ENTRETIEN. Présidente du 39e Festival du film d’Amiens, la Burundaise, internationalement connue depuis son succès planétaire « Sambolero », s’est confiée au Point Afrique.
Propos recueillis à Amiens par Mérième Alaoui
Faut-il encore présenter Khadja Nin ? Depuis qu’en 1995, elle s’est introduite dans les charts planétaires avec Sambolero, Khadja Nin, de son vrai nom Jeanine Ntiruhwama, est une artiste connue. Et apparemment pas seulement du monde de la musique puisque la Burundaise semble séduire les professionnels du 7e art. Pour preuve, après avoir été membre du jury du Festival de Cannes 2018 sous la houlette de Cate Blanchett, elle vient d’être désignée présidente du jury du 39e Festival du film d’Amiens. Artiste engagée, elle milite pour la paix en général et dans son pays en particulier. À Amiens, comme à Cannes, loin des considérations techniques, elle entend s’habiller d’une sensibilité à même d’aider son regard de saisir l’émotion et l’humanité dans les films projetés.
Pour le Festival d’Amiens qui consacre son édition de cette année au cinéma espagnol, ce sera précieux. Voilà plusieurs années en effet que les cinéastes du continent entretiennent une relation particulière avec la capitale de la Somme et pour cette année, il est prévu un cycle de films africains restaurés, mais également des productions de cinéastes contemporains. Last but not least. Un hommage sera rendu à l’acteur et réalisateur mauritanien Med Hondo, disparu cette année. Partagée entre Monaco et un petit village du Mali dont elle garde jalousement le nom, Khadja Nin devrait découvrir ou redécouvrir de belles œuvres du7e art africain dont elle se désole qu’il ne conte pas assez d’histoires africaines. Quelque chose qui, de son point de vue, manque véritablement au cinéma international.
Le Point Afrique : Après le Festival de Cannes en 2018, vous voilà présidente du jury du Festival international du film d’Amiens. Votre intérêt pour le cinéma semble se confirmer ?
Khadja Nin : C’est vrai que j’ai été membre du jury du Festival de Cannes en 2018. Aujourd’hui, je me retrouve à Amiens. Dire que mon expérience au cinéma c’est une minute en tant qu’actrice dans le film d’Atik Rahimi – Notre Dame du Nil – et cela, simplement parce que j’étais là… (rires). En réalité, ce n’est pas à moi d’expliquer pourquoi je suis là, mais bien au monde du cinéma. Pourquoi suis-je sollicitée ? Évidemment, j’ai vite accepté de présider ce Festival, car je suis d’une curiosité folle. Je ne demande qu’à apprendre. Je préfère toujours me confronter aux mondes que je ne connais pas. Je veux être surprise, voir des films que je n’aurais peut-être jamais vu ailleurs. Dans ce Festival, le monde entier est réuni. Il y a un film du Bangladesh en compétition. Là où je vis au Mali, il n’y a pas un cinéma à moins de 200 kilomètres à la ronde. Dans quelle circonstance aurais-je pu voir tel film ? J’ai d’ailleurs vraiment hâte de le découvrir. Sinon, je vais également rencontrer des étudiants en dernière année de cinéma. Je compte bien apprendre aussi grâce à eux ! Quand j’y pense, à Cannes j’ai eu la chance d’échanger une heure avec Martin Scorcese, j’ai pu dîner avec Francis Ford Coppola… Je me rends compte que j’ai beaucoup de chance pour quelqu’un qui n’est pas du milieu du cinéma. Même si je ne suis pas spécialiste, je suis très attachée aux expressions artistiques. C’est simple, la culture est une des richesses les mieux réparties au monde et c’est l’une des plus pérennes. Elle traverse le temps. C’est ce qui me plaît particulièrement au cinéma.
Si le festival rassemble des films venus du monde entier, il y a un volet réservé aux cinéastes africains, certains ont une relation particulière avec Amiens…
Le Festival d’Amiens permet une rencontre avec les cinémas d’Afrique, mais aussi avec celui d’Asie, bien distinct du cinéma chinois ou japonais. En fait, il permet de découvrir des regards inattendus. Oui le cinéma africain est très riche, mais on pourrait créer tellement plus… Cela nous emmène aux difficultés de faire des films en Afrique. Il est difficile de produire des films de qualité. C’est primordial aujourd’hui. Il faut entrer dans les standards internationaux de l’image, du son… C’est ce qui fait défaut. Les dirigeants africains doivent sortir du divertissement pour passer à l’investissement dans le cinéma.
Il faut donc en passer par la politique ?
Non… Mais il faut des décisions économiques ! Une prise de conscience. Laissons presque de côté l’expression artistique. Il faut aussi voir le cinéma comme une industrie. Un moyen de développement. Ce sont des emplois, des infrastructures, une source inépuisable… Et grâce à tout cela, on exporte des éléments importants de son pays, de son peuple, de sa culture. Les meilleurs ambassadeurs d’un pays, ce sont ses artistes. Il ne faut pas des subventions, mais un réel investissement. Cela dit, il y a des progrès enregistrés ici ou là, au Maroc par exemple où des initiatives intéressantes sont prises, mais il faut produire davantage. Les Africains ont un talent fou, mais ils ne sont pas mis en lumière. La Chine par exemple, compte aujourd’hui les plus grands studios de cinéma au monde. Elle concurrence les États-Unis !
La programmation de ce festival fait la part belle aux films écrits par des femmes. Vous sentez-vous concernée par la parité au cinéma, une question d’actualité ?
Mon Cannes à moi, c’était après la naissance du mouvement MeToo et l’essai collectif Noire n’est pas mon métier. C’est bien qu’on s’intéresse enfin au regard des femmes. Il était temps ! Avec Agnès Varda, nous étions 82 femmes à monter les marches pour symboliser le nombre de sélectionnées à Cannes contre les 1 000 hommes. Cela dit, je ne me considère pas forcément comme féministe. Je suis simplement pour la justice. Ça avance doucement et les femmes grignotent de l’espace petit à petit. C’est donc bien et intéressant qu’on leur offre une tribune au Festival d’Amiens. Le cinéma doit pouvoir éveiller les consciences. Révéler le monde avec d’autres regards comme celui des femmes, des mères. Un bon film doit aider à grandir.
Votre jury est composé de la réalisatrice Isabel Raventos, de la productrice Charline de Lépine, du romancier Akli Tadjer et de l’animateur Amobé Mévégué. Quel genre de présidente comptez-vous être ?
À Cannes, les jurés venaient de partout. Mais nous étions tous d’accord sur l’importance d’être touchés intimement par le film. Quand un critique commence à se référer à Godard ou tel autre réalisateur ou film culte, pour moi, c’est un manque d’imagination. Cela m’ennuie. Un bon film, c’est comme la prestation d’un danseur. S’il a mal à la cheville, on ne doit pas le voir. Il faut que le résultat ait l’air facile, naturel. Si on voit les ficelles, pour moi, c’est raté. On peut toujours expliquer tel ou tel choix technique, mais l’émotion, elle, ne s’explique pas. J’aime me concentrer sur le message universel, sur ce qui nous réunit.
Source: lepoint