La version initiale de la Chartre de la transition proposée par le CNSP a connu beaucoup de modifications. La version finale reflète les compromis que les participants à la concertation ont su trouver. À l’exception notable du M5-RFP, tous les groupes socio-économiques et politiques présents ont acclamé l’adoption de la Chartre de la transition.
Entre les changements de version, les mêmes grosses têtes qui ont saigné le Mali, sous Alpha, ATT et IBK, n’ont pas manqué de poindre. Le nouveau Mali ressemble à l’ancien Mali comme deux gouttes d’eau. Les anciennes pratiques demeurent jusqu’aux cauchemardesques bousculades autour de la pause-café pour avoir de préférence des pâtés.
Le Malien est vraiment affamé. En ce début de transition, on ne peut parler que de remplacement, le changement se verra peut-être dans l’animation des institutions. De jeunes, en fait, ou du terme plus à la mode, de changement générationnel, ce sont les rejetons de la même classe politique honnie qui veulent avec des visages neufs continuer dans notre pays l’héritage mortifère de leurs pères.
La majorité des femmes présentes est constituée par les hôtesses. C’est la place réservée au Maliennes dans le nouveau Mali. Comme d’habitude, elles s’inquiètent de savoir si les organisateurs n’ont pas oublié de les inclure dans les effectifs de la pause-café. Le harcèlement sexuel et le sexisme dont elles font d’ordinaire l’objet sont présents comme dans l’ancien Mali.
Elles se font agresser verbalement, n’entendent jamais merci et on leur parle de manière discourtoise. Il est fort probable que l’agence de communication qui a fait recours à leurs services s’est sucrée sur leur dos. Lorsqu’elles sont bien traitées, elles reçoivent la moitié du montant unitaire que le prestataire facture en leur nom.
C’est comme les agents de gardiennage qui reçoivent 30.000 FCFA de salaire, alors que l’entreprise qui les place en reçoit le double par gardien. Jusqu’au jour où celles-ci et ceux-là diront que leurs conditions de travail ont été améliorées. Il faudra se contenter du remplacement et non du changement.
Au Covid-19, s’est jointe l’épidémie de conjonctivite «Appolo». Comme dans l’ancien Mali, les mesures barrières sont seulement indicatives. En concordance avec la légendaire hospitalité malienne, nous accueillerons «Appolo» avec tous les honneurs dus.
Ceux qui ont mis ce pays à terre ont obtenu pour leurs enfants depuis belle lurette les nationalités qui comptent. Pour faire de ce nième remplacement un changement, il va falloir que tous ceux qui, pour une raison ou une autre, se sont écartés de l’action civique et patriotique, s’engagent à fond.
Le CNSP a organisé et dirigé les travaux de la concertation en serrant de près les normes de la sociabilité malienne. Il n’eut à sortir ses muscles que contre ceux qui voulaient saboter la tenue des concertations. Les participants furent entièrement libres de s’exprimer, de proposer et de critiquer le CNSP dont les représentants ont pris avec bonhomie les piques adressées à eux.
Le CNSP semble avoir compris que la tâche de sauver le Mali, car il ne s’agit plus de le redresser comme en 2013, IBK et son régime nous ayant mis à l’agonie notre patrie, est trop lourde pour ses seules épaules et qu’il aura immensément besoin du concours de toutes les bonnes volontés.
Maintenant il s’agit de donner vie au contenu de la Charte et de réaliser les objectifs de la transition. Plus que jamais les Maliens devront être optimistes et vigilants en même temps. Il s’agira de traquer les moindres écarts entre les propos et les conduites pour ne laisser aucun acteur de la gestion des affaires publiques s’écarter du sentier que nous venons tous de déterminer ensemble. Le Mali est à la dernière gare d’aiguillage pour changer de trajectoire et éviter la dislocation.
Rares sont les dirigeants politiques maliens de premier plan qui ne possèdent pas de l’immobilier à l’étranger, des comptes en banques bien garnis en dehors du Mali. Leurs enfants sont nés en Amérique du nord ou y résident. Alors, le Mali peut bien partir en sucette tant qu’eux trouvent encore le moyen de dépecer la bête à l’agonie, c’est du tout bon.
Les djihadistes, les trafiquants de drogue et d’êtres humains, les bandits armés et leurs relais criminels à Bamako, l’élite politico-économique apatride et rentière sont tous des minorités très bien organisées qui s’attaqueront à toute tentative véritable de sauver le Mali.
La voie pour manœuvrer et sortir victorieux de ces ennemis est très étroite et la fenêtre d’opportunités très réduite. L’avantage stratégique majeur de nos ennemis est l’ignorance des populations maliennes, leur faible moral et l’irresponsabilité dont majoritairement nos compatriotes ont fait preuve en se désintéressant de la chose publique.
Il va donc falloir nous informer, débattre, utiliser notre raison comme jamais individuellement nous ne l’avons fait, pour nous engager résolument pour sauver nos têtes. Car pour les authentiques Maliens, le salut individuel n’a de sens que dans le salut collectif.
Abdoulaye Shaka Bagayogo
Source : Nouvelle Libération