Une poignée d’électeurs se sont rendus aux urnes, le dimanche 29 mars 2020, en rang dispersé pour élire les députés. Un scrutin fortement perturbé par la pandémie du coronavirus et l’insécurité. Des centres de vote attaqués, du matériel saccagé, des agents électoraux et des candidats enlevés au Nord et Centre du pays, le scrutin s’est déroulé sur fond de violence. Le second tour prévu le 19 avril prochain, attendu en pleine crise sanitaire, pourrait-il se tenir ?
Crainte du coronavirus et de la menace jihadiste, les électeurs se sont rendus aux urnes en ordre clairsemé pour élire leurs députés. Le mandat de l’Assemblée législative issue des élections de 2013 devait s’achever en 2018. Une Assemblée plus légitime et capable de prendre des décisions importantes devait sortir des urnes. Et le moins que l’on puisse dire c’est que ce scrutin déjà reporté à deux reprises depuis 2018, s’est tenu dans des conditions très particulières. Il a été marqué par des craintes liées à la propagation du nouveau coronavirus (Covid 19) et surtout de nombreux incidents sécuritaires dans plusieurs localités du Nord et du Centre. Dans certains cas, le vote n’a même pas eu lieu.
Le taux de participation au 1er tour des élections législatives du 29 mars est de 35%, selon les chiffres donnés le jeudi 2 avril 2020 par le ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation. Le plus faible taux de participation a été enregistré dans le district de Bamako avec près de 10%. Mais, ce taux est contesté par beaucoup d’observateurs. Ceux-ci se basent sur les législatives précédentes (2002 à 2013) où la participation a toujours été faible, alors que le Mali était loin de connaitre une situation sécuritaire et sanitaire aussi dramatique.
L’autre enseignement de cette élection est qu’il y aura un second tour dans plus de 70% des circonscriptions électorales. Ainsi, sur les 147 sièges à pourvoir à l’Assemblée nationale, 17 candidats ont été élus dès le premier tour. Parmi eux, figurent huit (08) candidats du RPM dont 04 sont de la région de Kidal. Trois, du parti ADP- Maliba dont le président d’honneur Aliou Boubacar Diallo. Et trois autres du parti URD dont le Chef de file de l’opposition Soumaïla Cissé retenu en otage
Sur fond d’insécurité
La campagne, sans engouement, et le scrutin se sont déroulés dans un contexte délétère : apparition du coronavirus mais aussi violences jihadistes persistantes, malgré la présence de forces françaises, sahéliennes (G5) et de l’ONU.
Le chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, a été enlevé à quelques jours de l’élection alors qu’il faisait campagne dans son fief électoral de Niafunké.
La Coalition pour l’observation citoyenne des élections au Mali (Cocem), qui avait déployé plus de 1.600 observateurs, a relevé des “incidents sécuritaires préoccupants” autour de Mopti (centre), Gao et Tombouctou (nord), régions où se concentrent les groupes djihadistes. “Plusieurs menaces de mort, cas d’enlèvements de chefs de village, d’agents électoraux et d’une observatrice de la Cocem, et de destruction de matériel électoral ont été constatés”, indique la coalition.
Selon le site d’information Kibaru, de nombreux incidents ont été signalés dans plusieurs localités. Ainsi, dans le cercle de Ménaka, centre de vote Essaina M’Bahou le président, les assesseurs et l’observatrice Maimouna Maiga de la COCEM ont été enlevés avec le matériel électoral. A Mopti, au Centre particulièrement meurtri ces dernières années, il n’y a “pas vraiment eu d’affluence”, a précisé le président d’un bureau de vote, Amadou Dicko. “Le coronavirus et l’insécurité ont chassé les électeurs.”
Dans le cercle de Tenenkou, région de Mopti, un chef de village a été menacé de mort si les élections se tenaient. Dans deux autres villages du même cercle, les bureaux de vote ont été fermé à cause de l’insécurité. A Bonni dans le cercle de Douentza, l’enlèvement des agents électoraux a été constaté, les bureaux de votes ont aussi été fermé.
Dans le village de Monzoga, Cercle d’Ansongo, région de Gao, le matériel électoral a été brûlé et les agents électoraux enlevés. Dans le Cercle de Gao, centre de Farandjire, un individu possédant un lot de cartes d’électeurs a été interpellé, ce qui a entraîné un arrêt momentané des opérations de vote.
Dans le cercle de Niafunké, région de Tombouctou, un chef de village et le président du bureau de vote ont été enlevés. Dans les villages de Arabebe et Waki, cercle de Niafunké, les bureaux de vote ont été obligé de fermer. Dans la commune de Soboumdou, cercle de Niafunké, la confiscation des cartes d’électeurs des citoyens par des hommes armés à la veille du scrutin a été reportée. Des menaces de mort à l’encontre de la population et des personnes qui iront voter.
Aussi, le vote n’a pu se tenir à cause des mêmes raisons dans la commune de Saréyamou (cercle de Diré), les villages de Kalengué et Rabedjé (commune de Soboundou), dans la commune de Banikane (cercle de Niafunké) et les communes de Hamza Coma et de Séréré (cercle de Gourma Rharous) ; – Le chef du village de Kalengué (cercle de Niafunké) et le président du bureau de vote de la localité ont été enlevés ; – L’accès a été refusé à 3 Observateurs du POCIM au centre de vote Kidal 1 : B.V 036, B.V 40 Aghabo, B.V 021 Kidal. – On n’a pas voté dans plusieurs villages et hameaux de Bankass.
Le fait le plus marquant de cette journée c’est sans doute la mort d’une dizaine de civil qui étaient à bord d’un véhicule de transport qui a sauté sur un engin explosif improvisé entre Saraferé et N’Gorkou, dans le Gourma de Niafunke.
Dans un communiqué, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmanes principales alliances jihadiste du Sahel liée à Al-Qaïda, a revendiqué lundi trois attaques dans la région de Mopti. Il s’agit notamment d’une embuscade contre une escorte de matériel électoral par l’armée le 27 mars dernier.
Au moins six candidats auraient été enlevés par des groupes armés au cours de ce processus électoral, selon l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali.
La peur du Coronavirus
Les mesures barrières édictées par les autorités pour se protéger du virus n’ont pas été respectées dans de nombreux bureaux de vote à Bamako et à l’intérieur du pays. C’est certainement l’une des raisons pour lesquelles ces élections n’ont pas mobilisé du monde dans certains bureaux de vote.
Beaucoup d’électeurs se sont méfiés du coronavirus qui a contaminé une vingtaine de personnes et fait le 28 mars sa première victime dans le pays, longtemps épargné. S’ils sont allés voter, c’est “la peur au ventre”, comme l’a dit à Bamako un enseignant de 34 ans, Souleymane Diallo. “Ils nous demandent d’aller voter alors qu’on utilise tous le même stylo et la même encre. Il n’y a pas un mètre entre les gens“, a pesté Amadou Camara, un habitant de Bamako qui a préféré s’abstenir.
“Si dans certains centres, le matériel a permis de respecter les mesures sanitaires, il est clair que dans de nombreux autres, les gestes barrière n’ont pas été respectés et le dispositif n’était pas en place pour se laver les mains”, a affirmé Aminata Touré, de l’ONG Travaillons pour un Mali propre.
Une Assemblée plus légitime ?
Le mandat de l’Assemblée issue des élections de 2013, qui avaient octroyé une majorité substantielle au président Keïta, devait s’achever en 2018. C’est pourquoi il fallait redonner une légitimité à l’Assemblée nationale. Les enjeux de son renouvellement sont importants, selon des experts, pour qui il s’agit de faire enfin progresser l’application de l’accord de paix d’Alger.
La nouvelle Assemblée devra se pencher sur une plus grande décentralisation via une réforme constitutionnelle. Certains opposants estiment que la réforme ne peut être adoptée par l’Assemblée actuelle car celle-ci est jugée par beaucoup “légale mais plus légitime”, selon Bréma Ely Dicko, sociologue à l’université de Bamako.
Mémé Sanogo
Source: L’Aube