Des experts estiment qu’il est dix fois plus riche en fer et trois fois plus riche en vitamine C que le lait de vache
L’Afrique est le premier éleveur mondial de chameaux (terme générique incluant aussi bien le chameau à deux bosses que le dromadaire) avec plus de 14 millions de têtes sur un total de 19 millions à l’échelle mondiale, comptabilise le site du Réseau de recherches et d’échanges sur les politiques laitières (Repol). Cet animal emblématique est, depuis des millénaires, utilisé par les peuples nomades pour sa capacité d’adaptation et de résistance exceptionnelle aux conditions climatiques dans les zones désertiques comme celles des régions nord du Mali, où il n’est pas rare de voir des caravanes de chameaux chargés de marchandises ou transportant des forains.
Outre ce rôle commercial multiséculaire narré à travers les contes et les récits des explorateurs, le lait de chamelle (la femelle) fait partie du régime alimentaire préféré des bergers et autres tribus nomades, comme ceux de Tombouctou. Dans cette localité du Nord du Mali, le lait de chamelle est traditionnellement consommé par la population.
Des témoins rapportent que les bergers nomades peuvent survivre jusqu’à un mois uniquement à l’aide de ce breuvage lorsqu’ils parcourent de longues distances dans le désert avec leurs troupeaux. Ce qui fait sans doute de ce liquide un aliment consistant. Des experts estiment qu’il est dix fois plus riche en fer et trois fois plus riche en vitamine C que le lait de vache. «Grâce à sa teneur en potassium, magnésium et vitamine B, le lait de chamelle favoriserait le développement des os, renforcerait la croissance des cheveux et préviendrait leur chute, en plus d’assurer une dentition saine !», supposent des spécialistes. D’autres estiment qu’il contiendrait un fort pourcentage de protéine à potentiel antimicrobien élevé, protéine absente du lait de vache ou ne s’y trouvant qu’en quantité infime. Il est alors très prisé par les habitants de la Cité des 333 Saints et autres régions frontalières.
Face à la forte demande de plus en croissante, la valorisation de ce produit s’imposait afin d’en faire un levier de croissance économique dans la zone. Des fils de la ville sainte ont alors décidé de se lancer dans la transformation du produit. Ainsi Tombouctou dispose aujourd’hui de sa première unité de transformation de lait de chamelle. Située au Quartier Sans fil, sur la route de l’aéroport, cette usine s’inscrit dans le cadre du Projet de pasteurisation et de conditionnement du lait de chamelle dans la ville de Tombouctou. L’initiative est portée par l’Association pour la promotion de l’élevage et la mise en valeur du lait de chamelle. Objectif : relancer le développement économique régional.
Une première dans la Région, cette unité est un bel exemple de partenariat public-privé. Il est cofinancé par le Conseil régional et l’Association pour la promotion de l’élevage et la mise en valeur du lait de chamelle (APVLC). «C’est dans le cadre de l’exécution de son budget 2017 que le Conseil régional de Tombouctou a appuyé la réalisation du Projet de pasteurisation et de conditionnement du lait de chamelle dans la ville de Tombouctou. Cela pour l’amélioration des revenus et la création de richesses», explique le président de l’autorité intérimaire de la Région de Tombouctou, Boubacar Ould Hamadi.
Pour le président de l’APVLC, Housseine Ghanami, la création d’une telle unité vise la mise en place d’une filière laitière qui valorisera le lait de chamelle et assurera l’autosuffisance en lait et en produits laitiers. Il s’agit, selon lui, d’approvisionner la population de la Région en lait de qualité et renforcer par la même occasion la contribution de la filière lait à l’économie locale. «Les unités industrielles sont presque inexistantes dans la Région de Tombouctou, à part les boulangeries et les mini sociétés d’eau potable. C’est en cela que cette initiative d’unité de transformation du lait à tout son sens. La symbolique est non seulement forte, mais surtout la distribution du lait pasteurisé qui est un besoin réel des communautés et même des visiteurs», explique-t-il.
à l’usine, le traitement du lait de chamelle est effectué par un pasteurisateur d’une capacité de 1.500 litres par jour, un Tank refroidisseur pouvant contenir 500 litres toutes les deux heures et une machine de conditionnement d’une capacité de 1.000 paquets emballés par heure.
«La capacité d’approvisionnement actuelle est en moyenne de 100 litres par jour. à moyen terme, la laiterie sera approvisionnée par plusieurs éleveurs dans un rayon de 60 km maximum, tout autour de la ville de Tombouctou avec une capacité de collecte prévue de 700 à 1.000 litres par jour. Un système de collecte pratique et simple sera mis en place afin de faciliter la livraison à temps et dans les meilleures conditions de l’unité», précise Housseine Ghanami.
D’après notre interlocuteur, la production se limite actuellement au lait de chamelle pasteurisé. Mais dans un futur proche, avec l’acquisition de moyens de collecte tout autour de la ville comme prévu, d’autres gammes seront proposées notamment le lait fermenté, le ghee et les fromages. Aussi, il est prévu l’achat de 100 chamelles, dix chameaux et l’aménagement de 20 hectares pour la culture fourragère.
La mise en œuvre de cette initiative devrait permettre de solutionner certaines difficultés auxquelles l’unité reste confrontée. Il s’agit notamment de l’insuffisance de lait de chamelle faute de système approprié de collecte, du manque de formation en gestion de l’unité de transformation, l’insécurité grandissante entravant la mobilité des collecteurs et le problème crucial d’alimentation des laitières (insuffisance d’espaces pastoraux aménagés). «L’unité reçoit une faible quantité de lait. Présentement toute la matière première est approvisionnée par la ferme de chamelles située à moins de 5 km de la ville appartenant à l’Association (14 femelles et trois mâles).
L’association est en train de négocier avec d’autres éleveurs de chamelles pour collecter dans un rayon de 60 km le lait de chamelle», explique-t-il. Et de souligner que l’unité compte dans les jours à venir améliorer la production laitière à travers la sélection de chamelles, l’adoption de cultures fourragères pour soulager l’insuffisance alimentaire des laitières surtout en période de soudure et l’élargissement du champ d’action (au-delà de la région) en termes de commercialisation.
Envoyée spéciale
Aminata Dindi SISSOKO
Source : L’ESSOR