YVAN GUICHAOUA : “Il y a des violences, des exécutions sommaires. Pas de l’ampleur d’Ogossagou, qui a été un épisode extrême de part le nombre de victimes (160 personnes ont été tuées le 23 mars dernier dans l’attaque d’un village peul dans le centre du pays), mais aussi du fait des techniques de violences absolument horribles qui ont été utilisées. On n’a pas connu d’autres épisodes de cette échelle-là, mais il y a des exécutions extrajudiciaires régulières, des raids commis sur des villages, des enlèvements de personnes qui sont souvent filmés. On voit sur les réseaux sociaux des vidéos circuler où untel, soupçonné d’être complice des djihadistes, se fait embarquer en moto par des chasseurs traditionnels vers un lieu inconnu où il sera tué ensuite. Il y a des attaques ciblées, des assassinats dans des hôpitaux ou des centres de santé qui ont lieu la nuit. Ces épisodes se répètent quasiment quotidiennement. Aujourd’hui, il n’est pas scandaleux de parler de logique d’épuration ethnique.”
Il existe une multitude de groupes d’autodéfense, autrement dit des milices. Sont-elles à l’origine de ces violences ?
“Effectivement, elles font l’objet de toutes les suspicions, notamment la milice Dogon Dan Na Ambassagou [NDLR : selon un rapport préliminaire des Nations Unies, des chasseurs traditionnels appartenant à cette milice auraient participé au massacre d’Ogossagou ; le groupe a démenti toute implication dans la tuerie]. Les djihadistes ne se sont pas privés de mener des attaques contre des membres de cette milice parce qu’ils se déclarent loyaux envers l’État malien. Certains ont servi de guide ou d’informateurs pour les forces armées maliennes contre les djihadistes présents dans la région.”
Peut-on dire que ces milices se substituent à l’État malien ?
“Il y a eu une relation ambiguë entre ces milices et l’État malien, qui n’a pas les moyens de déployer ses forces de sécurité sur l’ensemble de la zone où opèrent les djihadistes. Donc il utilise la technique la plus efficace et la moins coûteuse, qui consiste à s’appuyer sur des milices locales. Mais ces milices ont leur propre autonomie, leur propre agenda. Politiquement, c’est compliqué pour l’État malien, qui se retrouve entre des djihadistes qui lui font la guerre et des milices pas très contrôlables, mais qui se disent soucieuses de préserver l’intégrité territoriale et l’autorité étatique. L’État a peu de leviers pour tenter de reprendre le contrôle de ces milices.”
Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations-Unies, parle d’un fort risque d’atrocités au Mali. Vous partagez son avis ?
“Absolument, il fait un diagnostic qui correspond à la réalité : la situation est critique et il faudrait que la communauté internationale se penche sur les solutions à apporter. Antonio Guterres défend également la prolongation et la nécessité de la présence de la Minusma dans la zone. Sachant que dans la zone où ont lieu les massacres, la Minusma est sous le feu des critiques car ses soldats assistent à des exactions sans pouvoir agir. Donc annoncer des risques d’atrocités, c’est bien pour alerter l’opinion internationale, mais il faut aussi résoudre concrètement l’équation de ces milices et trouver des solutions pour que les populations soient protégées dans un premier temps. Puis dans un deuxième temps, il faut faire en sorte que les gens qui ont des armes soient désarmés.”