Yaya Coulibaly, connu pour être un maître dans l’art de la marionnette, est surtout un artiste engagé. Dans cette interview, il dit son inquiétude face au manque de volonté criard de l’Etat dans la promotion de la culture.
A cette réalité s’ajoute ce qu’il considère comme la percée des extrémistes des religions révélés, qui constituent une menace sérieuse à toute œuvre culturelle et artistique. La création du département du culte et des affaires religieuses l’exaspère ainsi. Yaya Coulibaly dénonce aussi l’injustice qui risque, à la longue faire révolter les Maliens, dont l’essentiel des familles sont comme faites pour être administrées par une infime minorité de privilégiés.
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs
Yaya Coulibaly : chez nous, en société bambara, il est beaucoup plus commode que ce soit une autre personne qui me présente. Qu’à cela ne tienne, je vais essayer de dire qui je suis dans le monde de la culture.
Je suis Yaya Coulibaly, marionnettiste de père en fils, de génération en génération depuis le XIè siècle. Je suis homme de culture : dramaturge, conteur, géomancien, théologien, une personne-ressource. Je suis quelqu’un qui est entre la vie et la matière inerte. Je suis donc gestionnaire du patrimoine culturel en un mot.
Qu’avez-vous fait pour votre pays dans le domaine des arts et de la culture, justement ?
Je me suis battu pendant 40 ans pour la valorisation et la promotion de certains éléments du patrimoine de notre culture qu’on appelle les marionnettes, à travers le monde.
D’ailleurs il y a un film documentaire de 50 mn qui retrace mon combat ; mon parcours pour les marionnettes. Et ce film attribue la paternité des marionnettes au Mali. Il a été projeté à la Maison des Cultures à Paris pendant près de 15 jours. C’est le fruit de plusieurs années de combats que nous avons menés. Grâce à ce combat, nous avons fait de telle sorte que les jeux de marionnettes soient compétitifs aux Jeux de la Francophonie. C’est pourquoi j’ai été choisi comme expert culturel malien chargé de gérer les marionnettes. Ce combat a aussi fait que je suis le président du jury du Conseil international des Jeux de la Francophonie lors de la 7è édition à Nice en France. Ce film a permis au Mali d’être parmi les nations de culture.
Abidjan doit accueillir les 8ès Jeux de la Francophonie à partir de juillet et si tout va bien, je serais encore membre de jury dans la catégorie marionnettes. Toute chose qui prouve ma passion pour la culture en général et les marionnettes en particulier.
Mais je suis frustré du fait que le Mali, ayant la paternité des marionnettes, ne participera pas à ces jeux d’Abidjan.
Pourquoi et comment le Mali n’y participera-t-il pas ?
C’est certainement dû à notre politique culturelle qui ne consiste pas à promouvoir la culture dans toute sa diversité. Mécontents de cette situation, nous avons saisi le département en charge de la culture pour être de la fête à Abidjan. Nous leurs avons suggéré des fiches techniques pour mieux convaincre les décideurs des Jeux de la Francophonie. J’ai interpellé le gouvernement lors du festival des marionnettes à Markala. Mais nos efforts ont été vains.
Contrairement au Mali, le Burkina, qui est loin derrière en matière de marionnettes, est invité parce qu’il a une bonne politique culturelle notamment dans le cadre de la coopération Nord-Sud.
Au Mali, nous faisons peu pour la valorisation et la promotion de notre culture. A commencer par les différents ministres qui se sont succédé à la tête du département de la culture jusqu’aux directions et services techniques locaux.
Et puis nous avons toujours eu des ministres de la culture qui ont refusé de se battre pour la culture. Un autre point qui dérange aujourd’hui est l’importance qu’on donne au département du culte au détriment de celui la culture. Je pense que cela est synonyme de promouvoir l’extrémisme.
Je crois qu’il insensé aussi d’avoir d’un côté le ministère de l’artisanat et de l’autre côté celui de la culture car les deux éléments sont intimement liés et complémentaires.
Quels sont les autres maux qui minent la culture au Mali ?
Parmi les difficultés auxquels la culture au Mali fait face, nous pouvons citer les piratages des œuvres artistiques et l’absence de volonté politique.
A cause de ce dernier point, la culture s’affaiblit dans toute sa diversité. Face à ce fléau chaque homme de culture doit apporter sa petite pierre dans la sauvegarde de cette culture. En ce qui me concerne, je suis sur un projet pour encore faire la promotion de ces marionnettes dont le thème est « les marionnettes dans les musées, quels enjeux ? »
Je suis le seul marionnettiste au Mali et les autres sont des « manipulateurs », d’où l’impérieuse nécessité de former des jeunes marionnettistes. Car je suis appelé à arrêter un jour ou un autre à cause de l’âge ou de la mort.
Mon combat est de faire des chemins pour les jeunes, mais c’est à l’Etat de mettre les moyens à travers des expositions et les foires au Mali comme ailleurs.
Le festival des marionnettes de Markala qui était la meilleure circonstance pour la promotion des marionnettes est devenu celui des discours politiques, des défilés et de récréations. Donc, les populations ne se retrouvent plus dans ce festival.
La reconnaissance du Mali est due seulement à sa culture et non par autre chose. Nous avons également une collection de plus de 25 000 marionnettes.
Quel est votre rapport avec le ministère de la culture justement ?
Dans tous nos projets, nous avons toujours sollicité l’appui du ministère mais hélas ! De nos jours, on a l’impression que notre ministère est occulté au profit de celui du culte.
Si on ne fait pas attention on va perdre notre culture pour toujours à cause des religions dites révélées. Aujourd’hui, toute personne qui s’attache à la culture est considérée comme « cafre ».
Quelles solutions à toutes ces difficultés ?
De nos jours, au Mali l’artiste ne vit plus de ses œuvres. C’est pourquoi depuis le déclenchement de la crise en 2012, nous avons perdu plusieurs de nos collègues.
Nous voulons organiser un mémorial pour les artistes décédés pour honorer leurs âmes et saluer leur combat pour la culture. Donc, nous avons besoin de la presse surtout culturelle pour ces défis.
Il faut également impliquer la culture dans l’éducation, à l’école, car cela inculquera la passion de la culture aux jeunes. La culture est aussi un moyen pour maintenir la cohésion sociale. La tension qui couve entre les peulhs et les bambaras dans le Macina peut être résolue par la marionnette « MISSIBA ». C’est pour vous dire à quel point la culture est importante dans notre société.
La marionnette « Missiba » peut à elle seule peut résoudre le problème entre peulhs et bambaras dans le Macina.
Quel commentaire faites-vous de la visite du nouveau président français à Gao ?
Macron aurait pu passer par Bamako avant de rejoindre Gao. Mais quelque part, il a raison car il a besoin de ses compatriotes. C’est une preuve de patriotisme à l’égard des troupes engagées au Mali dans le cadre de l’opération Barkhane.
Il faut que nos présidents bougent pour découvrir les réalités au lieu d’envoyer des ministres qui ne font souvent pas une restitution fidèle. Il faut des hommes à la place qu’il faut sans aucune considération de partis ou de familles ou de classe sociale. On dirait que certaines familles sont appelées à ne produire que des ministres et d’autres qu’à être administrées.
Il nous faut aussi la récompense du mérite, la sanction du fainéant. Donc seul le travail peut redonner au Mali sa place d’antan.
La recherche du gain facile est source de dépravation de nos cultures. Il faut aussi séparer l’Etat de la religion, sinon on va descendre plus bas. On nous a dit que le Djembé est haram alors qu’il constitue le fondement de nos animations. Il y a lieu de mettre faire la distinction entre les éléments de la culture et ceux de la religion.
Entretien réalisé par Ali KODIO