Certes, on pourrait applaudir le gouvernement qui, dans sa grande mansuétude, accepte enfin de faire part de sa vision, de sa stratégie, au petit peuple des députés, mais cette séance arrive trop tard, bien trop tard. Ce débat sans vote sera tout au plus l’occasion pour Jean Castex, Jean-Yves Le Drian et la majorité de rabâcher les éléments de langage concoctés par l’Elysée.
Prière de partager la défaite…
Accorder un débat aux parlementaires alors que l’affaire est pliée, que l’opération Barkhane est annoncée défunte depuis le 17 février, il fallait oser, Jean Castex l’a fait. Pendant tout son quinquennat, Emmanuel Macron a géré la crise sahélienne seul, sans en référer à personne, ni aux chefs d’Etat sahéliens, ni aux députés, ni aux chefs de parti, ni parfois même à ses ministres, comme lorsqu’il a déclaré dans le JDD du 30 mai 2021 que la France pourrait se retirer du Mali. Puis, en prenant la décision unilatérale, le mois suivant, sans consulter Bamako, de réduire le format de Barkhane et de
quitter les bases de Kidal, Tessalit et Tombouctou. Et maintenant que Barkhane est poussée vers la sortie par Assimi Goïta et son premier ministre Choguel, que l’échec politique est consommé, on veut bien parler…C’est une déroute personnelle pour le locataire de l’Elysée qu’il essaye de la transformer en défaite collective en y associant les députés…
On connaît déjà les éléments de langage qui seront utilisés par la majorité : c’est la faute aux « multiples obstructions des autorités de transition maliennes » ; « Nous ne pouvons pas rester engagés militairement aux côtés d’autorités de fait dont nous ne partageons ni la stratégie ni les objectifs cachés, et qui ont recours à des mercenaires de la société (russe) Wagner ». Mais, bien entendu, nous restons « engagés dans la région sahélienne » nous allons poursuivre la lutte contre le terrorisme et « étendre le soutien aux pays voisins du Golfe de Guinée et d’Afrique de l’Ouest »… La messe est déjà écrite.
Consensus mou
Sur les bancs de l’opposition, on connaît également les positions des uns et des autres. Aucun risque du côté des Républicains de remettre en cause le bilan d’Emmanuel Macron sur le sujet. Valérie Pécresse s’est déjà exprimée et est d’accord en tout point avec le gouvernement : « Notre mission au Sahel de lutte contre l’islamisme n’est pas terminée, je souhaite que la France reste au Sahel, que nos militaires qui ont payé le prix du sang, je veux que ces militaires puissent continuer cette lutte contre l’islamisme, le djihadisme au Sahel. En revanche, je pense que la façon dont la France est traitée par la junte malienne n’est pas digne et qu’on ne peut pas payer le prix du sang pour un pays qui ne veut pas de vous. Cette décision de réorganisation est une bonne décision, si c’est réorganiser. »
Tout revoir de la cave au grenier
Si la droite ne bousculera pas Castex et Le Drian, ce ne sera pas le cas des députés communistes qui s’apprêtent d’ores et déjà a posé un certain nombre de questions qui fâchent, comme celles qui figurent dans leur dernier communiqué.
-Concernant la réorganisation : « On se demande bien sur quelles bases ont été prises les décisions. Ce qui n’a pas fonctionné au Mali, peut-il mieux se passer ailleurs ?
-Concernant le bilan : « Pourquoi lors de l’opération Serval en 2013 les djihadistes et autres entrepreneurs de violence étaient présents sur 10% du territoire alors qu’aujourd’hui près de 90% est classé en zone dangereuse ? « Pourquoi aucune des causes économiques, politiques, conflictuelles, qui ont conduit au désastre n’a été traitée ? »
-Concernant les sanctions soutenues par Paris : « Que cherche la France en se retirant et en étouffant le Mali par l’appui d’un blocus inacceptable qui risque d’aggraver la situation ? » En conclusion, le PCF appelle à revoir le logiciel de la présence française en Afrique « de la cave au grenier ».
Sortir du déni
La France insoumise remuera aussi le couteau dans la plaie. Jean-Luc Mélenchon a réclamé ce débat depuis au moins un an et son groupe ne va pas se priver de la tribune pour rappeler qu’il avait averti qu’ « un retrait immédiat, sans plan, sans calendrier, sans objectifs clairs, pourrait plonger des zones entières du Mali dans l’anarchie ou sous la coupe des djihadistes. Ce retrait doit être organisé sur une période permettant notamment la montée en puissance de la souveraineté populaire des Maliens et celle de l’ONU et des armées locales. » Et que les députés sont maintenant placés devant le fait accompli. Il ne manquera pas non plus de dénoncer : « l’improvisation et la précipitation, après des années de déni et d’immobilisme des autorités françaises sur la situation réelle du Mali et l’enlisement politique au Sahel » et « le double langage consistant à adouber les dictatures dans certains pays, comme au Tchad, et à les dénoncer dans d’autres. »
La seule petite surprise de ce débat est à attendre du côté de Marine Le Pen qui ne s’est jusqu’à présent guère exprimée sur le sujet, hormis sur la sécurité des militaires : « la vraie question est de savoir comment nous partons et quels moyens nous mettons à disposition de l’armée pour pouvoir partir dans des conditions de sécurité optimales ? »
Une question pertinente, mais sur celle-ci comme sur celle de la réorganisation, le gouvernement sera bien incapable de répondre, puisque les « paramètres de cette réorganisation seront arrêtés d’ici juin 2022. »
Toutes les questions embarrassantes sont renvoyées après la présidentielle…
Le Monde