Après seulement six mois de présidence, Ibrahim Boubacar Kéita serait-il déjà fatigué, usé ? Beaucoup seraient tentés de le croire au vu des agissements du chef de l’Etat depuis son élection et, surtout, son intronisation show son et lumière.
Pour tous les autres, il n’en est rien, c’est juste le naturel qui revient au galop. Pour les premiers, pliant sous les ans, le président de la République se fatigue trop rapidement s’il devait effectuer tous ses nombreux déplacements à bord de l’avion présidentiel, un aéronef qui, signe extérieur de souveraineté nationale, faisait pourtant le bonheur des patriotes convaincus et sincères que sont ses prédécesseurs, Amadou Toumani Touré puis Dioncounda Traoré, qui, signe extérieur de puissance, faisait la fierté du Premier ministre de la transition, Cheick Modibo Diarra, l’homme qui avait les yeux plus gros que la bedaine.
Pour Ibrahim Boubacar Kéita, le chef démocratiquement élu de l’un des Etats les plus pauvres de tous les systèmes solaires réunis (le Mali figure dans le top 10 mondial de la misère), il faut rien de moins qu’un jet privé loué à coups de dizaines de millions de F Cfa pour ces nombreux et incessants déplacements. La facture se révèle d’autant plus salée qu’à chaque fois IBK a besoin d’au moins trois jours, que ce soit pour aller dans des pays voisins ou lointains ou pour un simple voyage à l’intérieur du pays. Pour les autres, le président de la République n’est pas si âgé que ça, c’est un « petit » vieux qui n’a même pas encore 70 ans. Mais qui, à force de téter les mamelles de l’Etat depuis plus de vingt ans en est arrivé à se sédentariser. Les exercices physiques ? Il ne connait pas, c’est si fatigant.
Marche sur du rouge
Pourtant IBK, malgré le sang bleu qui coule dans ses veines (il est descendant d’un empereur du Manding), adore marcher, notamment lorsqu’on lui déroule le tapis rouge. Depuis son accession à la magistrature suprême, il a remis au goût du jour le sol écarlate. Même lorsqu’il va vacciner des bêtes dans un bled comme Markacoungo, à seulement moins de cent kilomètres de Bamako, l’homme a besoin de marcher sur du rouge, de sentir le rouge sous ses précieux pieds présidentiels princiers. Selon les mauvaises langues, il ne voudrait surtout pas oublier le sang des martyrs dans lequel ils ont marché, lui et ses camarades du mouvement « démocratique », pour prendre le pouvoir en 1991. Bien sûr, même s’il est descendant du roi sanguinaire Soundjata Kéita, il n’est pas homme à se délecter du sang des enfants même d’autrui.
De fait, Ibrahim Boubacar Kéita n’en revient toujours pas d’avoir hérité d’un palais clé-en-main, même s’il sait que lui, le président prêt-à-porter, n’avait que, en juillet-août derniers, des adversaires non taillés sur mesure ou mal cousus main.
Aujourd’hui, l’homme plane dans les airs, à bord de jets coûteux, ou marche sur du velours rouge, devant des corps constitués qui rient jaune tandis que les pauvres gars du protocole de la République sont verts de rage. Quant au peuple, il broie du noir et désespère d’avoir un jour un avenir en rose. Et il ne comprend toujours pas le besoin qu’éprouve son président à semer une peur bleue au sein de la troupe.
Ciel bleu pour le paternel
Selon des indiscrétions émanant du Palais, le président qui aime tant marcher et planer en même temps se serait inscrit à des cours de moon walk. Aurait-il l’intention de marcher un jour sur la lune ? On le croirait facilement vu que le fiston national, le député Karim, serait en train de tout mettre en œuvre pour interdire le ciel bleu aux autres. En l’occurrence, il aurait vu rouge (lui aussi ?) parce que le Premier ministre se serait rendu à Koulikoro (60 Km de Bamako) en hélicoptère. Mais entre les deux hommes, il pourrait s’agir d’autre chose, puisque ils vivent depuis quelques mois une histoire de désamour. Comme si la succession d’IBK était déjà ouverte.
Mais le rouge dont IBK a le plus à craindre, c’est celui de ces incendies intempestifs dont personne ne connait encore les causes. En moins d’un mois, en effet, le ciel bamakois a rougeoyé à trois reprises. Le spectacle était d’autant plus grandiose et désolant que ces incendies ont eu lieu de nuit, embrasant le ciel d’un rouge flamboyant que rien ne prévoyait.
Ciel rouge
De mémoire de commerçant, jamais le feu n’avait fait autant de ravages en un si laps de temps : des centaines de milliards sont ainsi réduits en cendres grises ou noires carbonisées, selon les commerçants du « woro cour » (le marché de Kola), du Dabanani (centre névralgique du pays) et du Marché rose (noyau du grand marché). Les acteurs du secteur privé, surtout informel, ne voient pas cela d’un bon œil. Après le déguerpissement des principales artères de la ville, l’incendie du 20 mars dernier est le coup de grâce qui fait blêmir ces commerçants qui, n’étant pas assurés et travaillant au noir, n’ont rien à espérer de l’Etat qui, lui-même, est confronté à d’énormes difficultés économiques et financières. Bien sûr, il existe un projet d’appui aux commerçants détaillants mais ils n’auront sûrement pas un chèque en blanc.
Cheick TANDINA