de leurs «patrons», les juges désignés pour diligenter certains dossiers particulièrement retentissants reviennent à la une des journaux. Pourtant, ils peinent toujours. Car, c’est à eux qu’incombe la tâche écrasante de confectionner les mille et une pièces officielles des volumineuses minutes des affaires célèbres. Ces dossiers sont déballés publiquement devant la foule des grands jours, lors des procès courus, dans lesquels la moindre erreur peut faire crouler l’édifice judiciaire et policier.
Il y a quelques années, devant une cour d’assises, était appelé le procès d’une bande de malfrats. L’un des bandits, mis en liberté provisoire quelques mois plus tôt, ne se présenta pas à la barre. Ce jour-là, son avocat annonça qu’il était mort. Le greffier en prit acte.
Après les débats, le verdict tombe : les voyous écopent de lourde peine. Tandis que la cours déclare l’action publique éteinte contre le délinquant défunt. Un prématuré trépas avait mis ce dernier à l’abri de la répression. Du moins l’affaire fut-elle ainsi jugée lorsque le pseudo mort fut arrêté pour vol à main armée.
Le procureur songea à poursuivre l’avocat qui avait induit la cour en erreur. Mais, le défenseur n’eût aucun mal à démontrer sa bonne foi. Lui-même s’inquiétait d’être sans nouvelle de son client lorsqu’un coup de fil l’avisa de sa mort. N’ayant pas de raisons particulières de mettre en doute ce faire part laconique, il se contenta d’en informer la cour. Ce fut alors contre le greffier qu’on se tourna. Car, il devait aussitôt vérifier l’exactitude de ce trépas en demandant d’urgence le certificat de décès de l’accusé à la mairie de son lieu de naissance. Le pauvre, accablé de besogne, occupé du matin au soir à noter les demandes et donner les réponses, avait oublié. Ce fut à lui qu’on fit payer les pts cassés.
Il faut lire le Code de procédure pénale dans laquelle mille et une formalités y sont mentionnées. La non observance d’une seule flanque tout par terre. Mais, il y’en a tant et elles sont si complexes qu’on se demande s’il est possible, à moins de tout faire superviser par une mémoire électronique, de ne rien omettre. Or, à chaque détour de page, qui menace-ton en cas d’erreur ou d’étourderie ? Le greffier et lui seul.
A la moindre anicroche, au moindre retard, il est mis à l’amende. Partout où le greffier exerce ses fonctions, que ce soit dans le secret d’un cabinet de juge d’instruction ou bien publiquement, à l’audience d’un tribunal ou d’une cour, il est astreint à une kyrielle de paperasses, selon des formes bien établies et dans des délais aussi brefs qu’inéluctables. La plus infime négligence ne lui est jamais pardonnée et il doit la réparer en mettant la main à la poche pour verser quelques billets de banque au percepteur.
Imagine-t-on un fonctionnaire relativement mal payé en dépit de ses diplômes auxquels l’Etat son patron, non content d’ignorer systématiquement ses revendications et de lui imposer périodiquement un surcroît de travail, retiendrait une amende parce qu’un registre n’est pas à jour, il manque une virgule dans une page ou il y a une rature dans une autre ? C’est pourtant le cas du greffier.
Astreint au serment et au port du costume comme les autres membres des juridictions, le greffier peut être pris à partie. Tout seul, le juge d’instruction n’est strictement rien. Car, il ne peut plus entendre légalement ou inculpé.
Il est vrai que le statut de cet auxiliaire de justice est assez hybride. Fonctionnaire, donc employé du gouvernement, il est aussi officier ministériel, donc indépendant. Les deux choses, à première vue, peuvent apparaître difficilement conciliables. Il en va pourtant ainsi.
D’un côté, le greffier est en état de subordination vis-à-vis du juge avec lequel il travail. Puisqu’il l’assiste matériellement, écrit sa dictée, enregistre docilement ses décisions. IL se contente de constater les opérations conduites par le magistrat sans jamais intervenir. Mais, d’autre part, le greffier auquel il incombe de contrôler, de certifier et de conserver tous les actes, est la garantie du justiciable. Ce qui nécessite sa pleine indépendance par rapport au juge.
Le voici en robe noire à rabat blanc (la thauge), à l’audience. Il prend des notes. Le jugement est rendu sans qu’on lui ait demandé son opinion. Il le joint au dossier en même temps que le plumitif. Par la suite, le jugement est contesté par le plaideur qui prétend que les attendus vont à l’encontre de ce qui avait été dit et prouvé lors du débat. On ne pourra pas se référer aux notes du greffier pour dire que le tribunal a déclaré noir ce qui était blanc. Mais, ses notes pourront par contre servir à démontrer que l’ordre formel prévu par la loi pour le déroulement d’un procès n’a pas était respecté. Par exemple, les témoins de l’accusation ont été entendus après ceux de la défense ou que celle-ci n’a pas eu parole en dernier.
Le greffier que l’on voit assis à l’écart, dans les prétoires, sous le podium ou bien fait face au magistrat instructeur, tapis comme un modeste secrétaire, n’est en aucune façon le compère muet des juges mais, plutôt leur conscience. Que l’un d’eux médite sur une entorse, si légère soit-elle, aux prescriptions du code, le greffier est là pour l’en empêcher, le tenir en échec. Même si ce n’est qu’une broutille. Face à la volonté d’un tout-puissant magistrat, il dispose d’un argument tout simple.
Aussi, on peut compter sur lui pour que tout soit en ordre et régulier. Il est là pour faire signer et contre signer chaque page d’un procès-verbal par les témoins et aussi le juge. Il doit s’assurer que celui-ci à mis partout son paraphe. Lui-même signe et son seing qui fait foi de la véracité de ce qui est écrit. Sans le concours d’un greffier, aucune procédure n’est valable, aucun acte de justice, pas même une exécution capitale. Dès que le couperet d’une guillotine tranche le cou d’un condamné à mort, le greffier doit, sur le champ, dresser le procès verbal de la décapitation, le faire signer par le président de la cour d’assises, le représentant du ministère public et afficher une copie à la porte de la prison. S’il ne le fait, il est mis à l’amende.
C’est ainsi que l’exécution du duc d’Enghien, fusillé en 1804, dans les fossés de Vinciennes, après un jugement sommaire, peut être considéré comme un véritable assassinat. Car, le greffier a omis (volontairement ou non) de signer la minute de sa condamnation.
D’une juridiction à l’autre, du cabinet d’instruction au tribunal, de la cour jusqu’en cassation, s’il y a lieu, les dossiers vont d’un greffier à un autre. Mais, à chaque étape degré de juridiction, il reste une trace de leur passage. Il est piquant à ce propos de constater que le greffier est tenu de porter sur un livre spécial la liste de toutes les condamnations criminelles dont il adresse périodiquement des extraits avec résumé de chaque affaire au Garde des seaux. Si d’aventure, le greffier mangeait la consigne, la encore, une amende est prévue. Mais aucune sanction n’est envisagée contre le magistrat la loi impose une compatibilité identique.
Il est vrai qu’un greffier peut parfois tenir tête victorieusement à un chef d’Etat. La petite histoire rapporte qu’au grand siècle, le greffier du parlement refusa d’obéir à un ordre de Louis VIV qui lui demandait de détruire la minute d’un jugement susceptible de ternir le renom de la couronne.
Il faut noter que la création des fonctions de greffier remonte à Philippe le Bel. Il fallait alors qu’il fut clerc. C’est-à-dire aspirant ecclésiastique ayant reçu la tonsure et, de ce fait, une certaine instruction. On n’en exigeait pas tant des juges à l’époque.
Aujourd’hui, le greffier doit être titulaire du baccalauréat et posséder le diplôme de capacité en droit ou bien avoir accompli un stage de plusieurs années dans un greffe ou une étude d’officier ministériel. Recruté au concours, nommé par arrêté ministériel, il doit prêter serment : «Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de ne rien révéler ou utiliser de ce qui sera porté à ma connaissance à l’occasion de leur exercice».
Le greffier est par ailleurs dépositaire du secret de l’instruction, tout comme son lointain prédécesseur sous Charles III, l’était de ceux de la couronne en ce temps là. Il pouvait payer de sa vie pour n’avoir pas pu tenir sa langue.
De nos jours, il risque encore de comparaître devant la cour de cassation et d’être sévèrement puni.
Les greffiers en chef sont à la tête d’une véritable petite usine où les intéressés viennent se fournir en jugement authentique sur papier timbré, en copie, expédition, certificat et tout autre pièce indispensable à ceux qui poursuivent une instance ou se préparent à faire exécuter une décision. Ils sont donc établis à leur compte au sein de l’administration publique. Laissons-là les greffiers en chef et leurs ennuis.
Revenons aux greffiers, héritiers de «commis greffiers» créés par Napoléon. Sans greffier, le juge d’instruction n’est rien. Il ne peut plus entendre légalement un inculpé, un plaignant ou un témoin non plus. Son interrogatoire n’aurait pas plus de portée qu’une simple conversation. Sans greffier encore, le tribunal n’est plus régulièrement composé. Tel président ne l’ignore pas qui, à l’issue suspension pourtant assez longue, attend patiemment le retour du greffier incorrigible bavard, jamais pressé de reprendre place à son écritoire : reprendre l’audience en son absence et donner lecture des jugements serait une cause imparable de nullité.
Enfin, si les greffiers croisaient les bras, la prescription continuant de courir, combien de poursuites entamées devraient être abandonnées, fautes d’avoir été relancé en tant voulu ?
Parent pauvre
Les greffiers sont restés jusqu’ici des hommes de conscience. Ils grommellent et ne débrayent jamais. Ils s’indignent simplement d’être le parent pauvre de la justice.
Astreint au serment et au port du costume, comme les autres membres de la juridiction, ils peuvent être pris à partie. Il faut ajouter à cela, le fardeau, qu’ils supportent entièrement, poursuivis par les justiciables en dommages et intérêts, condamnés à l’amende, soit par l’enregistrement, soit par les cours pour maintes défaillances même pour défaut de signature des procès-verbaux, jugements et arrêts. Sans préjudice visant tous les agents de l’Etat.
Le greffier n’est pas un robot
De haut magistrats devisaient et se demandait si un magnétophone enregistrait chaque phrase prononçait par un inculpé ne constituerait pas une preuve plus formelle que le souvenir d’un greffier. La réponse jailli unanime : une bande magnétique peut être truquer. Le greffier, lui, est incorruptible.
L’acteur
Le greffier est un fonctionnaire du ministère de la Justice chargé d’assister les magistrats dans leur mission. Il dresse et authentifie les actes de la procédure tout au long de son déroulement. Par ailleurs, il enregistre les affaires, prévient les parties des dates d’audience et de clôture, dresse les procès-verbaux, met en forme les décisions de justice et assiste le juge lors des audiences. Un certain nombre de formalités ou actes accomplis en son absence doivent être considérés comme nuls.
La ripaille
C’est bien, Monsieur le président. Vous avez bien fait. Le Témoin vous remercie de votre gentillesse et de votre famillage. Il faut plaquer le fiston a la questure. Surtout, il ne faut en aucun cas oublier son ami pour sa promotion en grade. Car, il peut être attaché quelque part. Réfléchissez, il y a encore beaucoup de ripailleurs qui attendent leur portion congrue. Personne ne t’a pas driblé. C’est vraiment votre tour.
OS
SOURCE: Le Témoin