La réunion à huis clos des chefs d’État sera l’occasion d’une «clarification» sur la présence française au Sahel et de redéfinir le cadre de l’intervention «Barkhane».
Envoyé spécial à Pau
L’idée de Pau pour réunir, lundi, un sommet sur le Sahel, avec les cinq chefs d’État de la région autour du président français, ne doit évidemment rien au hasard. Emmanuel Macron a choisi cette ville car elle accueille le 5e régiment d’hélicoptères de combat d’où venaient sept des treize soldats morts au Mali le 25 novembre.
Cet accident lors d’un combat, qui a entraîné les plus lourdes pertes jamais enregistrées par l’armée française au Sahel depuis 2013, semble avoir décidé l’Élysée à mettre sur pied cette réunion. Ces morts sont apparues comme celles de trop au moment même où la présence des troupes françaises au Sahel est de plus en plus critiquée. «Nous devons à très court terme reclarifier le cadre et les conditions politiques de notre intervention au Sahel. Je ne peux ni ne veux avoir des soldats français au Sahel alors que l’ambiguïté perdure à l’égard des mouvements antifrançais», a expliqué le président français en annonçant, le 4 décembre la tenue du sommet douze jours plus tard. Et Emmanuel Macron laissait entendre que, dans le cas contraire, il pourrait retirer les troupes.
Reste que l’annonce abrupte de cette réunion est mal passée en Afrique. «En convoquant aussi vertement les chefs d’État et les sommant d’expliquer leur position sur la présence de la force «Barkhane», c’est l’image d’une France arrogante qui a été projetée. Un sommet n’est pas de trop mais c’est au Sahel qu’il faut l’organiser», critique, sur les réseaux sociaux, le général à la retraite Bruno Clément-Bollée. Plusieurs présidents rechignent dans un premier temps, notamment le tchadien Idriss Déby, pourtant très proche de la France, qui fait savoir qu’il est «empêché». Finalement, la mort de 71 soldats nigériens dans une attaque djihadiste le 10 décembre entraînera le report du sommet au 16 janvier et permettra de calmer un peu les esprits.
Le fond cependant demeure le même, et Paris entend toujours avoir des «clarifications». Si ces États «ambigus» ne sont pas nommés, chacun a compris. «Le Mali et le Burkina Faso sont clairement visés», souligne Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur à l’IRD. Le gouvernement de Bamako est soupçonné de ne pas assez se mobiliser pour contrer les messages antifrançais. Un entretien du ministre de la Défense du Burkina à un quotidien sud-africain, où il suggérait que l’armée française entretenait une forme de complicité avec les djihadsites, est très mal passé.
Objectifs politiques
Lundi à Pau, une déclaration commune va donc être lue, où les États sahéliens répéteront que la France intervient à leur demande. «Ce n’est pas quelque chose de juridique car nous avons déjà ces bases-là. Nous voulons du courage politique», dit-on à l’Élysée qui espère ainsi couper court «aux manipulations antifrançaises». Mais le sommet ne s’arrêta pas à des signaux symboliques. La réunion à huis clos des chefs d’État sera aussi l’occasion de redéfinir le cadre de l’intervention «Barkhane».
Car sur le terrain, la situation n’est pas bonne. Pour «trouver plus d’efficacité», la zone d’intervention de «Barkhane», qui couvre aujourd’hui tout le Sahel, sera donc «resserrée» selon l’Élysée. Les soldats français devraient se concentrer sur le Liptako, une vaste région aux frontières du Mali, du Niger et du Burkina Faso, fief de l’État islamique, et le Gourma, une province à l’est de Mopti. Cela pourrait s’accompagner d’une petite montée en puissance des effectifs, aujourd’hui fixés à 4500 hommes.
Après la mise au point de Pau, Paris espère enfin être plus « incitatif » et que des pays européens s’engageront au Sahel
En parallèle un calendrier va être publié. «Il comprendra des dates, des objectifs à atteindre et des points de passage», dit-on à l’Élysée. Ces objectifs ne sont pas seulement militaires mais aussi politiques. La solution à cette guerre, répètent les militaires, est politique et non militaire. Seulement, les discussions sont ensablées et l’accord de paix, signé à Alger en 2015, n’avance pas. «Paris touche là ses limites. L’origine du conflit se trouve dans la faiblesse des États, particulièrement au Mali, au Burkina mais aussi au Tchad, à la corruption dans les forces armées. Les populations n’ont plus confiance. Pour renverser cela, il faut faire du “nation building”. Or la France n’en a ni le temps ni les moyens», déplore Marc-Antoine Pérouse de Montclos.
Après la mise au point de Pau, Paris espère enfin être plus «incitatif» et que des pays européens s’engageront au Sahel. La force Takouba, doit réunir des forces spéciales de plusieurs États européens en l’appui de Barkhane. Une dizaine de pays, essentiellement de l’Est, se sont dits prêts à envoyer des contingents. Des représentants de l’UE, ainsi que le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, seront présents dans les Pyrénées pour dîner.
Le Figaro