Lorsque l’injustice fait irruption dans le prétoire, disait Montesquieu, le père de l’Esprit des lois, le droit s’échappe par la fenêtre. Certes, pour ce qui est de la folle affaire des surfacturations et détournements des deniers publics dans l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires, on n’en est pas encore à la phase du procès, mais les manoeuvres en cours montrent bien qu’on tord le cou au droit et que la politique se permet tout pour perpétrer des forfaits dans la plate-bande du pouvoir judiciaire. Un tel empiètement que l’on croyait désormais impossible vient pourtant de réussir un hold-up qui jette et la crédibilité et l’honneur de la justice dans la poubelle.
La mise en liberté brusque de Mahamadou Camara, ancien directeur de cabinet d’IBK et ancien ministre, est sans doute une transgression orchestrée en haut lieu. En effet, lorsque, le 1er avril, les deux syndicats de la magistrature, S.A.M. et SY.L.I.MA, se sont rendus ensemble au bureau du Procureur Mamoudou Kassogué qui les a reçus en présence de ses collaborateurs, il s’agissait d’une solidarité et d’un soutien ferme dans le dossier réouvert par le Pôle Économique et Financier, sur instructions écrites, faut-il le rappeler, du ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Garde des Sceaux. Le magistrat enquêteur n’avait pas caché à ses homologues que la mise en détention de Mahamadou Camara avait fort déplu au sommet de l’État, voire irrité le président de la République, de surcroît président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Mais, soutenait-il à l’appui de son action engagée, la plus haute autorité de la république fait une lecture biaisée de l’article 116 du code de procédure pénale, car la loi est d’interprétation stricte. En conséquence, au regard de l’acte de nomination de Mahamadou Camara, ce dernier ne peut bénéficier du privilège de juridiction.
N’empêche, IBK ne continuera pas moins de s’immiscer dans le dossier, ordonnant même que le prévenu Camara soit traité comme un prince en confinement médical. Ce qui sera le cas. Toutes les effractions parties de Koulouba aboutiront finalement à la relaxe de Mahamadou Camara le mardi 21 avril, après une sorte d’étranglement des magistrats. Et les arguties juridiques vont bon train. Le procureur Kassogué se devait d’abord de saisir les deux procureurs généraux, celui de la Cour suprême et celui de la Cour d’Appel qui, à leur tour, auraient saisi la chambre d’accusation criminelle qui aurait, elle, statué sur l’affaire en prenant la décision ou non de délivrer un mandat d’arrêt. Une ineptie qui veut tout simplement dire que pour aller à Gao, il faut d’abord partir à Kayes, puis revenir à Ségou d’où l’on rejoindrait Koulikoro pour prendre le train qui amène à Tombouctou. Et de là, embarquer sur un drone chinois qui atterrira dans la cité des Askia. Rien que du charabia. On veut tout simplement jeter l’opprobre sur le procureur Kassogué qui ne serait pas un vrai professionnel et qui aurait donc multiplié des erreurs de procédure.
La vérité est que les surfacturations et autres détournements de deniers publics ciblés par le magistrat touchent trop de personnes haut placées dans les premiers cercles du pouvoir. Mahamadou Camara doit à lui seul répondre de la bagatelle de plus de 09 milliards ; de quoi équiper correctement au moins 20 hôpitaux et construire quelque 100 nouvelles écoles. Les autres doivent justifier la volatilisation de plus de 29 milliards de nos francs ; de quoi refaire bien d’infrastructures routières abîmées.
Au regard de tout cela, qu’importe que Mahamadou Camara soit libéré et qu’il soit libre de ses mouvements comme un poisson dans l’eau, mais qu’il soit obligé de se présenter chaque semaine, chaque jour ou chaque seconde à la justice ? Le fait est que celle-ci se trouve désormais dans le creux de la vague.
Ahmad Ould Bilé