du Sadi, une boisson qui dit–on, stimule l’inspiration. Les autres chanteurs se confondent au public–chœur.

UNE BELLE VOIX- Le chanteur est d’abord un individu. Tout en gardant ce titre, il est aussi le représentant de son père, de sa mère, de ses frères et sœurs, de sa famille élargie, de sa lignée, de son village, de sa contrée dès qu’il monte sur scène. Il est louable des qualités de tous ceux–ci et attaquable sur leurs défauts et leurs fautes. Alors, il doit être un grand symboliste, celui qui ne dit pas les choses de façon nue et crue ; celui qui voile son langage, qui sait transporter les faits, les comportements ; celui qui sait ameuter le public, assure la police du spectacle quand l’occasion se présente. Le chanteur doit être intelligent, attentif, être prompt dans ses répliques, dans ses compositions. Il doit avoir une maîtrise de soi, avoir une bonne diction, une belle voix.

Dans le « Koroba », il y a la notion de « Le public–chœur ». En effet, le public chante, il amplifie le chant du soliste en le reprenant en chœur. Il représente une courroie de transmission entre les deux chanteurs. Le public vient pour voir, écouter et en même temps chanter. Il influence la gradation des chants et l’évolution du spectacle par son approbation ou sa désapprobation, il amène, de par son poids le chanteur irrespectueux à se corriger. Le public n’est pas simple spectateur mais acteur, il est partie prenante du spectacle. Il est catalyseur, le moteur qui fait bouger, le sorcier qui donne du chœur au cœur du soliste.

Il est stimulateur et animateur. Exploitant les silences dans les chants, le public encourage les chanteurs, anime le spectacle : cette jeune femme qui vient étaler un pagne devant un chanteur ou qui lui jette un mouchoir, accompagnant son geste d’une mélopée stridente de you–you, exprimant toute sa gratitude ou, cette voix en extase qui fuse du public : « choisis parmi mes filles celle que tu aimes. Je te la destine en mariage » ou, cette autre voix : « Tu es le meilleur, l’unique, rugis ! », sont des actions ou des propos qui galvanisent, stimulent l’inspiration.

Le « Koroba » comme l’opéra a une origine liée au mariage. « L’Euridice » de Jaccobo Perri, premier opéra de l’histoire de la musique a été joué pour la première fois à l’occasion du mariage de Henri IV avec Marie de Médécis le 6 octobre 1600, selon l’Encyclopédie Universalis, rapporte le Dr Ag Namoye. Le koroba, à l’origine, n’était chanté qu’au cours des mariages. Ces deux appellations, l’une italienne, l’autre dogon utilisent le duo chanté, un chœur, des mimiques, et un ensemble orchestral. Au point de vue des thèmes, ils abordent le tragique et le comique.

L’analyse structurelle et thématique montre que le spectacle de koroba suit une chronologie arrêtée et toute violation de la part d’un chanteur équivaut à une remise à l’ordre. Nous sommes autour de la calebasse multidimentionnelle. La calebasse est le premier ustensile de la femme. Elle occupe une place de choix au foyer, dans les champs.

Elle intervient dans les fiançailles, dans les mariages, dans la médecine traditionnelle, les cérémonies rituelles, les toilettes mortuaires. La calebasse est au cœur de la vie de l’homme dogon, nourriture intellectuelle et spirituelle.

LA DIATRIBE- Le « Koroba » comprend trois parties distinctes ou éléments : le premier élément est l’introduction : un rituel de présentation d’excuses, de salutations mutuelles entre les autochtones et les étrangers, de demande de permission de la prise de la parole aux anciens et aux aînés (la parole est sacrée sa prise n’est pas une banalité), de remerciements aux organisateurs, de louanges à l’événement, de bienvenue aux habitants des villages environnants et à tous les présents de la manifestation.
Le deuxième est la compétition : une diatribe dure susceptible d’aller au–delà de la courtoisie.

Il est dénonciation, critiques acerbes des tares de la société par les chanteurs à travers le protagoniste. C’est la partie la plus prisée, impatiemment attendue du public, la plus longue et la plus instructive.
Le troisième élément est la réconciliation. On ne finit jamais un spectacle de Koroba dans la discorde. Après s’être dit mutuellement des méchancetés, après avoir tourné en dérision l’adversaire, après avoir dénoncé les tares physique et morale, à la fin, on se réconcilie et on remercie les organisateurs tout en leur souhaitant tout le bonheur de la vie. On émet aussi des vœux pour les prochaines rencontres.

L’évolution du chant se fait de la manière suivante : le dialogue du koroba est strictement chanté. Chaque chant est une évolution composée de deux chanteurs A et B, et un public–chœur C.
Le chanteur émet son chant 1 qui est repris par le public–chœur C. A, reprend son chant soit textuellement soit en l’améliorant. Le public–chœur C le reprend sans tenir compte du ou des changements.

Le chanteur B chante textuellement ou en améliorant le chant du soliste A, le public–chœur C le reprend. Le chanteur B reprend textuellement ou en améliorant le chant qui est repris par le public–chœur C. C’est ensuite que le chanteur B émet sa réplique, chant 2. Et le processus continue.
Le même chant est entonné en totalité huit fois ; deux fois par son compositeur, deux fois par le protagoniste et quatre fois par le public–chœur.

Le spectacle de koroba suscite toujours des commentaires. Le lendemain de la manifestation, les jours et même les mois qui suivent on en parle autour du puits, dans les groupements d’hommes et de femmes, dans toute la contrée. Ceux qui ont participé au spectacle commentent, ceux qui n’y étaient pas se renseignent, chacun couvrant d’éloges son idole. L’événement devient l’actualité. Si le spectacle a été de bonne qualité, il demeurera vivace dans les esprits. En conséquence, il intègre l’histoire et devient une référence, un repère.

Y DOUMBIA

Brève historique de l’Opéra

L’expression culturelle des communautés traditionnelles de l’Afrique de l’Ouest a sa source dans l’oralité. Les hommes qui composent ces communautés se servent d’un imaginaire merveilleux pour comprendre la vie quelle que soit l’approche choisie. à travers les contes, les légendes, les mythes, les croyances, les danses et jeux de mise en scène, la sculpture et la peinture ; l’individu reçoit autant qu’il partage un enseignement à travers lequel son groupe social aura tendance à s’exprimer.

Les manifestations culturelles soutiennent l’existence de la société traditionnelle, ce qui fait que dans les villages et dans les clans, bien que vivant dans une liberté totale avec une certaine autonomie ; les communautés se retrouvent pour des cérémonies ou des rituels religieux comme le mariage, le deuil, la chasse ou la pêche.

Selon le Larousse, l’opéra est une « action dramatique entièrement mise en musique, c’est-à-dire dont tous les rôles sont chantés, et qui comprend une ouverture orchestrale, des récitations, des ensembles (duos, trios, etc) des chœurs, des symphonies et des danses » (8787).

Selon l’Encyclopaedia Universalis, « l’opéra, né à Florence aux environs de 1600 est parti à la conquête de l’Europe et a connu un succès qui ne s’est jamais démenti », écrit le Dr Ousmane Ag Namoye, dans sa thèse intitulée : « Théâtre, société et violence en Afrique de l’Ouest : cas du Sénégal, du Mali et de la Côte d’Ivoire de 1960 à 2010 » soutenue en 2019 à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université Cheick Anta Diop de Dakar au Sénégal.

Il faut cependant noter l’existence de l’opéra chinois depuis le XIIIe siècle « On distinque, selon le caractère dramatique ou comique du livret, « l’opera seria » (opéra sérieux), et « l’opera buffa » (l’opéra bouffe). Tandis que l’opéra comique constitue un genre à part, puisqu’il fait alterner le parlé et le chant, le drame musical, création du XIXe siècle se rattache, à l’opéra, car la musique ne fait qu’y servir étroitement l’action » (La Grande Encyclopédie).

Y.D.

Source : L’ESSOR

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